Batouri-Kambelé : Pourquoi le procès de jeunes morts dans une mine piétine
Wilfried Minkonda et ses compagnons d’infortune sont décédés dans un chantier minier au petit matin du 14 août 2022. Près de deux ans après le procès intenté par leurs familles contre l’entreprise propriétaire du site, le tribunal n’a pas encore rendu son verdict. Alors la prochaine audience est annoncée pour le 27 août 2024, Mme Wang, propriétaire dudit chantier sollicite un arrangement à l’amiable. Mais les montants proposés semblent dérisoires. A l’ombre, des mains occultes font pression sur les familles des victimes. Lecture !
Koumbetiko, dans l’arrondissement de Kette, département de la Kadey (région de l’Est au Cameroun). Une partie de la rivière Moré a été transformé en chantier minier. Sur le site ce mardi 30 juillet 2024, un engin excavateur travaille à creuser. Le chantier d’exploitation d’or alluvial appartiendrait à un camerounais qui dans son deal avec la communauté riveraine, leur permet de glaner de l’or à ses côtés. Le conducteur est bien malin. Car une fois qu’il a identifié un point, il prend le soin de le recouvrir, fabriquant au passage des montagnes de terres instables. Sous l’un d’eux par cet après-midi brumeux, hommes et femmes dont certaines avec leur bébé au dos s’activent. Soudainement un grosse motte de terre se détache, l’homme en dessous a juste le temps de l’esquiver en poussant un grand cri. Il a eu de la chance cette fois. Une chance dont n’ont pas bénéficié le jeune Wilfried Minkonda et quelques compagnons d’infortune, aux premières heures du dimanche 14 août 2022 sur un des sites d’exploitation minière appartenant à la chinoise Mme Wang, dans la localité de Kambélé 3, Boukarou (arrondissement de Batouri).
« Depuis la disparition de mon frère, nous passons des moments difficiles. Le fait de perdre un être cher n’est pas facile. Avec la famille, nous avons essayé de voir ce qu’il y a lieu de faire. Nous avons demandé l’aide du gouvernement, rien ! Mais, Dieu a exaucé nos prières en envoyant des hommes de bonne foi au travers de certaines organisations non gouvernementale pour nous aider à voir clair dans cette affaire et obtenir justice dans ce drame », confie Ghislain Doula, le grand frère du défunt, près de trois ans après le drame. Ses parents ne se sont pas encore remis de la disparition tragique de leur enfant. Et, ils ne sont pas les seuls dans cette situation. Philomène Mbangoe du village Kambele 1, y a perdu son unique enfant, Rodrigue Maroro, qui lui a laissé à charge trois enfants dont le dernier est né après le drame. Vieillie par la douleur, la dame à qui on donnerait les 70 ans, n’en a même pas 60 selon une voisine. Ce jour, l’apassa, un plat fait à base de feuilles de manioc, de sel et piment comme unique ingrédient, accompagné de boule de manioc (fufu), lui sert de repas pour la journée. C’est d’ailleurs le cas tous les autres jours. « Le jour où le Seigneur me fait grâce, je peux me permettre d’y ajouter un peu de poisson pour nourrir mes petits-enfants », confie-t-elle.
Misère
Ne se fait-elle pas aider par sa bru, la mère de ces derniers ? « La veuve a ses envies. Elle est jeune. Je ne pouvais pas la retenir avec moi, pour lui offrir quelle vie ? », défend-t-elle. Elle-même veuve, maman Philomène menait sa vie avec son défunt fils et sa maman, elle-aussi décédée trois semaines avant le passage du reporter. L’agriculture de subsistance qu’elle pratique ne permet pas de subvenir convenablement aux besoins de sa famille. Son espoir de s’en sortir résident désormais dans le dédommagement qui pourrait découler du procès contre Mme Wang. L’affaire est pendante au tribunal depuis près de deux ans. « Des nouvelles qui nous sont parvenues à l’époque est que l’entreprise qui avait laissé le trou béant avait promis de dédommager les familles endeuillées. Jusqu’aujourd’hui, nous n’avons pas de suite. Je ne sais pas ce qui se passe. Nos parents sont abattus. Le défunt a laissé deux enfants. On essaie de joindre les deux bouts », renseigne Ghislain Doula. Selon son cousin, Ismaël Aloma Aloma, la dernière audience qui s’est tenue la première semaine du mois de 2 juillet 2024 a été reportée au 27 août prochain. Une date que confirme le conseil des victimes, Me Dieudonné Tedjisse : « On avait mis en délibéré et le conseil de Mme Wang avait demandé le rabattement du délibéré parce qu’il estimait trouver une transaction avec les ayant droits des victimes. A défaut d’avoir un jugement dans lequel les gens vont commencer à faire appel, ce serait bien si on peut trouver un terrain d’entente pour qu’on puisse les indemniser », explique ce dernier qui avoue qu’il est préférable de « saisir la main tendue par les chinois afin que les familles des victimes reçoivent une indemnisation considérable et qu’elles puissent sereinement faire leur deuil ».
