La langue perçue comme obstacle à l’avenir de la publication scientifique
Débat
Dans une de ses récentes parutions, la revue scientifique Nature a ouvert ses colonnes à un groupe diversifié de scientifiques dont le Camerounais Pr Yap Boum II, pour s’exprimer sur l’avenir de l’édition universitaire. Au menu de cette sortie : des problèmes systémiques, des défis et des opportunités, et leur vision de l’avenir de la publication académique.
Abubakari Ahmed, Aceil Al-Khatib, Yap Boum II, Humberto Debat, Alonso Gurmendi Dunkelberg, Lisa Janicke Hinchlife, Frith Jarrad, Adam Mastroianni, Patrick Mineault, Charlotte R. Pennington et J. Andrew Pruszynski. Ils sont une dizaine de scientifiques à s’être exprimés sur l’avenir de la publication académique dans les colonnes de la revue scientifique Nature. Laquelle pour cette édition, ce n’est pas si souvent que cela arrive, a publié une des contributions en français. La pertinence de cette dernière pourrait avoir justifier ce choix. Puisque le Pr. Yap Boum II, Directeur général de l’Institut Pasteur de Bangui y promeut la « décolonisation » des publications scientifiques pour une plus grande accessibilité du public notamment les décideurs. « L’avenir de la publication académique passe par sa « décolonisation ». Elle demande la publication dans la langue de l’auteur », soutient-il en effet.
Un technicien de laboratoire dans un hôpital testant des échantillons de sang pour le paludisme, Freetown, Sierra Leone.Matthew Oldfield Editorial Photography / Alamy Stock Photo
De son point de vue, les chercheurs du Sud produisent des résultats de recherche qui restent invisibles au niveau local et international en raison des défis auxquels ils sont confrontés. L’un de ces défis qui est la langue, se révèle comme « un véritable obstacle, en particulier pour les chercheurs d’Afrique francophone ». Sur ce point, le Pr Yap explique : « Bien que les résultats de leurs recherches puissent être importants, ils ne peuvent pas les publier dans les grandes revues lues par les décideurs politiques. Ces revues publient dans la plupart du temps des articles en anglais, renforçant ainsi le « regard étranger » dans lequel les résultats de la recherche sont écrits pour un public international. Enfin, les compétences scientifiques pour la rédaction de demande de financement et de publications sont hétérogènes dans les pays du Sud, en raison du manque de formation, de mentorat et d’opportunités d’acquérir ces connaissances, en particulier dans les pays francophones ». C’est comme si l’on allumait une lampe et qu’on la couvrait.
Permettre aux chercheurs du Sud de raconter leur histoire
Dans ses recommandations, l’universitaire Camerounais suggère que : l’industrie de l’édition propose des publications dans toutes les langues souhaitées par les chercheurs avec une édition appropriée ; les organisations impliquées dans la santé mondiale mènent des programmes de formation et de mentorat pour renforcer la communication scientifique ; les chercheurs signent des accords équitables de collaboration commune avant de commencer tout partenariat ; la communauté de chercheurs en santé globale crée une nouvelle plateforme digitale qui pourrait utiliser l’intelligence artificielle pour mettre en relation les scientifiques du monde entier en fonction de leurs besoins et des ressources disponibles. « Les scientifiques appariés sur cette plateforme pourront ainsi créer de nouvelles collaborations au niveau individuel (mentorat, coaching) ou institutionnel (partenariat, financement). Cela brisera les barrières et permettra aux chercheurs du Sud de raconter leur histoire ».
Yap Boum II, Executive Director Pasteur Institute of Bangui
Dans la liste de ces indispensables, Pr Yap incite les éditeurs internationaux à soutenir et responsabiliser les revues scientifiques locales en offrant des opportunités de financement et de formation ainsi qu’en mettant en valeur les recherches qu’ils publient. « Ces solutions motiveront les scientifiques du Sud à s’exprimer dans leur langue et à mettre en œuvre des solutions locales issues de leurs recherches. Pour les chercheurs en santé globale, cela les aidera à trouver des solutions innovantes pour relever les défis locaux tout en décolonisant la santé globale », conclut-il non sans avoir soulever la question du manque de reconnaissance des rôles clés des chercheurs du Sud par leurs homologues du Nord, y compris la contribution scientifique qu’ils apportent pour mettre en œuvre et diffuser la recherche.
« Une récente recommandation de l’UNESCO définit la science ouverte comme une construction inclusive : multilingue, ouverte, accessible, transparente, réutilisable, partageable, collaborative et orientée vers le bénéfice de la société », rappelle en effet Humberto Debat de l’Institut de pathologie végétale – Centre de recherche agricole – Institut national de technologie agricole (IPAVE-CIAP-INTA), Córdoba, Argentine. Sous un autre angle, Lisa Janicke Hinchliffe de l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign, aux États-Unis recommande de passer de la distribution à la découverte « car il est de plus en plus évident que la distribution est nécessaire mais pas suffisante pour assurer le lectorat et l’utilisation des articles. Pour conserver leur valeur dans le système d’évaluation et de récompense académique, les revues doivent s’assurer que les articles ne sont pas seulement publiés mais aussi consommés ».
Nadège Christelle BOWA
Le Messager n°8082 du mardi 18 juillet 2023