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Rentrée scolaire et académique: Le casse-tête des familles nombreuses au Cameroun

 Alors que leurs camarades enregistrent déjà des semaines de cours intensifs et pensent pour certains déjà à la première séquence, beaucoup d’élèves sont encore à la maison. Faute de ressources, certains parmi eux seront contraints d’arrêter pour céder la place aux cadets, aux garçons, etc. Les parents confrontés au difficile choix de privilégier l’un ou l’autre de leur progéniture parce que leur nombre sont au dessus de leur revenu. Résultats, déperditions scolaires et les conséquences qui en découlent.

Agée d’une quinzaine d’années, Belvira est l’aînée d’une fratrie de six enfants. Pour la troisième année consécutive, l’adolescente vient de rater le Bepc et risque selon ses dires de ne plus retourner à l’école pour cette année scolaire 2018-2019. Pendant toutes les vacances scolaires pourtant, elle a vendu des sandwiches de pain et de peau de bœuf afin de pouvoir rassembler de l’argent nécessaire au paiement de sa scolarité. Mais semble-t-il, il y a en pas suffisamment pour tous. Et il faut faire un choix. « Ah ! Elle connaît déjà même écrire son nom », commente Odile, sa maman presque sentencieuse. C’est d’ailleurs quasiment sur cette ménagère que repose les charges du foyer. « L’homme te donne quoi ? Le jour où tu as la chance, il te lance même 1000 Fcfa pour la ration, hum ! Et c’est sur lui que tu vas compter pour payer l’école ? », interroge Odile, un sourire forcé.

Dès lors, pour subvenir aux charges de la maisonnée, la dame se fait aider aussi bien par Belvira que sa petite sœur. Au quartier, beaucoup attribue les fréquents échecs scolaires de la jeune fille à la surcharge de travail qu’occasionne le petit commerce qu’elle est obligée d’exercer afin de contribuer financièrement aux charges de la famille. Car, clairement, ici, les revenus ne permettent pas de vivre convenablement. Aujourd’hui, l’avenir de l’adolescente est fortement compromis. Près de 3 semaines après la rentrée scolaire, elle n’a toujours pas repris le chemin de l’école.

Stress permanent

Cadre dans une entreprise de la place, Yvan est père de quatre enfants dont deux issus de relations de sa jeunesse. Son statut social devrait le mettre à l’abri des soucis liés à la rentrée scolaire. Mais, il n’en est rien à en croire son épouse. « On n’a même pas encore fini la pension des enfants que l’école exige pour éviter les non paiements que les responsables enregistrent au fil des ans », explique Gaëlle Kamga. La raison, en dehors de ses enfants, son époux doit s’occuper des enfants de cousins, de tantes et d’oncles qui ne peuvent pas le faire à cause d’un nombre élevé d’enfants à charge et des revenus peu adaptés à leur situation. Ces derniers, à la rentrée scolaire se déchargent sur lui pour les manuels scolaires, les frais de scolarité.

Il est très souvent aussi solliciter pour régler les problèmes de santé, des obsèques, etc. Pour ne pas être taxé par les membres de cette famille élargie de « riche chiche » et subir de ce fait, leurs foudres, Yvan est contraint de contribuer parfois au péril de la sécurité financière de sa famille nucléaire.  Des cas similaires à celui de Belvira ou d’Yvan sont légions dans notre pays. Et les conséquences visibles et connues (voir interview). Pour les parents, le stress est énorme. Dans les banques, beaucoup ont pris des crédits scolaires qu’il faudra rembourser en faisant des sacrifices proportionnels au nombre d’enfants à charge. Des sacrifices d’autant plus douloureux que le salaire ne varie pas sur la base du nombre d’enfants. Pour certains la violence va se poursuivre avec la rentrée académique dans les universités annoncé en octobre prochain. Et là aussi, beaucoup d’enfants pourtant brillants risquent de suspendre leur cursus. En dépit de ce tableau sombre, des solutions existent pour s’éviter des soucis et des accidents cardio-vasculaires liés au stress permanent.

Nadège Christelle BOWA

INTERVIEW

Youssouf Ouedraogo

« La planification familiale est un gage d’une meilleure éducation des enfants » 

youssouf UnfpaEt si la planification familiale était la solution ? L’éclairage du sociologue Youssouf Ouedraogo, Coordonnateur du Programme d’appui à la planification à l’Unfpa. Le spécialiste des systèmes de santé déploie au-delà des évidences économiques avantageuses de la planification familiale, les autres privilèges qui se recrutent jusque dans l’harmonie du couple. A l’Unfpa, ses responsabilités incluent l’appui au gouvernement du Cameroun et autres partenaires dans le domaine de la PF.

Au Cameroun, les élèves ont repris le chemin de l’école le lundi 3 septembre dernier. Mais dans plusieurs familles, de nombreux enfants ne vont pas aller à l’école à cause du manque de moyens. Selon vous, seule la pauvreté peut-elle empêcher l’éducation des enfants ?

