Où en est le Cameroun dans la mise en œuvre de la CSU
Couverture sante universelle
par FOUSSENOU SISSOKO, EXPERT EN COMMUNICATION
Des signaux montrent que la Couverture sanitaire universelle appelé de tous les vœux, ne sera pas effective dans l’immédiat. Annoncée officiellement en décembre 2017 par le gouvernement camerounais, la mise en œuvre de la CSU était attendue en 2018.
Dans son discours de campagne prononcé le 4 octobre 2011 à Maroua (Extrême-Nord du pays), le président Paul Biya s’engageait à mettre « en place un dispositif de sécurité sociale universelle qui sera la résultante de la modernisation devant s’opérer dans le système d’assistance et de prévoyance sociale ». Depuis lors, le concept de Couverture Santé Universelle (CSU) jusque-là considéré comme un mythe semblait devenir une réalité, ce d’autant plus qu’il en faisait encore état le 6 novembre 2018 dans son discours d’investiture comme président de la République pour un 7e mandat.
En effet la CSU occupe une place stratégique dans l’agenda des Objectifs du Développement Durable (ODD) définis en 2015 en son objectif 3 à savoir : La santé et le bien-être pour tous. Cet objectif entend « faire en sorte que chacun bénéficie d’une assurance-santé, comprenant une protection contre les risques financiers et donnant accès à des services de santé essentiels de qualité, à des médicaments et vaccins essentiels durs, efficaces de qualité et d’un coût abordable ».
Prenant en compte l’agenda onusien et fort des engagements du Président de la République depuis 2011, le gouvernement a initié un processus visant à doter le pays à terme d’un système de CSU, pour garantir aux populations un accès équitable aux soins de santé de qualité. C’est dans cette logique qu’a été créé en 2015 un Groupe Technique National Intersectoriel présidé par les ministres de la Santé publique et du Travail et de la Sécurité Sociale, avec pour mission principale de faire des propositions au gouvernement à qui incombe la responsabilité de conduire le processus sur les différents aspects du système de CSU.
C’est dans ce cadre que plusieurs études et analyses ont été conduites depuis 2015 dans une approche participative et apprenante, avec des étapes de validation technique qui ont abouti à un avant-projet de loi sur la CSU examiné en Novembre 2018 par le parlement au cours d’un forum parlementaire spécialement organisé sur la CSU.
Lors de la présentation de l’avant-projet de loi au forum parlementaire, l’ancien ministre camerounais de la Santé publique Monsieur André Mama Fouda déclara que : « Le système prendra en charge les soins de santé de base et près de 185 interventions et 101 sous interventions », et que, « pour mettre en place ce système de CSU, le gouvernement camerounais aura besoin d’un montant 1300 milliards de francs CFA ». Pour mobiliser ses fonds, le Cameroun devra compter sur ses partenaires institutionnels et financiers. Le Ministre a également indiqué que la population camerounaise sera mise à contribution, car, « les coûts ne sont pas seulement à la charge des malades, mais sont supportés par l’ensemble de la population et de l’Etat du Cameroun. Ceci par le biais du pré-paiement et de la mise en commun des risques ».
Des réserves
Pour tempérer l’enthousiasme du ministre de la Santé, le Directeur Général de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS), Mékoulou Mvondo émet des réserves sur le contenu, la pertinence et l’opérationnalité de la CSU tel que formulé et présenté par le gouvernement. S’adressant aux parlementaires, le Directeur Général de la CNPS rappelle que « tout le monde ne peut pas être considéré dans ce système de la même manière ». Selon lui, trois catégories de populations sont à prendre en compte : les salariés et les retraités des secteurs public et privé ; les travailleurs indépendants et du secteur informel ; enfin les indigents et les personnes vulnérables.
A côté de cette catégorisation distincte et nécessaire, existe un problème de couverture des populations de l’ensemble du territoire camerounais, non seulement à cause d’une densité médicale d’environ 1 médecin pour 1000 habitants, mais aussi en raison du manque d’équipements et de médicaments. Des insuffisances auxquelles s’adossent des mentalités professionnelles pas toujours recommandables dans le corps médical et la bureaucratie, ainsi que la peur de la « nouveauté » chez les populations qui, parfois, préfèrent avoir recours à la prière ou à la médecine traditionnelle. D’où l’invite à la prudence et au pragmatisme du Directeur Général de la CNPS pour qui d’une part « on ne peut pas mettre sur pied un système de couverture santé sans étude actuarielle », et d’autre part, « c’est un préalable absolu. Il faut pouvoir envisager le long terme (20-30 ans). Sans cette visibilité, il serait illusoire d’envisager un système de couverture santé universelle solide ».
LE PREMIER MINISTRE ATTEND DU MINISTÈRE DE LA SANTE PUBLIQUE UN PLAN ACTUALISE ET CHIFFRE DE LA PHASE PILOTE
Le 22 mars 2019, Joseph Dion Nguté, Premier ministre, a adressé une lettre de mission au nouveau ministre de la Santé publique, Malachie Manaouda. Dans ladite lettre, le chef du gouvernement demande un plan actualisé et chiffré sur la mise en œuvre de la phase pilote de la couverture santé universelle au Cameroun. « Vous devez vous atteler à soumettre à mes services, au plus tard à la fin du premier semestre 2019 », précise le Premier ministre.
Cette mission confiée au ministre de la Santé est un indicateur que la Couverture santé universelle (CSU) au Cameroun ne sera peut-être pas effective dans l’immédiat. Car, c’est depuis décembre 2017 que le gouvernement camerounais a officiellement annoncé la mise en place de la CSU. Sa mise en œuvre était attendue en 2018. Rendu en 2019, le gouvernement semble reprendre le travail qui avait déjà été amorcé. Et pour cause, en novembre 2018, le ministère de la Santé publique avait indiqué que la CSU coûterait 1 300 milliards FCFA à l’Etat, pour un paquet de base de soins et services composé de 185 interventions et de 101 sous-interventions. Ce montant servirait en outre, dans les divers domaines de la médecine interne, la chirurgie, la gynécologie obstétrique, la pédiatrie, la stomatologie, la vaccination, etc.
Des récriminations contre les projets de Csu en Afrique
Compte tenu de tout ce qui précède, et au-delà du cas camerounais, de nombreux spécialistes africains en économie de la santé, affirment que les projets de CSU qui sont implémentés un peu partout dans les pays d’Afrique francophone sont voués à l’échec. De manière métaphorique, ils disent, que ce sont tous «des projets programmés pour échouer».
Autre récrimination, ou faiblesse, relevées par ces spécialistes, les projets CSU tels que formulés et présentés sont plutôt des projets de Couverture Maladie Universelle (CMU). Ils sont basés essentiellement sur l’approche CMU, parce que défini sur un panier de soins, comme au Cameroun par exemple. Selon les spécialistes, il y a une différence fondamentale entre la CSU et la CMU. La CSU est une vision d’ensemble prenant en compte la promotion de la santé, la prévention, la prise en charge et la gouvernance du système de santé. La CMU par contre, est une politique beaucoup plus réduite et essentiellement focalisée sur la prise en charge de la maladie.