Tabagisme – Un tiers des jeunes expérimente le tabac à cause de la publicité
Selon certaines organisations de la société civile parmi lesquelles Vital Voices for Africa (VVA), pour que nos gouvernements prennent au sérieux le message de la JMTN de cette année, les médias doivent jouer un rôle stratégique en dénonçant les agissements de l'industrie et, surtout, en rédigeant ou en diffusant des rapports incisifs pour susciter des interventions au niveau politique.
Le poumon des enfants en danger
Le 31 mai de chaque année, la Journée mondiale sans tabac (JMST) est célébrée pour mobiliser les gouvernements et les véritables acteurs de la santé publique dans le monde entier afin qu’ils prennent des mesures pour prévenir les décès, les maladies et les handicaps liés au tabagisme. C’est également l’occasion de dénoncer les manigances de l’industrie du tabac, qui mine la santé publique avec ses produits mortels. Cette année, le thème de la JMST est : Protéger les enfants de l’ingérence de l’industrie du tabac. « Il vise à faire pression sur les gouvernements nationaux pour qu’ils mettent en œuvre des politiques globales visant à empêcher l’industrie du tabac de s’emparer des poumons de nos enfants pour en faire des fumeurs de remplacement », renseigne Philip Jakpor, Directeur Exécutif de Renevlyn Development Initiative (RDI), au cours d’un webinaire organisé par un consortium d’organisations de la société civile dont Vital Voices for Africa basée au Togo. Selon Caleb Ayong, Directeur Exécutif de VVA : « Cette célébration annuelle est un rappel puissant de notre responsabilité collective de protéger la santé et le bien-être de nos communautés, en particulier de nos jeunes ».
En effet, « les recherches montrent qu’environ un tiers des jeunes qui expérimentent le tabac le font grâce au marketing de l’industrie du tabac et à la publicité, à la promotion et au parrainage du tabac », dénonce Philip Jakpor. Au niveau mondial, rappelle-t-il, « 78 % des jeunes âgés de 13 à 15 ans déclarent être régulièrement exposés à une forme ou une autre de publicité, de promotion et de parrainage en faveur du tabac. Des recherches plus récentes montrent que des enfants de 10 ans sont également incités à fumer en raison de leur exposition à l’internet et à d’autres facteurs dont nous parlerons aujourd’hui ». Ces organisations sont déterminées à mettre un terme au marketing agressif voire prédateur de l’industrie du tabac dont les tactiques et stratégies visent les jeunes pour remplacer les 8 millions de personnes qui meurent chaque année des suites du tabagisme.
Responsabilité
Au Nigéria, « l’industrie du tabac fait discrètement de la publicité pour ses produits en les plaçant dans des films, des vidéos musicales et en utilisant les médias sociaux pour atteindre le jeune public », rapporte Oluchi Joy Robert, Défenseur de la lutte antitabac. Selon une étude transversale réalisée en 2020 auprès d’adolescents scolarisés à Lagos, au Nigeria, le canal d’exposition le plus fréquemment cité est le placement de produits, 62 % d’entre eux ayant déclaré avoir été exposés dans des films, à la télévision et dans des vidéos. Jusqu’à 15,2 % et 12,6 % ont été exposés à la publicité, à la promotion et au parrainage en faveur du tabac (TAPS) par le biais d’activités promotionnelles et de parrainages, respectivement. Dans ce pays, certaines organisations livrent une bataille sans répit pour sauver la jeunesse. C’est le cas de Development Gateway (DG) qui en collaboration avec le ministère fédéral nigérian de la santé et avec le soutien de la Fondation Bill & Melinda Gates, dirige le programme DaYTA (Data on Youth Tobacco in Africa).
« Cette initiative vise à recueillir des données nationales complètes sur le tabagisme chez les jeunes âgés de 10 à 17 ans, afin de combler les lacunes en matière de données probantes et de compléter les données existantes », explique Mohammed Maikuri. Comme le Cameroun, la Zambie ne dispose pas encore d’une loi antitabac qui permettrait de protéger les enfants de l’ingérence et des tactiques de l’industrie du tabac qui en profite. « En Zambie, comme dans beaucoup d’autres pays, l’accès aux produits du tabac, y compris les e-cigarettes, est facile, les produits étant exposés dans les centres commerciaux. Les cigarettes sont vendues près des écoles et des maisons et les enfants peuvent facilement y accéder. Elles sont également très abordables », expose Paxina de CPCR.
Plaidoyer
Pour réguler tout ce désordre, dont le fardeau économique du tabagisme, y compris les dépenses de santé et les pertes de productivité, est estimé à 1,4 billion de dollars par an, dont une part importante est supportée par les pays en développement, « la CCLAT joue un rôle essentiel dans la promotion et la protection des droits des enfants en matière de lutte antitabac en préconisant des politiques et des mesures visant à prévenir l’initiation au tabagisme, à réduire l’exposition au tabagisme passif, à permettre l’accès à l’information et à l’éducation et à protéger les politiques de santé publique de l’ingérence de l’industrie », assure Achieng Otieno, fondateur de Being Africa. Par ailleurs, le paquet MPOWER de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) met l’accent sur six mesures efficaces pour réduire la demande de produits du tabac. Le W signifie « Avertir des dangers du tabac » (Warn about the dangers of tobacco), un rôle que les médias ont pour mission de remplir, selon Philip Jakpor.
« Les médias façonnent les connaissances et les opinions relatives au tabac et influencent les individus et les décideurs politiques. Pour les signataires de la convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), les campagnes antitabac dans les médias sont des éléments clés de leurs programmes de lutte contre le tabagisme », souligne-t-il. Partageant cet avis comme l’ensemble des orateurs du jour d’ailleurs, Caleb Ayong conclut : « Les médias, qui ont la responsabilité de contrôler la société, doivent être en mesure d’identifier les tactiques d’ingérence de l’industrie du tabac pour pouvoir enquêter de manière adéquate et les dénoncer ». Conscient de ce rôle crucial dans la sensibilisation, la dénonciation des tactiques de l’industrie et la défense de l’adoption et de la mise en œuvre de politiques adéquates de lutte antitabac, les journalistes brandissent de leur côté le coût élevé de ce type d’actions Qu’il s’agisse des campagnes médiatiques ou de leur formation. Mais sont prêts à davantage retrousser les manches s’ils sont accompagnés.
Nadège Christelle BOWA