La question est beaucoup plus profonde voire complexe quand vous prenez la définition du mot « éducation » dans le milieu traditionnel, dans un contexte moderne, nationale ou dans une perspective de la mondialisation. L’éducation est le paquet de connaissances qui permet aux enfants, aux individus de se socialiser, de s’intégrer et de contribuer à l’avenir de la famille, de la société. Au niveau de notre société traditionnelle, l’éducation se faisait en dehors de tout ce que nous avons aujourd’hui. Mais le monde a changé, le système d’éducation se trouve maintenant dans une phase de transition où on est à cheval entre la socialisation de l’enfant dans la culture d’origine, l’intégration de l’enfant dans la culture et le contexte national et aussi l’éducation et l’intégration de l’enfant dans ce monde global auquel nous appartenons. Donc le contenu de l’éducation devient plus complexe. Il a plusieurs composantes qui font que y satisfaire nécessite forcément des moyens qui dans la société traditionnelle n’existait pas. Donc vous devez les inscrire dans une école, payer les frais de scolarité ; assurer certaines charges comme le goûter, le transport et lorsqu’ils doivent passer d’un niveau à l’autre, les coûts augmentent. Du coup, on se rend compte que ce type d’éducation entendu pour que l’enfant soit une contribution pour la famille, la société ou le monde vient avec un coût.

Si je comprends bien, vous dites que dans notre contexte, il est difficile voire quasiment impossible d’éduquer ses enfants en vue de le rendre utile quand on est pauvre ?

Je ne voudrais pas être aussi péremptoire. Parce que quand vous dites pauvre, ce n’est pas pour autant que vous ne pouvez pas donner une éducation à un enfant. Mais la définition de l’éducation, celle que nous approchons, qui correspond à notre mode de vie actuel. Ce serait un abus de dire que je suis pauvre, je ne peux éduquer mon enfant. L’aspect économique intervient dans le choix de société que nous avons. Nous faisons parti de cette société mondiale et nous avons souscris à ce mode d’éducation moderne et ceci rend difficile l’adaptation et la réconciliation entre le manque de moyen et l’attribution du paquet de connaissances du savoir faire nécessaire pour être en parfaite harmonie avec notre environnement.

L’éducation vous l’avez relevé est assez globale. Mais peut-on dire que la réussite des enfants est une affaire de chance ?

Non ! Vous êtes d’accord avec moi que vous ne pouvez pas aller au Baccalauréat la tête vide et dire que vous comptez sur la chance. Le hasard se définit comme la rencontre de séries causales indépendantes. Donc quelle est la probabilité de réussir si vous abandonnez votre éducation ? Il ya un besoin d’engagement proactif qui tienne compte aussi des critères et des conditions sociales environnantes pour que l’éducation soit. Bien sûr comme je l’ai mentionné tantôt, lorsque vous n’avez pas les moyens, vous ne pouvez pas faciliter justement l’intégration de vos enfants dans ce contexte sociétal national et mondial.

On va comprendre qu’il ne sert à rien par exemple d’avoir six enfants lorsqu’on ne peut pas assurer leur éducation et investir pour leur réussite scolaire.

Il faut admettre que si vous avez six enfants, vous devez à la rentrée scolaire être à mesure de les mettre dans de très bonnes conditions pour qu’ils puissent être productifs, suivre et acquérir des connaissances (scolarité, transport, repas, santé…) Par ailleurs, il faut que vous puissiez être présent à l’école. S’ils ne sont pas au même niveau, vous devez avoir suffisamment de temps pour le suivi des enfants avec les enseignants ; vous devez assurer leur santé, etc. Beaucoup d’enfants demandent beaucoup d’investissements. Au regard des revenus moyens, on se rend compte que les revenus de la majorité des familles ne leur permettent pas d’assurer un suivi effectif des enfants selon les normes établies.

D’où probablement l’intérêt pour les familles de planifier les naissances que les autorités camerounaises accompagnées par des institutions comme l’UNFPA promeuvent depuis quelques années ?

En 1994, avec la conférence sur la population, il y a eu une prise de conscience et une interpellation justement sur l’importance de la planification familiale. A l’heure actuelle, pratiquement tous les pays du monde reconnu que la planification familiale est un droit humain au regard de tout ce qu’elle a comme bienfaits que ce soit sur le plan de la santé, de l’économie, social…Et partant, le Cameroun et d’autres pays a souscrit à cela. L’Unfpa accompagne les pays justement pour leur choix en leur apportant l’appui nécessaire pour que la planification familiale soit accessible à toute personne qui en a besoin. Pour ce qui est de l’intérêt pour la famille de planifier, vous avez déjà identifié un des éléments liés à l’actualité à savoir la rentrée scolaire. Beaucoup de parents ont des difficultés pour caser leurs enfants dans les écoles. Même à Yaoundé, on a remarqué que la criminalité augmente avec la rentrée scolaire. Il y a beaucoup plus d’agressions, etc. Cette insécurité peut trouver un lien direct avec justement le souci d’avoir des ressources pour faire face à cette nécessité.

