Tension foncière : Le préfet de l’Océan exclut les jeunes de Campo de la discussion de crise
Alors qu'ils sont présentés comme ''le fer de lance de la nation '', les jeunes de la localité de Campo dans la région du Sud au Cameroun, à l'origine du mouvement d'humeur observé vendredi 17 janvier 2025, ont été ignorés lors de la convocation de la réunion de ''sortie'' de crise, prévue à Kribi au lieu de Campo comme exigé par les manifestants. Cette rencontre convoquée pour les 29 et 30 janvier 2025, porte sur l’évaluation des cahiers de charges entre la société Camvert SA et ses partenaires locaux. A noter que le non-respect des engagements pris dans ce cadre fait l’objet des revendications de la jeunesse de Campo. Lire les réactions des chefs traditionnels et élites de Campo.
Mardi 21 janvier 2025. Quelques jours après le mouvement d’humeur des jeunes qui a secoué la ville de Campo dans la région du Sud au Cameroun, seules « les têtes brûlées » osent s’exprimer à visage découvert. Par peur de représailles ou sous le prétexte de la tenue d’une prochaine réunion de crise, les autres refusent de parler ou acceptent de le faire sous le couvert de l’anonymat. Comme ce jeune rencontré sous le couvert d’un bosquet qui revient sur le film des évènements du vendredi 17 janvier 2025 où des jeunes en colère ont barricadé la route empêchant toute circulation notamment des engins des agro-industrie Camvert, Boiscam et Sophony pour protester contre le non-respect des cahiers de charges signé entre ces compagnies et les populations locales. Interpellés par les forces de l’ordre, les manifestants qui ont pris d’assaut le carrefour stratégique du village Biba, ont été conduits à la brigade de Campo, troublant la tenue du Conseil municipal prévue le même jour. Etablie à Campo dans la région du Sud depuis 2019, Camvert SA a obtenu en mars 2022 une concession provisoire de plus de 40 000 hectares, dans des circonstances peu transparentes.
Un projet qui a contribué fortement à la violation des droits des communautés locales et autochtones dont la survie dépend essentiellement de la forêt. C’est aussi, selon Greenpeace Afrique, « une arme de destruction massive de la biodiversité que le Cameroun s’est pourtant engagé à préserver. Au cours des dernières années, les populations riveraines ont également été confrontées à des incursions d’animaux en divagation, conséquences directes de la destruction de leur habitat naturel », peut-on lire dans leur communiqué. « Un cadre de dialogue s’impose pour que les différentes parties prenantes aient un espace sûr et structuré pour discuter et trouver des solutions à leurs différends. Toutefois, ce cadre de concertation ne pourra être efficace que si les résolutions prises sont implémentées. Or, jusqu’ici, Camvert a brillé par le non-respect de ses engagements et la violation de la loi en vigueur au Cameroun, toute chose qui alimente la colère des populations riveraines et l’indignation des organisations environnementales », regrette Stella Tchoukep, Chargée de la campagne Forêt chez Greenpeace Afrique.
Filouterie
La tenue d’une réunion est le vœu des populations rencontrées à Campo. Qu’il s’agisse des jeunes, des chefs traditionnels ou même de l’élite locale qui dénoncent au passage, la roublardise de Camvert. « Les responsables de Camvert n’ont pas le droit de signer une convention avec Socapalm à qui ils vendent aujourd’hui les noix de palme au lieu de les transformer sur place comme c’est stipuler dans leur fameux projet », invoque Jean Mbili, Enseignant à la retraite élite de l’arrondissement de Campo. Pour qui : « Si les dirigeants de Camvert se trouvent dans l’incapacité de poursuivre leur projet, ils n’ont qu’à rétrocéder leur palmeraie aux communautés : voilà une autre revendication des populations ». En effet, dans une pétition contre ces grandes entreprises signée le 20 novembre 2024 et adressée à Francis Igor Bamock, sous-préfet de Campo, les populations riveraines l’arrondissement de Campo, les populations dénoncent : «Violation des droits de la communauté riveraine Mvae-Mabi ; Non-respect des obligations préétablies du cahier de charges ; Non aboutissement du PTA exercice 2023 ; Non existence du PTA exercice 2024 ; Trafic d’influence sur les autorités traditionnelles ; Irresponsabilité notoire dans la prise en charge des accidents de travail ; Dégradation de l’écosystème : destruction des champs villageois par les éléphants ». Sous le motif d’un déplacement urgent à Kribi, ce dernier n’a pas honoré au Rendez-vous pris la veille.
