ENQUETE

Pour une meilleure gouvernance du secteur des mines et carrières

Exploitation minière dans l’arrondissement de Batouri

Des misérables sur un lit d’or (Part III)

Dans son discours de fin d’année prononcé le 31 décembre 2022, le chef de l’Etat camerounais déclarait : « S’il est vrai que notre pays dispose d’un sous-sol riche en ressources minières, le secteur minier, hors pétrole, ne contribue qu’à hauteur de 1% du Produit Intérieur Brut. En développant la mine solide, nous pourrons assurer le relai des hydrocarbures dont les stocks s’amenuisent et disposer de ressources financières supplémentaires, qui pourront être affectées au financement de nos investissements. L’année 2023 sera donc marquée par le démarrage des travaux relatifs à l’exploitation du minerai de fer de Kribi-Lobé. Dans la perspective de diversifier les sources de revenus de l’Etat, j’ai autorisé le démarrage de trois projets d’envergure qui visent à développer notre potentiel minier, à structurer notre économie et à créer des emplois ».  Le secteur minier est appelé à jouer à l’avenir dans l’économie camerounaise. Donnant ainsi le ton du rôle important que le secteur minier, en l’occurrence, est appelé à jouer à l’avenir de l’économie camerounaise. Egalement conscient dudit rôle, le Réseau de lutte contre la Faim (Relufa) dans le cadre du projet Landcam a pensé à l’élaboration d’un document de propositions qui pourrait permettre à l’Etat et ses populations d’en tirer un avantage à la hauteur du potentiel en ressources minières et de carrières du Cameroun. Au regard de sa pertinence, son exploitation vient clôturer la série engagée par votre journal sur l’exploitation de l’or dans l’arrondissement de Batouri dans la région de l’Est.

  1. Le Cameroun, « un scandale géologique »

Faut-il encore le rappeler ? Le Cameroun dans la « Vision 2035 » élaborée par le ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (MINEPAT) en 2009, a identifié le secteur des mines et des carrières comme un pilier de l’économie nationale. « Ce choix n’est pas fortuit », analyse « Guy Lebrun Ambomo, Responsable du Programme des Industries Extractives au Réseau de Lutte contre la Faim (Relufa). « Le pays est conscient des atouts en possession »,  explique-t-il. En effet, selon Abanda Amanya dans sa thèse de Doctorat en Droit privé option Droit des affaires, intitulé Droit des industries extractives et développement durable au Cameroun, le pays est considéré comme un « scandale géologique ».  En outre, les recherches réalisées depuis le début des années 2000 ont révélé que le pays disposait de plus de 52 types de minerais. L’exploration du sous-sol camerounais par une levée géophysique aéroportée grâce au Projet de Renforcement des Capacités du Secteur Minier (PRECASEM), réalisé sur plus de 75% du territoire national, a permis d’identifier plus de 300 indices miniers dans les régions de l’Est, de l’Ouest, de l’Adamaoua, du Nord et du Centre. 

D’après la sous-Direction Cadastre du ministère des mines, de l’industrie et du Développement Technologique (MINMIDT), le Cameroun comptait près de 130 permis de recherche minière valides au 31 décembre 2018. « Entre 1943 et 2022, une vingtaine de permis d’exploitation a été octroyée aux entreprises d’exploitation minière, des eaux de source et, des eaux minérales et thermo-minérales. En 2014, l’on dénombrait de manière non exhaustive, 5775 autorisations d’exploitation dans le sous-secteur minier artisanal », révèle Guy Lebrun Ambomo, par ailleurs Juriste spécialiste de la Gouvernance des ressources naturelles. Malgré l’adoption de la loi n°2016-17 du 14 décembre 2016 portant Code minier, le secteur minier et des carrières du Cameroun continue de faire face à bien de manquements sur le plan pratique, comme l’ont relevé les précédents articles, (Cf. Les numéros 8112 et 8113 de Le Messager du mardi 05 et mercredi 06 septembre 2023). « Ces manquements sont dus non seulement au silence de la Loi minière sur certains points, mais aussi à l’absence de précision ou clarté sur d’autres. Dans ce contexte, l’exploitation minière et des carrières continue d’être une menace pour l’environnement et pour les communautés riveraines », critique Guy Lebrun Ambomo.

2- Un Code minier « non inclusif »

En plus de faire face à un accès difficile à l’information, poursuit-il, les communautés riveraines aux projets miniers et de carrières sont écartées, par le Code minier, du processus de négociation en amont pour l’attribution des titres miniers ou carrières. Ces projets sont alors décidés en l’absence de toute consultation des populations des localités concernées. Par ailleurs, le Contenu local présente aussi plusieurs limites dans sa formulation. « Le Contenu local est considéré comme l’une des composantes les plus importantes de la participation des compagnies d’exploitation minière et de carrières au développement socio-économique local », explique Guy Lebrun Ambomo. Il relève à ce sujet que le Code minier de 2016 n’apporte aucune précision sur le champ d’application du Contenu local. De même, elle présente des dispositions assez générales dépourvues de précisions quant aux éléments quantitatifs et qualitatifs, ainsi qu’aux indicateurs de suivi du respect des obligations de Contenu local, notamment sur l’emploi, la formation du personnel national, la participation au développement socio-économique local, l’approvisionnement des exploitants en biens et en services produits localement, etc.

