Mariage d’enfants: Au Cameroun des leaders religieux jouent leur partition
En tant que guides spirituels, ils ont un impact profond sur les valeurs personnelles et collectives et les normes sociales à capitaliser dans la lutte contre les mariages précoces pour améliorer la vie des femmes et des enfants.
A 13 ans, Marie (nom d’emprunt) fugue pour se refugier dans une église. Alors en classe de 5e, cette enfant fuit ses parents qui veulent la donner en mariage comme 4e femme. Pris de compassion, le pasteur porte son cas à l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes (Alvf). La bataille judiciaire qui en découle est rude, mais la raison finie par l’emporter. « Aujourd’hui où je vous parle, elle doit avoir obtenu son Baccalauréat », confie Aissatou Doumara, lauréate du prix Simone Veil. Elle témoigne à l’occasion du forum sur la foi pour le changement positif en faveur des enfants dont les travaux se sont ouverts hier lundi 2 décembre 2019 à Yaoundé, de l’apport des religieux dans la résolution des cas portés à l’attention de son organisation. « Ils sont au centre de notre stratégie « Brigade de dénonciation », affirme-t-elle tout en relevant des actions de religieux qui interdisent d’assister au mariage d’enfant de moins de 18 ans.
Beaucoup d’histoires similaires ne connaissent pas un happy-end. Selon le MICS (enquête à indicateurs multiples) 2014, une fille sur dix est mariée avant l’âge de 15 ans (11%) et une fille sur trois avant l’âge de 18 ans (36%). L’enquête relève d’importantes disparités entre les régions présentant les taux les plus élevés dans les régions du Nord (60,1%), de l’Extrême-Nord (58%), de l’Adamaoua (57,7%) et de l’Est (47,8%). « Il prend une forme particulière dans la région du Sud-Ouest où des enfants sont données en mariage avant leur naissance à travers le phénomène « money-woman) », précise Marie Thérèse Abena Ondoa, ministre de la Promotion de la Femme et de la Famille. La pratique du mariage précoce touche à la fois les zones urbaines et rurales, où on note une prévalence élevée. La persistance de normes sociales qui encouragent le mariage des enfants constitue l’une des principales raisons évoquées par plusieurs études.
Retour aux normes
« Le mariage des enfants constitue un grand danger pour le futur et n’est pas associé à une religion en particulier, la pratique existe dans chaque région du monde et transcende les frontières des pays, des cultures, des religions et des ethnies. Cependant, les religions ont un impact profond sur les valeurs personnelles et collectives et les normes sociales et en tant que telles peuvent être un puissant catalyseur des actions positives pour améliorer la vie des femmes et des enfants », revient Jacques Boyer, Représentant de l’Unicef au Cameroun. Les travaux de 5 jours (du 2 au 6 décembre 2019), permettront de renforcer le rôle crucial des leaders religieux ainsi que leurs actions en vue de mettre fin au mariage des enfants en créant une masse critique au sein de leurs groupes de référence en vue de transformer les comportements souhaités en une réalité.
Le forum intervient au moment où est célébré le 30ème anniversaire de la convention relative aux droits des enfants ratifiée par le Cameroun le 11 janvier 1993. Et s’inscrit dans le cadre de l’initiative mondiale « Faith and positive change for children » lancée par l’Unicef et ses partenaires : « Religious for peace » et « Joint learning Initiative » en 2018. Dont l’objectif est le passage à échelle de l’engagement des communautés confessionnelles et autres acteurs pour influencer le changement social et comportemental positif en vue de l’amélioration du bien-être des enfants, des jeunes, des femmes et des familles, en particulier les plus marginalisés. D’où des actions développées en direction des responsables religieux et traditionnels, des responsables administratifs et politiques, gardiens des normes sociales qui ont le pouvoir de sanctionner pour modifier ces normes. La fin du mariage infantile est l’une des trois priorités du Plan d’action pour l’égalité de genre 2017-2020 du Cameroun élaboré sur la base de l’analyse de genre réalisée en 2016. Un service interreligieux a précédé les travaux.