Exemptions fiscales : Les faveurs du gouvernement à Camvert suscitent l’indignation
Dans le cadre de la mise en œuvre de son projet de palmeraie de 60 000 hectares à Campo et Niete, l’entreprise Camvert bénéficie des exemptions fiscales. Pour certaines organisations de la société civile, cette décision montre combien les promesses d’Al Fatih de détruire la forêt pour soutenir l’économie sont vides et sans fondement.
Désormais pour opérer dans le secteur de l’agro-industrie, Cameroun Vert Sarl (Camvert) n’aura pas besoin de payer certaines taxes. En effet, la société du milliardaire camerounais Aboubakar Al Fatih a récemment « signé avec l’Agence de promotion des investissements (API) une convention lui permettant de bénéficier des dispositions de la loi de 2013 portant incitations à l’investissement privé au Cameroun. Ce texte réglementaire octroie aux porteurs de projets des exonérations fiscalo-douanières allant de 5 à 10 ans, aussi bien pendant la phase de construction que de production», rapporte Investir au Cameroun dans un article publié le 8 février 2022. L’obtention de ces exonérations fiscales du gouvernement camerounais pour son projet de plantation de palmier à huile dans le Sud Cameroun suscite un mouvement collectif d’indignation au sein de l’opinion.
Pour l’ONG Camerounaise Green Development Advocate, cette décision est une grosse arnaque à l’endroit du peuple Camerounais. « La loi sur les incitations à l’investissement ne peut pas être appliquée à Camvert dont les opérations ne sont pas conformes au cadre juridique en vigueur », affirme son Coordinateur Aristide Chacgom. Et d’expliquer que : « Cette démarche adoptée une fois de plus par l’agro-industrie vient mettre en avant les rouages toujours tortueux qu’elle a choisis d’emprunter depuis le début de son projet ». En effet, poursuit-il, ce texte stipule clairement dans son second article que « l’investisseur qui sollicite l’octroi des avantages prévus par la présente loi est tenu de se conformer à l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables ». Or, pour lui, jusqu’ici, Camvert a brillé par sa capacité à mener des activités en violation de la législation camerounaise.
Roublardise
Ranece Jovial Ndjeudja, responsable de la campagne forêt chez Greenpeace Afrique, n’en pense pas moins. D’après lui, l’exonération fiscale dont bénéficie Camvert est un contresens au regard du contexte actuel du Cameroun et surtout pour cette entreprise qui s’est jusqu’ici présentée comme étant l’une des portes de salut pour l’économie camerounaise. « C’est tout simplement paradoxal d’augmenter les taxes dans d’autres secteurs, notamment les transferts d’argent via la téléphonie mobile et de donner le privilège à quelques singuliers milliardaires de ne pas s’acquitter de ce devoir », s’exclame-t-il. Sur la même lancée, « Comment se fait-il qu’une entreprise qui veut raser 60 000 hectares de forêt et détruire par la même occasion les moyens de subsistance des communautés locales peut bénéficier d’exonérations fiscales ? », interroge Ranece Jovial Ndjeudja. Pour qui « Cette décision apparaît comme une prime accordée à l’entreprise pour continuer à violer la loi et porter atteinte aux engagements du Cameroun ».
Le projet querellé de Camvert comprend la création de palmeraies et la construction d’usines de production d’huile de palme (180 000 tonnes par an) et de palmiste (18 000 tonnes par an). Soit un investissement estimé à 237 milliards de Fcfa pour près de 4 000 emplois à créer. Du pipo selon Greenpeace Afrique et son partenaire GDA. En décembre 2021, ils ont rendu public un rapport qui met à nu les effets désastreux de la présence de Camvert sur la vie des populations locales riveraines, sur les forêts et sur la biodiversité : « un vrai cauchemar pour elle ».
Nadège Christelle BOWA
Interview
Ranece Jovial Ndjeudja
« L’exonération à Camvert est une injustice à l’endroit des Camerounais »
Le Responsable de la Campagne Forêt, Greenpeace Afrique, suggère l’annulation de cette décision de l’agence de promotion des Investissements en faveur de Camvert et propose des mesures pour booster la production d’huile de palme en baisse.
Des voix, dont celle de votre association, s’élèvent contre la décision gouvernementale d’exonérer de taxes des porteurs de projets. Pourquoi ?
Comme mentionné dans notre communiqué de presse, à nos yeux, il s’agit d’une rétribution accordée à une entreprise qui mène des activités en marge de la loi, ce qui la rend inéligible aux exemptions dont elle a bénéficié de la part de l’Agence de Promotion des Investissements. De plus, cette entreprise détruira 60 000 hectares de forêts, avec des impacts environnementaux et sociaux irréversibles, notamment pour les populations Bagyeli, Yassa, Mabi et Mvae riveraines de ces forêts, mais aussi pour la biodiversité du Parc national de Campo Ma’an dont l’UFA 09 025 représente un corridor de passage.
Par ailleurs, cette exemption intervient alors que dans le même temps, l’on observe une instauration voire augmentation des taxes sur d’autres aspects de l’économie nationale. Autrement dit, les propriétaires de Camvert, qui sont présentés comme milliardaires, sont exemptés de taxes alors que les plus pauvres en sont assujettis. C’est une injustice qui ne devrait pas avoir cours dans notre pays.
Mais de récents articles montrent que la production d’huile de palme au Cameroun est en baisse. Ne pensez-vous pas qu’une telle mesure servirait à booster ce secteur qui est non négligeable pour l’économie ?
Il nous semble que ces mêmes articles ont fait mention du vieillissement des plantations actuelles comme raisons, entre autres, qui expliquent cette baisse de la production. Pourquoi ne pas investir dans le renouvellement des plantations au lieu d’ouvrir de nouveaux espaces forestiers avec les impacts déjà relevés et présentés dans le rapport que nous avons publié en fin d’année dernière ? D’autres approches et pistes peuvent être suggérées, mais en l’état, c’est ce que nous pouvons donner comme réponse à votre question.
Quelle est la requête que peut formuler GPAF et son partenaire à l’endroit du gouvernement ?
Ceci sera une répétition de nos recommandations contenues dans le rapport publié l’année dernière. De manière plus spécifique à cette décision de l’agence de promotion des Investissements, nous suggérons de suspendre voire annuler la décision car cette entreprise ne devrait pas bénéficier de tels avantages. En plus, nous suggérons purement et simplement l’arrêt de ce projet qui continue sur le terrain de causer du tort aux populations, à la biodiversité et au climat.
Réalisée par
Nadège Christelle BOWA