Une telle approche de l’avis de l’expert ne facilite pas un suivi du respect de la mise en œuvre, par la compagnie minière ou de carrière, des exigences liées au Contenu local dont il faut par ailleurs ici relever la controverse qui se pose autour de la compréhension du terme « local ». Pour éviter les polémiques sur le concept, le Code minier se doit d’en préciser le champ d’application qui « pourrait être fixé à trois niveaux par ordre de préférence accordée par l’entreprise, notamment aux niveaux local, régional, et national ». Sur la question spécifique de l’emploi, Guy Lebrun Ambomo note que les défis portant sur les conditions du travail résultent d’un cadre légal du travail inadapté au secteur minier, surtout du fait de la non ratification, par le Cameroun, des Conventions de l’OIT y relatives. Notamment, les Conventions n°176 relative à la Sécurité et la santé dans les mines et celle n°45 sur la présence femmes dans des travaux miniers souterrains, adoptées à Genève respectivement en 1995 et 1935. « Ceci aboutit à la violation des droits des travailleurs, les mauvaises conditions de travail, la profusion des cas de maladies, d’accidents et de morts dus à l’exploitation des mines ou de carrière », conclut-il sur ce sujet.

3- Des propositions pour une meilleure gouvernance

Dans un contexte où « les femmes restent marginalement employées dans le secteur minier et des hydrocarbures où les stéréotypes peuvent avoir la vie dure, il est recommandé que la Loi minière fixe à 30%, la part des postes réserver aux femmes ayant des compétences requises pour les emplois qualifiés et les cadres de direction », propose le Relufa. Pour les postes qui ne requièrent pas de qualification (ouvriers non qualifiés), 50% devraient revenir aux femmes. Afin de s’assurer du respect des dispositions en matière d’emploi de la main d’œuvre locale, l’entreprise minière ou d’exploitation de carrière industrielle doit soumettre aux Administrations en charge des mines et de l’Emploi, un rapport annuel détaillé sur son recours à l’emploi des camerounais. En application des dispositions de l’article 167 (2) du Code minier actuel, il propose une répartition, entre camerounais, des postes de travail ne nécessitant pas une qualification particulière. Soit 60% pour les communautés riveraines du projet minier industriel ou semi-mécanisé et 30% pour les nationaux d’autres régions du pays.  

Pour une meilleure prise en compte des préoccupations environnementales dans le cadre normatif régissant le secteur minier et des carrières au Cameroun, la Loi minière doit exiger aux entreprises minières ou de carrières de construire des installations de traitement de ses eaux usées sur le site d’exploitation afin d’éviter toute contamination des eaux de surface et des eaux souterraines. « Dans ce cas, l’entreprise doit s’assurer que la conception des installations de la mine ou de la carrière respecte les normes de protection de l’environnement, de santé et de sécurité. Pendant toute la durée de vie de la mine ou de la carrière, ces installations doivent faire l’objet d’un contrôle régulier conjoint des services techniques des ministères en charge des Mines et de l’Environnement. Relativement aux contaminants ou résidus miniers susceptibles d’avoir des répercussions sur l’environnement, les entreprises minières ou de carrière doivent être obligées de prévenir et de limiter tout rejet dans la nature.

La Loi doit par ailleurs exiger à ces entreprises la mise en place des dispositifs techniques qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre et de gaz polluants. Elle doit également exiger à ces entreprises d’élaborer et de mettre en œuvre un plan dédié à la gestion des eaux et des boues sur le site d’exploitation. Quant à la gestion de l’eau, de l’air et du sol, l’exploitant minier ou de carrière doit en user sans mettre en danger la population riveraine, la flore et la faune. Ce dernier doit également procéder au remblayage, au nettoyage et à la remise en état du site d’exploitation dans les conditions de sécurité, de productivité agricole et dans un aspect visuel proche de leur état d’origine approuvé par les administrations en charge des Mines et de l’Environnement. Avant le départ du site, obligation doit être faite à l’opérateur d’enlever tous les matériaux par lui utilisés au cours de son activité, sauf demande expresse contraire de l’administration. Ces propositions et bien d’autres sont consignés dans un rapport intitulé Pour une meilleure gouvernance du secteur minier des mines et carrières au Cameroun, réalisé par le Relufa dans le cadre du projet Landcam « Sécuriser les droits fonciers au Cameroun » avec le soutien financier de l’Union Européenne mis en œuvre en collaboration avec l’Institut International pour l’Environnement et le Développement (IIED) et le Centre pour l’Environnement et le développement (CED).

Nadège Christelle BOWA

de retour de Batouri

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