Permis de recherche minière à Batouri : La décision controversée du Pr Fuh Calistus Gentry
Par arrêté N°000206 du 2 juillet 2024, le ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique, Pr Fuh Calistus Gentry, accorde à la société Xin Yuan Mining Sarl, représenté par Hong Wenquiang, de nationalité chinoise, un permis de recherche dénommé « Koubou Est » valable pour or et substances connexes dans l’arrondissement de Batouri dans le département de la Kadey, région de l’Est au Cameroun. Des voix s’élèvent pour contester cette décision qui si sur le plan légal ne présente quasiment pas d’anomalies en regorge pourtant sur bien d’autres aspects. En effet conformément au Code minier en vigueur au Cameroun, le permis « Boubou Est » inscrit sous le numéro 858 dans le Registre Spécial de la Conservation Minière, est valable pour une durée initiale de trois ans, renouvelable trois fois au plus pour des périodes de deux ans chacune (article 2). Ledit permis donne « droit exclusif » à la société susmentionnée, de conduire des travaux de recherche sur toute la superficie du permis estimée à 41 km². Incursion !
Mépris du bien-être des populations
Batouri, vendredi 26 juillet 2024. Les habitants se réveillent peu à peu d’une nuit presque paisible. Le temps s’annonce magnifique. Un beau soleil pointe à l’horizon. Rien ne laisse présager l’imminence des travaux de recherche telle que prévu par l’arrêté ministériel sus-évoqué. Alors que de telles actions nécessitent une large sensibilisation, une large frange de la population ne semble pas être au courant de cette décision et vaque tranquillement à ses occupations. Pour l’heure la quête du pain quotidien à travers l’exercice de petits commerces, la pratique de divers métiers et autres activités comme l’exploitation de l’or dans les villages environnant les préoccupe davantage. Or comme le souligne Gaston Omboli, Coordonnateur du Centre de protection de l’Environnement et de défense des intérêts communautaires (Cepedic), une organisation locale, « Même si c’est une partie de la ville qui est visée par ce permis, c’est toute la ville et donc toutes les populations qui seront impactées parce que la ville de Batouri est petite ».
Comme à l’accoutumée, déplore ce dernier, « les populations ici subissent parce qu’il n’y a pas eu de consultation au préalable. La nouvelle nous est parvenue, nous ne connaissons pas la démarche qui a conduit cette décision venue de Yaoundé, portant octroi d’un permis qui empiète par endroit la ville de Batouri ». Cette décision sacrifie le bien-être des populations d’une ville et des villages entiers pour donner la priorité à l’exploitation de l’or. « Qu’est-ce qu’une exploitation fusse-t-elle de l’or peut apporter à une cité comme Batouri, qui équivale au désagrément causé par la destruction de la ville ? », s’interroge-t-on. Aussi, pour celles qui ont eu vent de cette décision, les populations sont aux abois. C’est le cas de Christian Doula, habitant du quartier Trypano-Barrière à Batouri dont la famille pleure encore la perte d’un être cher. Wilfried Minkonda est mort il y a trois ans dans un éboulement de terre dans un chantier minier, laissant trois orphelins et une veuve. Ces cas sont récurrents.
Batouri comme Kambelé 3…
Ismaël Oloma Oloma, menuisier de profession mais chercheur d’or par nécessité rechigne à donner un avis tandis qu’Issa Léon Abel ne se fait pas prier pour décrier les possibles impacts au regard de l’histoire voire l’actualité des autres villages où des permis de recherches se sont mués en exploitation minière sans que les pouvoirs publics sensés veiller au grain ne lèvent le petit doigt. Au sein des organisations locales, même les plus aguerries en matière de contrôle de la gouvernance minière dans cette localité, on essaie encore de comprendre ce qui se passe. « …Nous attendons de voir l’arrivée de l’entreprise car son nom même est très compliqué. Nous sommes encore en train d’étudier en profondeur le document que nous avons reçu. Mais en l’état, il est difficile de se prononcer », confesse Gaston Omboli. « Dans la zone, on s’est retrouvé avec un panel de permis de recherche qui se sont transformés en autorisation d’exploitation semi-mécanisée alors que ces entreprises n’ont pas fait une recherche en tant que telle et se sont installées sans matériel de recherche. Nous savons faire le discernement entre une entreprise d’exploitation minière et une entreprise d’exploration minière », poursuit-il en guise d’avertissement.