Mais à ce jour, même de ce côté-là, la transaction stagne. « Me Jean Jacques a rejoint Mme Wang qui est actuellement au Mali et qui sera de retour avant le 27 août et qui offre de régler cette situation », affirme Me Dieudonné Tedjisse, selon qui, si les choses se passent bien, tout sera régler avant la prochaine audience. Et ce sera maintenant au ministère public de se saisir de l’affaire car, « La vérité est que les chinois n’ont pas respecté le cahier de charge à savoir fermer les excavations à l’issue des exploitations. Si cela avait été fait, les gens ne seraient pas tombés à l’intérieur ». L’avocat craint par expérience que ce volet du procès n’ait cependant jamais lieu parce que « la plupart des autorités là-bas sont mouillées par ces gens. C’est un pays corrompu jusque dans la moelle », accuse-t-il avant d’ajouter : « Ce n’est pas la responsabilité de l’Etat de fermer les excavations. C’est aux concessionnaires de le faire. L’Etat doit plutôt engager des sanctions à l’égard des contrevenants et l’article 205 de la Loi de 2016/017 portant Code minier, dispose qu’avant tout contentieux, il faut une transaction préalable avec les contrevenants, malheureusement, le délégué des Mines, le ministre des Mines et tous les autres directeurs là-bas mangent seulement dans cette assiette-là ».
Corruption
Le drame objet du procès contre Mme Wang a emporté au total trois jeunes gens et fait quatre blessés. « Ce que nous reprochons à cette entreprise est d’avoir tué des membres de nos familles. Après avoir exploité l’or, normalement ce qu’il faut faire, c’est de refermer ces trous tellement profonds qui vont de 25 à 50 mètres de profondeur pour ne pas que ce genre d’incident arrive. Le fait de ne pas refermer ces trous causent des décès. Parfois quelqu’un peut à une heure tardive être de passage, tombe dans le trou et succombe », déplore Doula, dont la famille fait partie du collectif des victimes au tribunal. D’après ce dernier, son frère a laissé des enfants dont il faut s’occuper. « Nous n’arrivons même pas à envoyer ses enfants à l’école vu nos propres charges. Le père est vieux et malade. Maman a beaucoup de peine comme cultivatrice. Nous avons besoin de ce dédommagement pour prendre soin des enfants », affirme-t-il. « Nous souhaitons que le tribunal mette le point sur les I. Qu’il diligente ce procès. Les parents sont en train de vieillir. Mon papa est incapable de marcher. S’il décède, franchement, je ne sais pas qui pourra continuer à gérer ce dossier. Que le tribunal mette un peu de pression à cette structure pour que l’affaire soit close le plus tôt possible ».
Pour cette « éventuelle » transaction à l’amiable, « nous avons demandé un minimum 25 millions de Fcfa par famille. Ce qui ne représente même pas le prix de vente d’un lingot d’or estimé à au moins 30 millions de Fcfa », précise-t-il. Avant de déplorer : « Et pendant que nous discutons de cela, certaines autorités de la place s’arrangent à vouloir extirper les familles du processus pour trouver des solutions désavantageuses pour ces familles. Car pour vous dire vrai, Mme Wang arrose tout ce monde ». Elle en aurait les moyens. Dans un ouvrage publié en 2022 par le Centre pour l’Environnement et le développement (CED) en collaboration avec l’organisation Publish What You Pay intitulé « Cameroun : l’or, secteur miné, la mine artisanale semi-mécanisée au Cameroun », les auteurs estiment que : « Suivant les estimations fiables, les artisans produisent 100 kg d’or par mois, soit environ 1,2 tonnes par an, dont 90% échappent au circuit formel », contre 456,6 kg et 319,6kg d’or, indiqué dans les Rapports du Cameroun dans le cadre de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives pour les années 2018 et 2019 qui concernent bien entendu la totalité des localités de production d’or de la région de l’Est dont Batouri où pour le cas d’espèces, opère Mme Wang. En attendant l’issue de ce procès, les populations continuent de visiter les chantiers abandonnés ou non. Pour réduire les risques qui en découlent, Me Dieudonné Tedjisse recommande la sensibilisation, une activité régalienne des pouvoirs publics auprès des populations. « En Afrique du Sud par exemple, les exploitants font des barrières autour des chantiers miniers, mais au Cameroun… », rapporte cet avocat au Barreau du Cameroun.
Nadège Christelle BOWA