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Dodo Moke : Apporter des alternatives qui incitent les populations à vivre amicalement avec les animaux sauvages

Alors que le conflit Homme-faune s’intensifie dans les localités riveraines des forêts et autres aires protégées en Afrique, un concept émerge pour prendre en compte l’être humain dans la conservation. Il ne s’agit des droits humains, mais d’une approche de conservation basée sur le droit, une notion qu’explique Dodo Moke, Responsable de sauvegarde sociale et droit humain à AWF dans cet entretien réalisé en marge de l’atelier de formation des rédacteurs d’Afrique centrale sur la gestion des ressources naturelles, organisée par l’African Wildlife Foundation (AWF) en collaboration avec Distory, une agence de communication basée au Kenya, et le gouvernement de la RDC, du 8 au 12 juillet 2024 à Kinshasa. Pour cet expert, il est important de promouvoir une conservation qui place l’homme au centre de tout.

Conservation de la biodiversité basée sur le droit

De quoi est-il question quand on parle de droits dans la conservation?

AWF est une organisation internationale de la conservation de l’environnement créée en 1961. Après 60 ans d’existence, nous avons réalisé que le focus était sur la faune et l’habitat (forêt). C’est alors qu’en élaborant notre nouvelle stratégie qui couvre la période 2020-2030, nous avons intégré qu’il est important de faire une conservation qui place l’Homme au centre de tout. Ce que nous appelons : « Approche de conservation basée sur le droit » qu’il ne faut pas confondre avec les droits humains. Pour nous ainsi que d’autres organisations qui intègrent cette nouvelle approche, nous pensons que les principes de droits humains doivent être intégrer dans notre politique, notre planification et notre mise en œuvre de la conservation en s’assurant, avec nos collègues des aires protégées, que dans tout le travail que nous faisons, les risques d’abus par rapport au respect des peuples autochtones, des communautés locales ou l’impact de nos projets sur les populations locales sont bien gérés. Pour ce faire, nous mettons en place un mécanisme de gestion des plaintes et des conflits (CCMM) pour prévenir et gérer les plaintes et les conflits dans les activités de conservation de la biodiversité de l’AWF. La politique de conservation fondée sur les droits de l’AWF permet de recueillir les griefs et les préoccupations en travaillant avec toutes les parties pour garantir que les problèmes soulevés sont résolus de manière équitable et dans les délais.

Kaddu Visit to Manyara Ranch December 2023

 Y a-t-il un exemple qui permette de comprendre comment ce principe fonctionne?

Je peux vous donner l’exemple du Faro au Cameroun, où se pose la problématique des transhumances. Comme vous devez le savoir, il n’est pas autorisé de paître des troupeaux dans un parc national. Or, des gens y entrent avec des troupeaux. Car la plupart des transhumants ne connaissent pas les limites du parc. Mais dans le cadre de l’approche de conservation basée sur le droit, l’AWF a mis en place l’approche « Tango » qui rassemble les peuples qui parlent la même langue au sein duquel, les bergers sont sensibilisés. Ce qui minimise les risques d’affrontement avec les éco-gardes. L’équipe  « Tango » est en contact permanent avec les transhumants. Pour ce qui est de la RDC, notamment dans le domaine de chasse de Bili-Ueré où il est très difficile d’implémenter la conservation en raison de la présence à la fois des transhumants, des activités d’orpaillage, des conflits armés, cette approche a permis de travailler avec les communautés locales, comprendre les besoins et dialoguer car il faut qu’on se dise la vérité. Quand nous avons commencé la conservation, les communautés n’avaient quasiment pas le droit de s’exprimer. Aujourd’hui avec cette approche, nous sommes capables d’avoir leur feedback sur ce que nous faisons à la lumière de leur culture. Cela les stimule à être partie prenante de la conservation. On ne veut plus faire la police. Notre approche rassemble toutes les parties (peuples autochtones, communautés locales, autorités traditionnelles et administratives). Et à AWF, nous résumons notre message en trois points essentiels que sont : Leading, Living and Carrying.

La politique de conservation fondée sur les droits de l’AWF permet de recueillir les griefs et les préoccupations en travaillant avec toutes les parties pour garantir que les problèmes soulevés sont résolus de manière équitable et dans les délais.

Dodo Moké, Responsable de sauvegarde sociale et droit humain- African Wildlife Foundation

Que signifie cela ?

Par Leading, nous avons besoin de leaders éclairés, surtout les jeunes. Toutes les parties prenantes doivent avoir les capacités pour gérer leurs ressources, leur héritage. Nous devons apporter des alternatives qui incitent les populations à vivre amicalement avec les animaux, la faune. Nous devons chercher les espaces (Carrying). La plus grande menace pour les animaux n’est plus le braconnage mais l’espace, surtout pour les grands mammifères. Dieu nous a donné l’espace et la population est en train d’augmenter. Comment pouvons-nous négocier ces espaces là pour ne plus enfreindre le droit de chacun en permettant que la faune, la flore et le développement africain puissent cohabiter ? C’est dans ce sens-là que l’approche de conservation basée sur les droits nous permet de revenir à l’ancienne méthode où nos ancêtres eux-mêmes étaient des conservateurs. Ils avaient des totems pour protéger certaines espèces. Mais, la conservation est devenue policière et exclusive. Or ce sont les communautés locales qui savent mieux gérer cette faune. Les résultats sont probants. Ça nous permet d’avoir de bonne relation avec les communautés, d’écouter les autres et améliorer notre travail de conservation.