L’engagement financier minimum souscrit pour réaliser les travaux de recherche programmés pendant la durée de validité du permis « Koubou Est » s’élève à 140 millions de Fcfa. « Je suis tombé des nues en voyant ces montants et sans lire tout le document, j’ai compris que quelque chose se trame », s’exclame une source qui se demande « …si le ministre s’est vraiment entouré de techniciens ? Est-ce que le ministre s’y connait ? ». Pour elle, « la recherche dans ce domaine demande beaucoup de moyens, parfois en termes de milliards ». Et le montant alloué pousse à la réflexion. Une interrogation accentuée par l’histoire de l’exploitation minière dans la région. Certes convient cet observateur, « La recherche en elle-même n’endommage pas l’environnement. C’est des sondages, des bornages en forêt, puisque l’entreprise doit faire dans la quantification et la qualification des minerais recherchés. Dans le cas d’espèce, nous nous retrouvons avec de milliers d’hectares dévastés, des puits d’extraction abandonnés dans la forêt qui impactent négativement la population avec les disparitions de personnes, du bétail et l’impact sur l’agriculture dont celle de proximité. Puisque les populations ne peuvent plus cultiver comme par le passé à moins de 500 mètres de la maison ».
Suspicion
« Ils n’ont pas encore sensibilisé les populations, mais ils ont déjà octroyé le permis. Quand le ministre dit que le permis sera modifié, on l’a d’abord octroyé à qui ? Aux chinois ou autres étrangers ? Quand il dit que le nouveau propriétaire sera choisi par les élus locaux, vous comprenez que cela a quitté le cadre technique pour le cadre politique »
A Kambele 3 que l’on cite comme cas d’école, des maisons ont été détruites. Le village a disparu et les populations dispersées. Même la chefferie, dernier rempart a été délocalisée. La recherche devrait-elle impacter autant une ville ? Les supputations vont bon train. « Si tel est le cas, nous n’avons jamais eu de grandes mines ici, même pas de petites mines. Et si jamais, cela impacte la ville, il faudra déguerpir les gens. Pour ce faire, il faudra les dédommager. « Et quand j’ai vu les coûts qui sont dans ces documents… », conclut cette source suspicieuse, confortée dans son analyse par les conclusions d’une rencontre (le 22 juillet) entre le ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique et certains parlementaires du département de la Kadey, pour discuter dudit Permis de recherche de l’or et des substances connexes. Le doute sur les objectifs réels du document persiste malgré les résolutions qui en sont sorties. Notamment l’interdiction de l’exploitation artisanale semi-mécanisée dans la zone de permis ; la protection ou préservation de la ville de Batouri contre les activités minières mécanisées ; la communication car le gouvernement entend expliquer les enjeux du permis Koubou Est ; la modification en ce que le permis sera modifié en faveur d’une personne morale camerounaise, choisie par ces élus de la Kadey ; lesquels en terme de vigilance « peuvent » avec les notables former un comité pour surveiller le respect des règles selon la dernière résolution.
En 2009, rapporte Mingreview.com, African Aura, une société d’exploration dans les domaines de l’or, du fer, et de l’uranium a réalisé des progrès encourageants dans le cadre de son projet aurifère à Batouri. Le rapport d’avancement publié en son temps révèle que les derniers résultats de forage-impliquant 55 trous pour un total de 5 671 m- ont confirmé la présence de ce qu’elle décrit comme « un système aurifère significatif ».
De quoi susciter l’ire des organisations de la société civile locale. « Ils n’ont pas encore sensibilisé les populations, mais ils ont déjà octroyé le permis. Quand le ministre dit que le permis sera modifié, on l’a d’abord octroyé à qui ? Aux chinois ou autres étrangers ? Quand il dit que le nouveau propriétaire sera choisi par les élus locaux, vous comprenez que cela a quitté le cadre technique pour le cadre politique », s’insurge cet interlocuteur. Analysant le contenu desdites résolutions au sujet de la vigilance des élus locaux et les notables, Gaston Omboli pour sa part interroge : « Qu’est-ce qu’ils savent de l’exploration ? Quand ont-ils été formés pour faire la différence entre l’exploration et l’exploitation ? Si oui pourquoi n’ont-ils pas dénoncé les anciens permis de recherche qui sont devenus les permis d’exploitation ». Et de souligner : « Nous attendons de voir comment l’entreprise va s’implanter ». En attendant, avec des partenaires plus aguerries, ces organisations se préparent à défendre les intérêts des communautés dont elles pressentent les futurs déboires. « Une société qui veut s’installer pour faire de la recherche devra prouver qu’elle dispose de moyens et du matériel approprié pour une telle entreprise. Parce que si vous vous installez avec des pelles excavatrices, les poclains et les camions, il est clair que ce n’est plus l’exploration. Si tel est leur cas, avec les populations, on leur fera comprendre que les choses ne marchent pas comme ça », indique une autre source.
