Ange Mbeutcha Ngantcha: « Les accouchements à domicile gênent la vaccination de routine »
Sage- femme de formation, la Responsable du Programme élargi de vaccination de Garoua- Boulaï parle des défis auxquels fait face ce poste de vaccination qui reçoit en moyenne 60 enfants par semaine en stratégie fixe. Les problèmes soulevés dans cet entretien s’observent au final dans toutes les formations sanitaires de la région. Même dans le Centre intégré de Gado-Badzere qui accueille le camp de refugiés centrafricains. Situé dans le département du Lom-et-Djérem, Garoua-Boulaï accueille plusieurs milliers de réfugiés venus de la République centrafricaine.
Quelle est la situation de vaccination des enfants à Garoua-Boulaï ?
A Garoua-Boulaï, on a des centres de santé qui mènent des vaccinations en stratégie fixe et d’autres en stratégie avancée. En stratégie fixe, le district s’est arrangé à ce que toutes les formations sanitaires aient des jours afin de pouvoir couvrir toute la semaine. Ce qui fait que pour les mamans, de lundi à vendredi, il y a un poste de vaccination en stratégie fixe dans les différentes formations sanitaires du district. On a reparti en zone pour pouvoir maximiser la couverture. Je couvre l’axe sud où je réalise les activités en stratégie avancée et fixe.
Quel est le constat qui se dégage dans votre zone ?
En vérité, nous sommes dans une zone où les accouchements à domicile sont encore un problème majeur. Ce qui fait que la plupart de ces enfants sont rattrapés en stratégie avancée. On effectue des descentes par village en collaboration avec les agents de santé communautaire. A cause de ces accouchements à domicile, si on ne part en stratégie avancée, on va manquer beaucoup d’enfants. Par ailleurs, on est obligé de le faire tous les mois dans le souci du respect du calendrier vaccinal. Pendant ces descentes vous constatez à chaque fois avec stupéfaction qu’il ya des mamans qui viennent avec des enfants de 4-6 mois qui n’ont jamais été vaccinés. Dans ces cas, sur le coup, on administre le Penta1. Puis, on donne rendez-vous pour commencer le BCG. Car il faut réunir 20 enfants pour ouvrir un flacon.
Qu’en est-il de la disponibilité en intrants ?
Cela fait longtemps qu’on n’a pas connu de rupture. Les vaccins sont disponibles, les carnets de vaccination aussi. Pour la chaine de froid, on utilise celle du district de santé parce que la formation sanitaire n’a pas de local pour avoir une chaîne de froid autonome.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées ici ?
On a eu quelques cas de refus. A cause de certaines rumeurs, les mamans s’opposent à la vaccination de leur enfant. En 2017, on a eu des décès. Ce n’était du fait de la vaccination. Mais quand la rumeur est partie, il est difficile de la rattraper. On a du fait recours au sous-préfet et au district pour essayer de taire cette rumeur et ramener les mamans à la vaccination. En réalité, on essaie de multiplier les stratégies avancées pour rattraper tous les enfants dans le district.
La principale difficulté est le manque de personnel parce qu’en stratégie avancée, ce n’est pas à côté. Il faut le personnel qui va pouvoir couvrir la formation sanitaire. Dans ma zone, j’ai 4 villages. Le plus éloigné est une zone d’insécurité (Zamboue à environ 50 km de Garoua Boulaï). On utilise les services d’un membre de la communauté formé pour vacciner. L’autre difficulté est de se faire comprendre. On a le Baya, le Sangho et le Fulfulde. J’ai dû apprendre cette dernière langue qui est la plus utilisée par les communautés qu’elles soient camerounaises ou centrafricaines. C’est très pratique pour faire l’Iec. Parce qu’avec les traducteurs, on a l’impression que le message ne passe pas.
Des doléances ?
Au niveau du district, on essaie de trouver des stratégies pour maximiser le taux de couverture vaccinale. Mais on est souvent buté –c’est vrai que le chef Bureau partenariat et le chef de district sont entrain d’y travailler- à la situation des enfants perdus de vue. Surtout en Penta3, VAA et RR. Nous avons un besoin urgent en matériel roulant. En juillet-août pendant la saison de pluie, il pleuvait sur moi toutes les fois que j’allais en stratégie avancée au point où même les chefs étaient très malheureux de ma situation. C’est vrai, on a une moto, mais avec les intempéries climatiques, ce n’est pas toujours évident. Donc, si on peut avoir une voiture, cela va même nous permettre de descendre à Zamboue, la zone d’insécurité dont j’ai parlé plus haut.
On a aussi besoin de personnel. En ce qui concerne la formation sanitaire dans laquelle je travaille, j’ai besoin d’un bâtiment. Celui qu’on occupe appartient à la société des eaux. Et ils veulent le reprendre. Ce qui fait qu’actuellement, si l’hôpital ne nous avait pas prêté ce site de vaccination, je ne sais pas où on mènerait l’activité. On a vraiment besoin de locaux, et de personnel. Parce que la grande population que nous vaccinons est réfugiée. Donc, il faut toujours aller vers eux. Quand je vais en stratégie avancée, j’ai un collègue qui m’accompagne, c’est lui qui conduit la moto. J’ai deux autres qui ont accepté de me suppléer quand je suis occupée à autre chose.
En 2017, on n’a pas atteint 80% à cause de l’extrême mobilité de la population. On commence la vaccination et après ils retournent en Centrafrique. D’autres viennent à Garoua-Boulaï juste pour accoucher […] Toujours en raison de ces difficultés, on n’a pas encore atteint la cible cette année qui s’achève.
Propos recueillis
à Garoua Boulaï