La double peine : Plaies chroniques et dépression mentale
Ulcère de Buruli
Par Pr Yap Boum II
Mr Thomas, 66 ans et père de neuf enfants vivant dans la localité de Bankim dans l’Adamaoua, a été frappé depuis trois ans d’une double peine. Tout d’abord il a contracté l’Ulcère de Buruli. Cette maladie qui se manifeste par des plaies chroniques qui peuvent durer des mois, des années et aboutir à des amputations si elle n’est pas correctement prise en charge. Sa maladie a commencé par une petite boule au niveau du pied droit, qui s’est ensuite transformée en large plaie douloureuse l’empêchant de mener ses activités champêtres. Malgré les nombreuses visites chez les tradipraticiens, l’état de Thomas ne s’est pas amélioré et sa situation financière s’est détériorée. Cette inactivité insupportable a conduit Mr Thomas à sombrer dans la dépression avec des tendances suicidaires. De plus, l’ulcère de Buruli est caractérisé par des odeurs nauséabondes qui rendent la vie familiale et sociale très difficile. Comme si cela ne suffisait pas l’ulcère de Buruli est également considéré, à tort, comme un sort qui aurait été lancé au malade. Pourtant, l’ulcère de Buruli est bien une maladie dont la bactérie (Mycobacterium Ulcerans) est connue et peut être éliminée par des antibiotiques spécifiques. Mr Thomas est l’un des nombreux camerounais, victimes de plaies chroniques, qui vivent la même situation.
Le sentiment de devenir inutile, de se considérer comme un poids pour sa famille, la stigmatisation de Thomas dans son village et la douleur dû à l’ulcère de Buruli ont aggravé son état physique et surtout mental. Depuis lors il est plongé dans la dépression avec des tendances suicidaires comme cela a été confirmé par l’équipe de psychologue de l’Ong Unipsy. La situation de Thomas s’est améliorée quand il a participé à une étude organisée par Epicentre (Branche de recherche de médecins sans frontrières), en partenariat avec le Centre pasteur du Cameroun, Cires, Fairmed et le Programme national de lutte contre l’ulcère de Buruli, qui se déroule dans les hôpitaux régionaux d’Akonolinga, Ayos et Bankim. Cette étude qui vise à améliorer le diagnostic et la prise en charge des plaies chroniques dont l’ulcère de Buruli a permis à Thomas comme à plus de 300 patients d’être pris en charge. Depuis lors, la plaie de Mr Thomas est en voie de cicatrisation, la douleur a fortement diminué. Il a repris ses activités champêtres et regagne son estime ainsi que celle de sa famille. Son état psychologique s’est également amélioré comme confirmé par le psychologue Dr Tengpe Guy Bertrand, lors d’une consultation de suivi.
Support psychologique
Cette double peine affecte un patient sur trois, victime de plaie chronique au Cameroun. En plus des plaies chroniques, ces patients souffrent de la perte d’estime de soi et de stigmatisation qui les plongent dans des dépressions avec des tendances suicidaires. Certains d’entre eux sombrent dans l’alcoolisme qui pour certains va leur ôter la vie. Il est donc important d’intégrer la prise en charge psychologique dans la gestion des patients atteints de plaies chroniques. Cette prise en charge peut se faire d’une part, par les personnels hospitaliers (médecins et infirmiers) mais aussi grâce au support des anciens patients guéris de plaies chroniques. C’est dans cet état d’esprit que l’Association des patients victimes d’ulcère de Buruli (Avidub) et l’Association des patients victimes des plaies chroniques en Afrique (Avpa) sont formés d’une part dans la prise en charge communautaire des plaies chroniques par l’autosoin et d’autre part dans l’accompagnement psychologique des patients. Ce problème de santé mentale ne se limite pas seulement aux patients mais aussi aux personnels de santé qui non seulement s’occupent de patients dans des états déplorables, mais sont aussi surchargés par le travail. Ceci les expose également à la dépression et nécessite un support psychologique.