Agenda caché…
Moins diplomate, cette dernière ne comprend d’ailleurs pas « sur quelle base le permis de recherche a été attribuée car l’entreprise devait d’abord prouver qu’elle a les capacités de faire la recherche sur le plan financier, matériel et technique. A-t-elle par exemple un laboratoire pour pouvoir analyser la qualité des produits ? », relève-t-elle, dénonçant au passage les termes « substances connexes » qui à son avis ouvrent un champ d’exploration inconcevable dont la recherche du cobalt, du nickel, voire du diamant… Cette source ne comprend pas également la nécessité d’octroyer un permis de recherche à une autre entreprise quand il existe des résultats de recherche dont les pouvoirs publics ont fait peu de cas. « Où sont passés les résultats de la recherche menée par African Aura Mining », se demande un militant de l’environnement. En 2009, rapporte Mingreview.com, African Aura, une société d’exploration dans les domaines de l’or, du fer, et de l’uranium a réalisé des progrès encourageants dans le cadre de son projet aurifère à Batouri. Le rapport d’avancement publié en son temps révèle que les derniers résultats de forage-impliquant 55 trous pour un total de 5 671 m- ont confirmé la présence de ce qu’elle décrit comme « un système aurifère significatif ».
En clair, l’étude révèle « un potentiel minier très important en termes d’or. Ils ont trouvé une des plus grande roche aurifère du pays voire de l’Afrique centrale au niveau de Kambele que les chinois grattent s’enrichissant en termes de milliards au détriment de l’environnement et des populations. L’Etat ne contrôle presque pas cette action », dénonce ce militant qui se souvient qu’il se murmurait alors que « la Kadey au regard de ces résultats accueillerait la grande mine. Maintenant c’est la semi-mécanisation faite par des entreprises qui n’ont jamais fait de recherche. A la place, elles ont plutôt déguerpi les populations », regrette-t-il ajoutant que : « Ces entreprises qui ne disposent même pas d’une autorisation d’exploitation semi-mécanisée, se sont installées sur des anciens permis d’exploitation que les ministres ont distribué à leur frère avec qui ils ont fait des « joint-ventures », c’est dire qu’ils sont des partenaires technico financiers, et obtenus à l’intérieur comme la loi le leur permet, des autorisations d’exploitation artisanale. Il y a un flou tel qu’une petite organisation comme la nôtre a peur d’être écrasée si on lève trop la tête », argue-t-il prudent.
De toute façon, il y a un agenda caché derrière cette histoire. Il n’est pas exclu que ce permis de recherche empiète les domaines déjà explorés par African Aura. On n’a plus besoin de faire des recherches à Batouri, on a besoin d’exploiter comme en Afrique du Sud et l’Etat prélève les dividendes. Ça crée des emplois, on parle d’explorer. En tout cas cette affaire de permis là, on va sauf que bien voir ce qui se trame
Examinant de près le rapport de la concertation suscitée, il commente : « La seule erreur qu’ils reconnaissent, c’est d’avoir concédé le permis à un chinois et il faut maintenant trouver un camerounais à tout prix. Mais combien de camerounais ont des entreprises qui font dans la véritable recherche ? Ces entreprises sont où ? Si elles ont fait leur preuve, où sont les résultats de leur recherche ? ». Pour lui, « le domaine de la mine est très complexe. Ça devient davantage compliqué. L’Etat devrait organiser des concertations avec des experts pour mener ce genre d’action. Mais quand sur le tard, il engage les élus locaux à trouver la personne morale indiquée, n’est-ce pas ouvrir la voie au tripatouillage ? », interroge-t-il. Et d’ajouter : « Ils ont ouvert les yeux, on leur a donné un bon pain et ils ne seront plus regardant sur ce qui va se passer car la bouche qui mange ne parle pas », dénonce-t-il avant de conclure excédé : « De toute façon, il y a un agenda caché derrière cette histoire. Il n’est pas exclu que ce permis de recherche empiète les domaines déjà explorés par African Aura. On n’a plus besoin de faire des recherches à Batouri, on a besoin d’exploiter comme en Afrique du Sud et l’Etat prélève les dividendes. Ça crée des emplois, on parle d’explorer. En tout cas cette affaire de permis là, on va sauf que bien voir ce qui se trame ».
Nadège Christelle BOWA