Accès aux soins de santé en Afrique centrale
LA SOCIÉTÉ CIVILE OUTILLÉE POUR MIEUX REVENDIQUER
A l’initiative de Positive Generation, des leaders des organisations de la société civile du Cameroun et de la Centrafrique ont pris part à une formation de cinq jours sur la planification et la mise en œuvre des actions de plaidoyer.
Que ce soit en Afrique centrale en général ou au Cameroun en particulier, le système de santé est émaillé de nombreux dysfonctionnements. Lesquels entravent voire limitent l’accès des patients pris en charge notamment dans le cadre des trois pandémies que sont le Vih/Sida, la tuberculose et le paludisme. Certains indicateurs à savoir la disponibilité des soins et des services, et leur accessibilité sont assez préoccupants. « Si on observe une certaine embellie au niveau de la disponibilité des soins et des services dans les formations sanitaires, le challenge reste celui de l’accessibilité. Car d’une manière générale, le taux de surfacturation demeure préoccupant. C’est même un frein majeur à l’accès aux soins lorsqu’on considère que le Camerounais moyen vit en dessous du seuil de pauvreté », examine Guy Merlin Tsamo, secrétaire général du Conseil d’association de Positive Generation. Une association qui milite pour la lutte contre le sida, la tuberculose, la santé sexuelle et reproductive, et la promotion des droits Humains.
En 2010, elle a mis en œuvre un observatoire indépendant et communautaire de suivi de l’accès aux soins et services dénommé Treatment Access Watch (Taw), qui traque les dysfonctionnements du dispositif camerounais d’accès aux soins pour les maladies suscitées. Fort des constats relevés par les données collectées elle vient d’organiser dans la ville de Yaoundé du 5 au 9 mars 2018, un atelier sur la planification et la mise en œuvre des actions de plaidoyer pour l’accès aux soins et services par les patients. « Cet atelier visait à former les responsables et acteurs de la société civile afin qu’ils puissent intervenir au niveau local, régional voire national dans une dynamique de plaidoyer qui vise justement à adresser les dysfonctionnements observés », explique Guy Merlin Tsamo, l’un des facilitateurs. Venus de la quasi-totalité des régions du pays et de la République Centrafricaine, les participants ont été édifiés sur les notions de redevabilité, sur le système de santé, le cycle du plaidoyer, etc. à travers une méthodologie active qui les plaçait au cœur des enseignements. Les faisant parties prenantes dans la construction de leur savoir.
C’est pleinement satisfait qu’ils s’en sont retournés dans leur bastion plein d’ambition et d’espoir quant à l’avenir. « Désormais je sais que face à certaines situations comme la rupture des intrants, je peux avec d’autres associations rencontrer les autorités pour leur faire part de la situation et les interpeller ou demander leur adhésion ou intervention », confie Jeannette Diza Dandjouma, coordonnatrice de l’Association pour la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille (APROFEF) basée à Ngaoundéré (Adamaoua). Pour sa part, Pierre Nenbe de l’Union des organismes d’appui au développement durable (UNOADD) à Garoua, entend utiliser les acquis de cette formation pour également convaincre les chefs de ménage et les leaders religieux réfractaires à l’observance. Même les responsables les plus aguerris à l’instar de Jean Momo, responsable de la Fondation Moge y ont trouvé leur compte dans la mesure où explique-t-il, « La restitution que je vais faire auprès des Os que nous encadrons dans la région de l’ouest pourrait favoriser l’atteinte de nos objectifs… ». Habitué des plaidoyers qui a permis d’obtenir la légalisation de plus de 80 Osc surtout dans le Noun, cette fondation encadre plus de 145 Osc.
Nadège Christelle BOWA
INTERVIEW
Jean-Aser NGAÏSSONA, ANJFAS, RCA
« Nous allons faire bouger les lignes »
Le Chargé de suivi/Evaluation auprès de l’association nationale des jeunes femmes actives pour la solidarité à Bangui (République Centrafricaine) dresse l’état des lieux de la situation sanitaire dans ce pays en phase post-crise. Il a pris part à l’atelier de Positive Generation en compagnie de sa compatriote, Carine Cynthia Ngaraboume-Yakowou, secrétaire général du conseil d’administration d’Anjfas.
Quelle est la situation des pandémies que sont le Vih, la tuberculose et le paludisme en République centrafricaine ?
Globalement, la situation sanitaire en RCA, vous savez la République Centrafricaine est un pays en post crise. Cette situation a un impact considérable sur la santé voire le système de santé. Du coup, tout ne fonctionne pas comme ça devrait l’être. Donc les prévalences s’avèrent élevées même si on n’a pas encore réalisé d’enquête afin d’être véritablement situé. Pour le Vih, on estime cette prévalence aujourd’hui à 4,9%. Je crois que c’est assez élevé. La tuberculose est aussi une maladie assez préoccupante, mais la prise en charge n’est pas adéquate. On enregistre beaucoup de rechute, de perdus de vue en raison probablement de la crise. En ce qui concerne le paludisme, la maladie est prise en charge pour le moment par les humanitaires. Mais ce n’est pas dans tous les centres de santé. Et pour ceux qui doivent payer, ça coûte cher. L’accès est encore très difficile. Car même la gratuité ne concerne qu’une certaine catégorie de la population notamment les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans. Alors que tout le reste de la population paye pour avoir accès aux médicaments.
Parlant du paludisme, quel est le coût du traitement pour ceux qui payent ?
Le coût varie d’un centre à un autre. Le médicament coûte plus cher dans les centres urbains qu’en périphérie. Ce coût varie aussi en fonction de la sévérité de la maladie. Dans de 2000 à 3000 pour le paludisme simple ; plus de 6000 pour un paludisme sévère. En périphérie, on débourse la moitié de ces montants.
