Est Cameroun: Mandjou face à l’urgence d’un plan de sécurisation foncier
En raison entre autres de la présence des réfugiés sortis du plan d’urgence dans la localité de Mandjou dans la région de l’Est, les populations locales sont peu à peu dépossédées de leur terre ancestrale. Du point de vue traditionnel, ces communautés hôtes sont propriétaires de leur terre. Mais sur le plan législatif, elles ne parviennent pas ou n’ont jamais entrevu immatriculer leur terre située en zone rurale. Or les réfugiés, pour la plupart sont des bergers ou des personnes pourvus de moyens. On assiste à une sorte d’accaparement des terres.
1- Boulimie
Près de 4 hectares dont environ 3,5 ha consacrés à l’agriculture. C’est la superficie de terrain dont dispose Saidou Hamadou, réfugié Centrafricain installé sur le sol camerounais depuis une quinzaine d’années. Ce que certains pourraient qualifier de boulimie de la terre. Saidou l’explique par le souci d’assurer un héritage à ses enfants dans un pays en paix. « Tout ça, c’est pour le bien de mes enfants », affirme-t-il par l’intermédiaire de notre interprète, Mathurin Mandouke, secrétaire général à la chefferie du village Adinkol, située à une dizaine de Km de Bertoua (Est-Cameroun). C’est dans cette localité que, fuyant les troubles dans son pays d’origine, Saidou Hamadou, polygame et père de 13 enfants, a trouvé refuge. Il fait partie de la première génération des réfugiés centrafricains au Cameroun. Lesquels sont sortis du plan d’urgence du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et expérimentent la phase d’autonomisation dans leur pays d’accueil. Cela ne se passe pas toujours sans heurt.
« Dans la commune de Mandjou spécifiquement, les réfugiés vivent en hors site puisqu’il n’y a pas de camp. Ils se sont installés dans certains villages, notamment, Bazama, Adinkol, Boulembe, Kouba », renseigne Francis Kambang, président du Conseil d’administration de la Fondation Confucius. Cette organisation a réalisé une étude sur l’état des conflits fonciers et agropastoraux entre les réfugiés centrafricains et les communautés hôtes dans 4 villages de la commune de Mandjou. « À cheval entre deux zones agro-écologiques, ce territoire est compris dans une zone de transition entre la zone forestière et les savanes de la zone septentrionale. Ce qui en fait une zone de prédilection d’élevage de bovins », indique Patrice Patama, Consultant. Par ailleurs, le contexte sécuritaire (paix) couplé à la pluviométrie font de cette commune d’une superficie de 8 500 km², pour une population estimée à 50 000 habitants, soit 6 habitants/km², une bonne destination.
Rendu au mois de décembre 2019, le HCR estime à 416.225, le nombre de réfugiés et demandeurs d’asile au Cameroun. Soit 108.714 Nigérians et 271.582 centrafricains repartis dans les régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Est. Parmi ces derniers, 192.066 vivent en hors sites et 79.516 dans les sites aménagés. La région de l’Est à elle seule totalise 183.516 individus dont 99.707 pour le département du Lom et Djerem où se trouve la commune de Mandjou. Selon le HCR, 53% des réfugiés sont des femmes/filles et 58% sont des enfants. Ici, souligne Patrice Patama, les pratiques foncières coutumières, contribuent à entretenir la compétition entre les utilisateurs de la terre à différents niveaux. « L’accès à la terre et le droit à la terre sont les principaux facteurs d’opposition entre les communautés. Autochtones, allogènes, migrants, réfugiés et urbains s’affrontent dans la course à l’occupation et/ou à l’exploitation des espaces encore disponibles. On y voit s’affronter différents acteurs usant des stratégies de groupes, individuelles, coutumières ou/et ethniques », relève-t-il.
2- Des subtilités de l’accaparement
Le consultant précise que : « Les réfugiés sortis de l’urgence font partie intégrante du tissu social, culturel et économique local et recherchent des terres d’habitation, cultivables et des pâturages pour leur autonomisation augmentant davantage la course pour l’occupation et l’exploitation des terres périphériques ». Cette conquête effrénée qui se fait au détriment des générations futures, est davantage favorisée par le coût de cession de la terre à l’hectare. En moyenne 100 000Fcfa voire deux fois moins. Une sorte d’accaparement de terre (13%) qui ne dit pas son nom, tant il est subtil. Parce qu’il n’est pas aussi controversé que celui exercé par des grandes multinationales étrangères ou entreprises étatiques. Mais qui pourrait être source de tension à l’avenir comme le démontre un passé assez récent. « Entre les enfants des réfugiés et ceux des communautés hôtes. Ça avait déjà commencé. En 2011, on avait enregistré des affrontements sanglants ici à Mandjou entre les Mbororo et les Gbaya. Les parents ont vendu les terres, sans penser à leur progéniture ; une fois grand, ils ont voulu récupérer. Il y a eu des affrontements terribles », se souvient un habitant. L’arrivée massive de nouveaux troupeaux dans la commune, la destruction des cultures par le bétail dont les éleveurs sont en majorité des nomades Mbororo de RCA, envenime les relations entre agriculteurs et éleveurs.