Dans cette approche, quelle est la place de la femme et des jeunes dans la conservation ?

Nous avons notre boussole. La première est la formation. C’est une nouvelle approche et nous ne pouvons pas forcer les choses. Nous formons les éco-gardes aux notions des droits humains, au respect des peuples autochtones, communautés locales par rapport à l’accès aux ressources naturelles. Nous sensibilisons les communautés sur leur droit. Comme ayant-droit, elles ne savent pas à quel moment elles peuvent accéder aux ressources. Nous mettons en place le CLIP (Consentement libre informé au préalable). Avant, on prenait des photos des communautés sans leur autorisation, ou encore la plupart des aires protégés ont été créées sans que les communautés soient activement impliquées. Ce n’est plus le cas dans notre nouvelle approche qui intègre un dispositif externe qui permet d’évaluer notre travail. Enfin à AWF, nous regardons de près les inégalités entre les hommes et les femmes (genre). Il ne s’agit pas de sexe compris comme attribut biologique, mais de rapport de travail. Dans les cercles de décision, les femmes sont exclues. Or, c’est la femme qui est au centre de l’économie africaine. Il est important de la capaciter, de l’autonomiser, et lui apprendre à gérer les ressources qu’elle utilise. Nous avons également la jeunesse qui prendra le relais. Raison pour laquelle nous mettons l’accent sur cet équilibre. Par exemple, notre directrice des ressources humaines est une femme ; de même qu’au moins trois (3) directeurs pays notamment au Kenya, au Zimbabwe et même la directrice de la Communication. Pour dire qu’au niveau d’AWF, nous avons mis l’accent sur les femmes. Mais, le travail de conservation s’effectue dans les milieux trop reculés. Ce n’est pas facile d’y avoir des femmes. Mais dans certains paysages nous les trouvons. Comme au Faro, à Campo au Cameroun, même en RDC. La femme joue un rôle très important dans la conservation.

bonobo, baby, refuge
Bonobo baby living in captivity in refuge

Comment pouvons-nous négocier ces espaces là pour ne plus enfreindre le droit de chacun en permettant que la faune, la flore et le développement africain puissent cohabiter ? C’est dans ce sens-là que l’approche de conservation basée sur les droits nous permet de revenir à l’ancienne méthode où nos ancêtres eux-mêmes étaient des conservateurs.

 

Quelles sont les limites de votre approche de gestion des plaintes?

Bili-Uéré en RDC, est un domaine de chasse complexe qui couvre au moins 60 000 Km2. Soit la superficie de deux ou quatre pays en Europe, or nous avons des fonds limités. Dans un contexte pareil, comment une personne qui vit à 300 kilomètres, peut aisément même s’il a la volonté, déposer une plainte au niveau du siège? Qui couvre le coût de ce déplacement? C’est un grand défi. Nous avons besoin de ressources financières pour intensifier la sensibilisation dans d’autres communautés, chefferie, groupement, canton ou village. Pour le moment, nous nous limitons au village riverain de l’aire protégée pour nous rassurer que notre travail respecte les droits humains et n’affecte pas négativement les communautés. Et si c’est le cas, comment y remédier ?

Nous étudions en ce moment, comment adopter une réglementation comme celle du Kenya qui a prévu des compensations pour les paysans sinistrés par les grands mammifères

Comment travaillez-vous avec les pouvoirs publics ?

Les autorités politico-administratives (préfets, chefs…) autour des aires protégées sont impliquées. Le mécanisme de gestion des plaintes n’est pas un dispositif qui remplace les instances de l’Etat. Il est aligné aux dispositions de chaque pays où nous travaillons. Nous organisons des réunions de réflexion où les directives sont expliquées aux participants issus de la société civile, des médias, des leaders communautaires. Nous recueillons leur avis sur comment faire fonctionner le mécanisme en tenant compte de la réalité locale. Ce qui facilite l’appropriation de cet outil. Dans les villages, nous organisons des réunions de sensibilisation et d’information. Les membres (moniteurs volontaires) de cette instance sont élus par les communautés pour les représenter. Certains ont proposé de responsabiliser les chefs de villages pour recueillir les plaintes en respectant la confidentialité entre autres principes. Quand une question est adressée par la loi du pays, nous diligentons. En Afrique centrale, il n’y a pas de loi qui puni un éléphant qui a détruit une plantation. C’est considéré comme une catastrophe naturelle. Par contre, si une communauté même en représailles blesse ou tue un éléphant, il y a des arrestations et des amendes. Nous étudions en ce moment, comment adopter une réglementation comme celle du Kenya qui a prévu des compensations pour les paysans sinistrés par les grands mammifères, même si cela arrive avec retard.

Réalisée par Nadège Christelle BOWA

à Kinshasa

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