Accaparement vert des terres – Comment le phénomène fait doubler les prix à l’échelle mondiale
Jusqu’à 87 % des accaparements de terres se produisent dans des régions à forte biodiversité selon une nouvelle étude réalisée par IPES-FOOD (International Panel of Experts on Sustainable Food Systems), qui révèle que des terres d'une superficie environ deux fois supérieure à celle de l'Allemagne ont été arrachées dans le cadre d'accords transnationaux dans le monde entier depuis 2000. Cette tendance mondiale à l'accaparement des terres et à l'accaparement des terres vertes touche particulièrement l'Afrique subsaharienne et l'Amérique latine.
La flambée des prix des terres, l’accaparement des terres et les programmes de réduction des émissions de carbone créent un « resserrement des terres » sans précédent, menaçant les agriculteurs et la production alimentaire, alerte un nouveau rapport détaillé du Groupe international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food). L’étude met en évidence l’escalade alarmante de l’accaparement des terres sous diverses formes, notamment par le biais des « green grabs » en français « accaparements verts », d’instruments financiers opaques et de la spéculation, de l’extraction rapide des ressources et de la production intensive de cultures d’exportation. Depuis 2000, des terres d’une superficie équivalente à deux fois celle de l’Allemagne ont fait l’objet de transactions intranationales dans le monde entier.
Le rapport souligne que de nouvelles pressions importantes émergent de la « mainmise verte » sur les projets de compensation des émissions de carbone et de la biodiversité, les initiatives de conservation et les carburants propres. D’immenses étendues de terres agricoles sont acquises par les gouvernements et les entreprises pour ces « achats verts » – qui représentent désormais 20 % des transactions foncières à grande échelle – en dépit du peu de preuves de leurs avantages pour le climat. Les engagements pris par les gouvernements en matière d’absorption du carbone par les terres représentent à eux seuls près de 1,2 milliard d’hectares, soit l’équivalent de l’ensemble des terres cultivées dans le monde. Les marchés de compensation du carbone devraient quadrupler au cours des sept prochaines années.
Resserrement des terres
Cette tendance mondiale à l’accaparement des terres et des espaces verts touche particulièrement l’Afrique subsaharienne et l’Amérique latine, tandis que l’inégalité des terres s’accroît le plus rapidement en Europe centrale et orientale, en Amérique du Nord et latine et en Asie du Sud. Il est choquant de constater que 70 % des terres agricoles de la planète sont aujourd’hui contrôlées par seulement 1 % des plus grandes exploitations agricoles du monde. Alors que la demande de terres ne faiblit pas, le groupe d’experts affirme que le « resserrement des terres » exacerbe les inégalités foncières et rend la production alimentaire à petite et moyenne échelle de moins en moins viable, ce qui entraîne des révoltes d’agriculteurs, l’exode rural, la pauvreté rurale et l’insécurité alimentaire. Le prix des terres agricoles ayant doublé en 15 ans, les agriculteurs, les paysans et les populations autochtones perdent leurs terres (ou sont contraints de les réduire), tandis que les jeunes agriculteurs se heurtent à d’importants obstacles dans l’accès aux terres à cultiver.
«En Afrique, des gouvernements puissants, des entreprises de combustibles fossiles polluants et de grands groupes de protection de l’environnement se frayent un chemin sur nos terres sous couvert d’objectifs écologiques, menaçant directement les communautés qui subissent de plein fouet le changement climatique », dénonce Susan Chomba, experte IPES-Food, Kenya, selon qui, la ruée vers des projets carbone douteux, des programmes de plantation d’arbres, des carburants propres et des achats spéculatifs entraîne le déplacement des petits exploitants agricoles et des peuples autochtones. « Imaginez que vous essayiez de créer une exploitation agricole alors que 70 % des terres agricoles sont déjà contrôlées par seulement 1 % des plus grandes exploitations – et que le prix des terres a augmenté pendant 20 ans d’affilée, comme en Amérique du Nord. Telle est la dure réalité à laquelle les jeunes agriculteurs sont confrontés aujourd’hui », décrit Nettie Wiebe, experte IPES-Alimentation, Canada.
Spéculateurs véreux
L’experte observe par ailleurs que « Les terres agricoles sont de plus en plus souvent détenues non pas par des agriculteurs, mais par des spéculateurs, des fonds de pension et de grandes entreprises agroalimentaires désireuses de s’enrichir. Le prix des terres a tellement augmenté qu’il devient impossible de vivre de l’agriculture. Cette situation atteint un point critique : les petites et moyennes exploitations agricoles sont tout simplement évincées ». IPES-Food appelle à l’action pour : Mettre fin aux accaparements verts et supprimer les investissements spéculatifs sur les marchés fonciers ; Mettre en place une gouvernance intégrée pour les terres, l’environnement et les systèmes alimentaires afin d’assurer une transition juste ; Soutenir la propriété collective et les financements innovants permettant aux agriculteurs d’accéder à la terre ; Forger un nouvel accord pour les agriculteurs et les zones rurales, et une nouvelle génération de réformes foncières et agraires.
Ce rapport est publié alors que les questions foncières sont de plus en plus à l’ordre du jour au niveau mondial. Notamment avec la tenue d’une conférence intitulée « Securing Land Tenure and Access for Climate Action » du13 au 17 mai dernier à Washington DC, organisée par la Banque mondiale dont un récent rapport sur la neutralité nette des systèmes alimentaires préconise des mesures visant à réduire la conversion des forêts en terres cultivées. Il s’agissait du premier forum du secteur foncier, réunissant des participants des gouvernements, des partenaires du développement, de la société civile, des universités et du secteur privé pour présenter la recherche, discuter des problèmes et des bonnes pratiques, et informer le dialogue politique.
Nadège Christelle BOWA