Egalement, on peut voir qu’au-delà de l’aspect évident économique, il faut aussi surtout mentionner le volet santé. La planification familiale permet aux femmes d’être autonomes. On n’a pas encore une bonne chaine sociétale avec une forte implication des hommes, donc toute la charge retombe sur la femme ce qui la rend un plus défavorisée que la gent masculine. Les femmes qui se retrouvent à avoir des grossesses annuelles, fragilisent leur utérus avec justement le risque de rupture utérine pendant l’accouchement. Ce qui contribue fortement à la mortalité maternelle. Pour la santé de la femme, il y a nécessité d’espacer les naissances afin que l’utérus se repose avant la prochaine grossesse. Il y a aussi ce volet de lien et de relation entre parents et enfants. Lorsque vous vous retrouvez avec plusieurs enfants à la suite, vous n’arrivez plus à donner à chaque enfant, le contenu affectif chronologique nécessaire pour sa croissance harmonieuse. En termes d’harmonie du couple, lorsque les problèmes de finances et autres s’incrustent dans la gestion de la famille. Ce n’est pas toujours évident que le couple puisse discuter de ces aspects financiers et ça crée justement des troubles, des dissensions liées aux défis rencontrés. Il faut dire qu’il y a beaucoup de bienfaits non seulement pour la femme, pour le mari qui peut aussi se retrouver dans une condition d’harmonie et de bien être. La planification familiale contribue aussi à la santé mentale et à la sensation quotidienne de bonheur aussi bien des hommes que des femmes. De ne pas avoir à gérer les grossesses non désirées ou des naissances non planifiées qui exposent certains membres à la dépression. Il y a aussi le bien être des enfants comme je l’ai mentionné, où des individus courent le risque d’entretenir des relations non épanouies, une relation pas harmonieuse avec leurs enfants si les naissances ne sont planifiées.

Dans nos sociétés notamment Bantou, avoir un nombre élevé d’enfants est un signe de richesse. Du coup, dans l’imaginaire populaire, quand on parle de planification familiale, certains y voient tout de suite l’obligation de limiter le nombre d’enfants qu’on voudrait avoir. Quel est l’avis de l’expert sur cette question ?

Dans les conceptions sociales, il y a toujours une fonctionnalité qui vient avec. Ce que vous venez de dire, correspond à une compréhension de la société Bantou qui correspondait à la société de l’époque. Pour mon cas, ma grand-mère avait 6 enfants mais le seul qui a survécu est mon père. Cela veut dire que si ma grand-mère n’avait qu’un enfant, elle se serait peut-être retrouvée sans enfant. Et pour une femme, c’est se retrouver sans accompagnement, sans support, etc. Dans les sociétés traditionnelles anciennes, la santé posait un énorme problème. En cas d’épidémie, les enfants mourraient. Il n’y avait pas la vaccination, donc il y avait des risques de mortalités élevés. Aussi, les naissances avaient justement cette fonctionnalité et les enfants se faisaient à l’aveuglette. Mais le concept n’est pas nouveau car dans la société traditionnelle, quand la femme accouchait elle partait un an ou deux dans sa famille. L’autre élément est que l’organisation sociale correspondait à une époque précise et la perspective correspondait justement à une perspective de projet de société défini. Dans une évolution sociale, vous vous retrouvez toujours avec des pratiques sociales qui sont dépassées, qui ne remplissent plus leur fonction d’antan mais qui parfois sont toujours maintenues dans un nouveau contexte. Mais qui en fait n’est plus approprié pour le maintien de cette fonction sociale. Le manque d’information et de communication et d’éducation sur la planification familiale explique la pérennité de ces rumeurs. Si le public a toutes les informations, il est certain que les gens feront des choix éclairés pour ce qui est de la fréquence des accouchements et du nombre d’enfants.

Vous soutenez donc que la planification familiale offre l’opportunité d’une meilleure éducation des enfants ?

Oui ! La planification familiale est un gage d’une meilleure éducation des enfants. Elle offre bien sûr tous les avantages. Ce que beaucoup ne savent pas est que les services de planification familiale luttent aussi contre la stérilité. Pour ces femmes qui n’arrivent pas pour une raison ou une autre à avoir des enfants, les services de planification familiale intègre l’accompagnement et l’assistance pour qu’elles puissent procréer. Mais ce n’est pas qu’une question de santé. Il y a tout un volet économique. Vous avez entendu parler du dividende démographique où le Minepat est très engagé. C’est tout un autre volet qui inclut la planification familiale qui a un rôle à jouer pour l’accomplissement du dividende démographique. Lequel consiste à faire en sorte que le nombre de personnes qui travaillent soit plus grand que la population qui ne travaille pas. C’est une thématique en définitive multisectorielle qui interpelle tout le monde (administrations, parents, etc.).

Réalisée par

Nadège Christelle BOWA

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