Les demandes de l’Afrique à propos de la taxe sur le transport maritime
Les négociations de l'OMI sur le transport maritime s’ouvrent ce lundi 7 avril 2025 à Londres. Les opportunités se situent au niveau du financement de la lutte contre le changement climatique et de la production de carburants à zéro émission. Les limites sont de s'assurer que la taxe n'a pas d'impact disproportionné sur le commerce du continent, en particulier sur les importations de denrées alimentaires. Le Malawi soutient la taxe.

Du 7 au 11 avril, les États membres de l’Organisation maritime internationale (OMI) vont négocier plusieurs propositions de mesures économiques et techniques à Londres. Dans ce concert pas très harmonieux pour l’instant, l’Afrique demande : Un chiffre indicatif qui montre clairement une répartition équitable et transparente des revenus pour les pays en développement en fonction des besoins climatiques, sociaux et économiques ; que les redistributions reflètent le principe du pollueur-payeur et donc prennent la forme de subventions, et non de prêts ou d’instruments portant intérêt ; Que la sécurité alimentaire ne soit pas davantage compromise et que soit atténuer l’impact disproportionné de la taxe sur les économies africaines ; de garantir un capital ne portant pas intérêt pour financer la transition verte de l’Afrique sans limiter l’utilisation des fonds au seul secteur du transport maritime ; de prendre dûment en considération les déséquilibres structurels existants et, dans la mesure du possible, appliquer des exemptions partielles ou temporaires aux exportations africaines.
Le secteur du transport maritime dont la contribution aux émissions mondiales de gaz à effet de serre est actuellement de 3 %, s’est engagé à décarboniser ses activités en réduisant ses émissions annuelles de gaz à effet de serre d’un milliard de tonnes à zéro net d’ici 2050. Les mesures prises par l’OMI visent à permettre au secteur du transport maritime d’atteindre ses objectifs en matière de climat. « La décarbonisation du transport maritime n’est pas une option, mais un impératif pour un système commercial mondial durable », soutient Amb Ali Mohamed, envoyé spécial du Kenya pour le changement climatique. Pour lui, « Si rien n’est fait, ces émissions augmenteront inévitablement, ce qui intensifiera les pressions climatiques sur les pays vulnérables. Cependant, même si nous saluons cette taxe, il est important de garder à l’esprit que les économies africaines ne peuvent pas se permettre des charges qui gonflent les coûts commerciaux et élargissent les disparités économiques mondiales », prévient-il.
Décarbonisation
L’adoption débutera en octobre 2025. Selon la Banque mondiale, si elle est fixée à 100 dollars par tonne, une taxe universelle sur les émissions de carbone provenant du transport maritime pourrait rapporter environ 60 milliards de dollars par an. Toutefois, selon un rapport de l’Africa Policy Research Institute, si la décarbonisation du secteur du transport maritime peut être considérée comme une occasion de s’industrialiser en étant capable de fournir de l’hydrogène vert comme carburant maritime, de nombreux États s’inquiètent de l’impact que cela pourrait avoir sur les pays en développement. Des études, notamment l’analyse d’impact globale (AIC) des mesures à moyen terme, ont montré que les mesures proposées sont susceptibles d’avoir un impact négatif sur les économies de nombreux pays en développement, avec des effets sur le commerce, la sécurité alimentaire et le revenu national. Dans le même temps, la transition offre à l’Afrique la possibilité de jouer un rôle de premier plan dans la production de carburants sans émissions pour le transport maritime.
L’OMI est de plus en plus favorable à l’affectation d’une partie de la taxe au financement de la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement, même si des questions politiques importantes (le coût, la portée et la répartition des recettes) n’ont pas encore été définies. Cela est particulièrement important pour atténuer les conséquences imprévues de la taxe pour les communautés vulnérables. Cependant, la proposition de taxe n’a pas encore défini la part des revenus générés par la taxe qui sera redistribuée aux pays en développement pour être utilisée en priorité pour l’adaptation et la résilience, les projets d’énergie renouvelable et l’agriculture résiliente, entre autres, contribuant ainsi à la réalisation d’une transition équitable vers des émissions nettes nulles. Si une part importante des recettes était versée directement aux pays en développement vulnérables au climat, sous la forme de subventions, cela permettrait d’éviter que les pays en développement ne continuent à s’endetter et serait également conforme au principe du « pollueur-payeur ».
Transformer les risques climatiques en investissements
« Pour qu’une mesure soit acceptable, le principe du pollueur-payeur doit rester au centre des négociations. Cela ne peut être garanti que par une redistribution substantielle hors secteur des recettes collectées, canalisée par un mécanisme de redistribution convenu à l’avance et juridiquement contraignant, et sous la forme d’un capital ne portant pas intérêt pour financer des projets énergétiques dans ces pays en développement et libérer des ressources pour amortir l’impact socio-économique sur les ménage », suggère Faten Aggad, directrice exécutive, African Future Policies Hub. Bien que les modalités relatives au prix, au champ d’application et à la répartition des recettes de cette politique fassent encore l’objet de débats, l’idée d’affecter une partie des recettes à l’aide aux pays vulnérables, en particulier les petits États insulaires en développement (PEID) et les pays les moins avancés (PMA), qui irait au-delà de l’industrie maritime pour fournir des mesures d’adaptation et d’atténuation, est de plus en plus largement soutenue.
Stanley Raja Korshie Ahorlu, président de la Ghana Chamber of Shipping, relève que l’Afrique n’arrive pas à la table des négociations les mains vides. Le continent compte une population jeune de 1,4 milliard d’habitants, un marché combiné évalué à plus de trois mille milliards de dollars, des importations annuelles supérieures à 35 millions d’EVP, [1 EVP correspond à 1 conteneur de 20 pieds de long (environ 6,096 mètres]. de vastes voies navigables côtières et intérieures, et d’immenses ressources naturelles pour la production d’énergie renouvelable, pour n’en citer que quelques-unes. Dans le même temps, l’Afrique a des besoins : une flotte malheureuse, un manque de financement des navires, une faible représentation dans la communauté mondiale des gens de mer, d’innombrables cadets incapables d’obtenir le temps de mer obligatoire sur les navires du monde entier, des infrastructures portuaires sous-développées, la pauvreté énergétique, entre autres. A son avis, « Un résultat gagnant-gagnant serait celui qui aboutirait à une action climatique de grande ambition et qui répondrait à certains des besoins énumérés ci-dessus… ». Alors que l’OMI finalise la conception de la politique lors du sommet MEPC83, « nous devons consolider cette forte pression coordonnée, de sorte que les priorités de l’Afrique en matière de sécurité alimentaire, de résilience climatique et de partage équitable des revenus fassent partie de l’accord », rappelle Eldine Glees, conseiller en politique maritime, Centre micronésien pour le transport durable. Pour qui, « une taxe carbone mondiale sur le transport maritime est une chance rare de transformer les risques climatiques en investissements ».
Nadège Christelle BOWA