A ces griefs s’ajoutent : « le Pillage forestier hors zone d’exploitation ; Non existence d’une politique conventionnelle (cahier de charges) ; Non versement des redevances foncières ». Appelée de tous leurs vœux, la réunion que les jeunes de Campo attendent a été programmée. Malheureusement, elle se tiendra à Kribi et les jeunes n’y sont pas invités, ce qui signifie que leurs préoccupations ne seront ni écoutées ni prises en compte. Dans une sortie épistolaire du 23 janvier 2025, le préfet du département de l’Océan, Nouhou Bello, Administrateur Civil principal, convoque les 19 chefs traditionnels riverains des compagnies suscitées pour un « atelier d’évaluation des cahiers de charges entre la société Camvert SA et ses partenaires locaux que présiderai du 29 au 30 janvier 2025 à hôtel Framotel Kribi ». Un second message porté du préfet convoque pour cette même activité, différentes personnalités- citées nommément sans que leur qualité soit précisée- résidant à Yaoundé, à Libreville au Gabon, à Ebolowa, Maroua, Kribi, Bafoussam, Campo. Alors qu’ils sont constitués et identifiable en entité autonome, les jeunes ont été « majestueusement » ignorés par le préfet de l’Océan. L’autre filouterie identifiée est la tenue de cette réunion hors de Campo, pourtant c’était l’une des résolutions de la cessation des manifestations du 17 janvier 2025. Dans ces conditions de départ, l’avenir interroge !
Nadège Christelle BOWA
De retour de Campo
Réactions
Notre salaire, c’est l’intimidation à la préfecture de Kribi
J’ai demandé aux enfants de m’associer à la manifestation qu’ils ont organisée. Mais ils ont refusé en disant que j’ai été menacé à Kribi. Qu’on laisse d’abord la page là passer. Mais je vous pose la question : est-ce qu’on est des étrangers au Cameroun ? je crois qu’un citoyen camerounais a la possibilité de revendiquer ces droits. La revendication qu’on fait ne doit pas entrainer la menace. A Campo, nous ne voulons pas la violence. Le Cameroun est un pays de droit. Si quelqu’un revendique quelque chose, on doit la lui remettre […] Sur plus de 300 projets qu’o a demandés, il n’y a qu’un seul forage qui a été réalisé à Mabiogo par Camvert. Les responsables de ces entreprises nous voient, nous les chefs, comme des chiffons. Notre salaire, c’est l’intimidation à la préfecture de Kribi.
J’ai demandé un forage, La case passage, Les écoles, rien…
Nous voulons que Camvert marche comme on a commencé au début. On ne dit pas que nous ne voulons pas de Camvert. Au niveau de ma chefferie, j’ai demandé un forage. Rien ! La case passage, rien. Les écoles, rien. Je suis le plus ancien des chefs. Je suis en service depuis 2004. Au début Camvert était bien avec nous. Après ils nous ont lâché. Cela fait environ trois ans qu’on ne les voit plus. Monsieur Aboubacar était ici. Il a promis de nous donner tout ce qu’on demande…
On me demande d’acheter les équipements de protection
Je suis native de Campo et je travaille à Camvert depuis le 21 août 2019. C’est surprenant. Je suis de Campo, depuis 5 ans que je travaille à Camvert, je n’ai pas de poste. Je marche sous le soleil et la pluie. Une maman comme moi. Il me reste deux ans pour atteindre 60 ans. Les gens qui viennent après moi sont ceux qu’on favorise. Quand je demande l’équipement pour être protégée, mon chef me répond que ‘tu peux toi-même acheter’. J’entends que j’ai le matricule mais il ne sert à rien. Je pars de chez moi à 4h du matin et pour que mes 8 heures de travail soient comptées, je dois remplir six sacs de noix. Alors que certains qui travaillent de 6h à 7h ou 10h, ont pointé leur journée. Si je dis ‘je’, c’est que nous sommes beaucoup. C’est dans la forêt qu’on nous envoie chercher les fruits pour remplir les six sacs. On nous interdit de remasser les fruits sur les gares.
Réalisée à Campo par NCB