« A Sambi (5km de Mandjou), un individu non autochtone détient plus de la moitié de la superficie du village », avoue un cadre de la mairie de Mandjou. Pour qui à Sambi comme dans les autres localités, « il va se poser un problème économique du fait de la perturbation de l’autosuffisance alimentaire par exemple parce que les jeunes n’ont pas la terre pour produire de la richesse ». D’après lui, cette pression sur la terre est telle qu’elle impacte déjà sur l’implémentation de certains projets d’infrastructures. Excepté, les populations locales, les acquéreurs trouvent une astuce pour sécuriser sa parcelle. Les allogènes à qui la législation nationale octroie ce droit, par l’obtention d’un Titre foncier. Si bien que la procédure a été suspendue pour tenter de freiner l’insatiabilité de certains. Les réfugiés se contentant pour l’instant du Certificat d’abandon des droits coutumiers. « Je sais que ça protège. Mais ce sont les démarches là. Tu penses aller faire ton champ, tu penses aller faire les papiers… et dans les bureaux, on vous casse la tête. C’est là où l’homme villageois voit que c’est pénible, c’est très long. Trop tracasseries. L’homme qui cultive n’aime pas trop perdre le temps quelque part. Si tu as lancé la tomate, il faut traiter…»,raisonne Tidike Beri Doko, président du comité de développement du village Adinkol.
Bien que l’autorité administrative ne veuille pas en entendre parler, l’acquisition de la terre par les personnes réfugiées est bien réelle. « Dans le respect de ses engagements internationaux, l’Etat accepte de concéder la terre aux réfugiés« pour usage » à travers les rapports qu’ils ont avec les communautés hôtes. C’est tout ! Négociez qu’on leur donne des parcelles pour semer. Et que ce soit des cultures de courte durée. Pas de cacao, de café… oui pour l’arachide, soja, tomate…, ça fait que quand il l’a enlevé, la terre revient directement à celui qui le lui a cédé », affirme durement une autorité. Pas question d’aller au-delà ! Inutile d’affronter sur ce terrain l’Etat Camerounais, qui met en avant la protection de sa souveraineté marquée par ces éléments que sont la population, le territoire, la monnaie. « Céder la terre à un réfugié est suffisamment dangereux. C’est comme si on disait que l’étranger qui arrive au Cameroun, doit avoir la Carte Nationale d’Identité camerounaise. Que non ! Le législateur [Loi n°2005/006 du 27 juillet 2005 Portant statut des réfugiés au Cameroun, Ndlr] reconnaît qu’il y a des étrangers qui doivent vivre au Cameroun, qu’ils appartiennent déjà à un Etat et qui sont au Cameroun pour une raison ou pour une autre, il y a des cartes de séjour. Ce séjour peut être de 50 ans. C’est cela qui fait la différence entre lui et l’autre camerounais », martèle encore cette autorité.
3- ODD 10
Francis Kambang qui affirme comprendre cette position, propose une solution qui pourrait à la fois aider l’accès des réfugiés à une terre sécurisée sur le plan légal tout en permettant à l’Etat de continuer d’exercer son contrôle. « Ce que je propose, c’est de trouver une forme de reconnaissance de la propriété foncière, mais temporaire en lien avec le statut juridique de la personne ». Concrètement explique cet acteur de la société civile, « Comme on sait que tu es réfugié, au même titre qu’on te reconnaît un titre de voyage, une carte de séjour, on peut te donner un titre foncier que tu dois renouveler après 2 ou 5 ans par exemple. Un renouvellement express. Si ce n’est pas fait à la période indiquée, l’Etat récupère d’office et continue de ce fait d’exercer son contrôle ». Cette action en adéquation avec l’Objectif de développement durable (ODD) 10 qui vise la résolution des inégalités, commande de saisir l’opportunité qu’offre la révision de la Loi foncière de 1974, pour y introduire de telles dispositions nées des contraintes sociales actuelles.
La réflexion menée par la Fondation Confucius sur cette question intègre aussi l’intérêt des populations locales dont le taux de pauvreté avoisine les 50 %. Ainsi, dans un contexte de décentralisation et au regard de la situation financière précaire de celles-ci relevée comme l’un des freins à leur engagement pour sécuriser leur terre, l’organisation a réussi à convaincre les Conseillers municipaux à signer le 24 décembre 2019, une délibération donnant quitus au maire de rechercher les partenaires pour sécuriser la terre pour le compte des populations locales, propriétaires de la terre au sens du droit coutumier mais fortement démunies pour pouvoir l’être au sens du droit écrit. « Le projet Landcam pourrait accompagner une telle initiative », suggère Francis Kambang. Mis en œuvre au Cameroun par un consortium d’organisations pour l’équité de genre dans l’accès à la terre et aux ressources naturelles, ce projet vise à terme à sécuriser les droits liés aux terres et aux ressources et améliorer la gestion des zones forestières. L’exemple du village Boulembé qui par l’action de son chef traditionnel dispose d’un Titre foncier depuis 1996, démontre à son avis la faisabilité d’une telle entreprise. Par ailleurs argue-t-il, « Si on a des cas comme Boulembé, ça stoppe net un certain nombre de conflits ». L’étude en a identifié une dizaine que sont : conflits agropastoraux (34%) ; doubles ventes (6%) ; conflits de pouvoir (1%) ; accaparement de terre (13%) ; vente de la terre d’autrui (12%) ; conflits de limite (21%) ; conflits intra familiaux (4%) ; dépossession de terre (2%).
De retour de Mandjou (Est)