Que faites-vous en tant que société civile pour que la situation change ?
Depuis 2016 avec Taw-Cameroun qui est un projet de suivi de l’accès aux soins et au traitement, notre travail consiste à relever certains dysfonctionnements, les remonter afin que les décideurs puissent s’en imprégner et changer la situation pour que les populations puissent bien vivre et davantage bénéficier de la prise en charge de ces trois pathologies. Mais, pour l’instant, vous allez vous rendre compte que ça ne bouge pas.
Quelles sont vos difficultés dans la mise en œuvre de vos activités ?
Ce n’est pas toujours facile. Mais avec l’évaluation des étapes et grâce au partage des informations avec les partenaires notamment la direction de lutte contre les endémies spécifiques, on arrive à observer de petites améliorations. De manière globale, les partenaires prennent en compte les aspects que nous soulevons.
Par rapport à la situation qui prévaut actuellement, que voulez-vous voir changer complètement ?
Le Fonds mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme prend en charge toutes ces trois pathologies. Donc, il devrait avoir une gratuité des soins à presque tous les niveaux. Que ce soit en périphérie ou dans les centres urbains. Mais cela n’est pas de notre responsabilité. Notre responsabilité est de faire en sorte que tous ceux qui souffrent de ces maladies bénéficient de soins gratuitement. Parce que le Fonds mondial a déjà pris en compte tous les aspects financiers. Notre combat consiste à relever les dysfonctionnements afin que des solutions soient trouvées.
A votre avis, la gratuité partielle de la prise en charge de ces pathologies, est-elle liée à votre situation de post-crise ou à une quelconque mauvaise gestion ?
Les deux à la fois parce que la crise a joué sensiblement sur la prise en charge mais il y a aussi un problème de gestion. Nous ne pouvons pas contrôler.
Vous venez de suivre une formation sur le plaidoyer pour l’accès aux soins des patients. Quel est son bénéfice pour vous ?
C’est un atelier qui est très important. Nous pratiquons déjà le plaidoyer. Aujourd’hui, nos capacités sont davantage renforcer et je pense que nous avons reçu des éléments pour renforcer les actions qui ont été menées sans succès. Nous allons désormais pouvoir relever les défis, renverser la situation pour que les choses aillent bien. Nous allons faire bouger les lignes.
Réalisée par
Nadège Christelle BOWA
RÉACTIONS
Jean Momo, Responsable de la Fondation Moge
« Le Cameroun peut mobiliser des ressources »
Actuellement, on parle de la couverture santé universelle. Nous avons fait l’analyse situationnelle et en pensant au modèle de financement nous avons plaidé pour la mobilisation des recettes additionnelles parce que les fonds que nous recevons sont mobilisés par les partenaires or le Cameroun a des capacités pour mobiliser des ressources afin de faire face aux problèmes de santé tel que la vaccination qui coûte extrêmement cher et qui est soutenu à un niveau très élevé par l’Unicef. Pour nous, cette formation est très importante. Dès notre retour dans la région de l’Ouest, nous allons inviter les Os avec qui la Fondation Moge a des conventions pour partager les connaissances reçues afin lors de la réunion de coordination de santé de la région de l’Ouest que le pourcentage de couverture vaccinale augmente au moins de 5 points ; que les femmes apprennent à aller en consultation prénatale dès l’absence des règles ; qu’elles suivent le calendrier des Consultations prénatales, prennent leur moustiquaire imprégnée dès la première consultation ; que celles qui sont séropositives suivent le protocole afin que leur enfant naisse séronégatif.
Jeannette DIZA DANDJOUMA, APROFEF
« Désormais je sais comment faire face à certaines situations critiques »
De nos jours, les femmes prennent conscience de ce qu’elles doivent se faire dépister systématiquement lorsqu’elles sont enceintes. Les femmes se déclarent, les enfants sont suivis dans les Unités de prise en charge (Upec) et les Centres de traitement agréé (Cta). Nous espérons que la situation va davantage s’améliorer dans la région de l’Adamaoua. Pour ce qui est du paludisme, il se pose en ce moment, un problème de disponibilité des intrants. Notre plaidoyer concerne entre autres la prise en compte de l’ensemble des districts de santé dans le cadre de la prise en charge communautaire. J’ai reçu de cette formation des connaissances précises sur ce qu’est le plaidoyer que je conçois comme un ensemble d’activités qui nous permet d’aller vers les décideurs demander ou exiger leur intervention dans la, résolution d’une situation critique donnée. Cette formation va m’aider sur le terrain par exemple dans le cas de cette situation de rupture des intrants pour le traitement du paludisme que nous enregistrons depuis quelques temps. Désormais je sais que face à certaines situations comme la rupture des intrants, je peux avec d’autres associations rencontrer les autorités pour leur faire part de la situation et les interpeller ou demander leur adhésion ou intervention.
Pierre NENBE, UNOADD
« Cette formation nous permet de renforcer nos Arc »
Cette formation arrive à point nommé. Nous avons constaté pendant que nous menions nos activités qu’il y avait des résistances dans les ménages. Certaines personnes en voyant les agents relais communautaires pensaient que c’était des membres d’une nouvelle secte qui pourraient diffuser et divulguer leur statut sérologique. Donc, elles avaient peur de s’ouvrir. Cette formation nous permet de renforcer nos Arc pour qu’ils aient davantage d’arguments pour aller communiquer avec les chefs de ménages, les leaders religieux qui n’adhèrent pas. Elle va nous permettre de développer de nouvelles stratégies pour mieux convaincre nos cibles. Nous irons aussi vers les responsables des communes.
Rassemblées par NCB