ADAMAOUA: Comment l’Etat dépossède les populations du Mbéré de leur terre ancestrale
Reserve foncière
En avril 2016, le Ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires Foncières (MINDCAF) prend l’Arrêté N° 000375/MINDCAF/SG/D1/D14 « déclarant d’utilité publique » les travaux de constitution des réserves foncières destinées à l’agro-industrie dans le département du Mbéré, Région de l’Adamaoua. Alors que les pouvoirs publics se cachent la tête dans le sable, et prétendent que tout va bien, au sein de la population, on sent monter de l’adrénaline. Les conflits sont récurrents entre éleveurs et agriculteurs, mais aussi entre éleveurs/éleveurs, etc.
- Comme sur un volcan
A Dir, bourgade située à 113Km de Meiganga, chef-lieu de département du Mbéré, région de l’Adamaoua au Cameroun, les populations sont aux abois. Dans cet arrondissement constitué de 45 villages établis sur environ 3 670 km², l’Etat du Cameroun s’est constitué deux réserves foncières d’une superficie totale d’environ 319 984 ha avec titre foncier. Tous les deux établis en 2019 dans la mouvance de la constitution de réserves foncières destinées à l’agro-industrie et aux logements sociaux sur l’ensemble du territoire national. Pour cette population composée pour l’essentiel d’agriculteurs et d’éleveurs, « C’est trop ! On a été surpris de voir fin 2017 – début 2018, des gens se présentant comme agents de l’Etat venir mesurer et implanter des bornes sur nos terres », confie Pierre Hervé Madougou Yagong, entrepreneur agricole, membre du Collectif pour la défense des terres du Mbéré, très actif sur les réseaux sociaux. Dans cette commune soutient-il, c’est entre 90 et 95% du territoire qui ont été pris. « C’est un scénario où l’Etat s’est retrouvé en train de manquer de respect à l’Etat, le satellite s’étant baladé et n’ayant trouvé « personne » sur les terres, ils ont estimé que c’était inoccupé et ils ont tout pris sans consulter personne ».
Conséquence, seulement 3km de chaque côté, à partir de la route principale vers l’intérieur, ont été concédés à la population. « Prenez le cas de cet homme qui est né en brousse, à 15km de la grande route. Il y a grandi jusqu’à avoir des petits fils. Puis un jour, on vient lui que l’Etat a pris ses terrains, qu’il aille au bord de la route. Il va y trouver des gens qui sont nés là-bas. Où est-ce qu’il va trouver de la place pour lui et ses enfants voire petits enfants, pour faire l’agriculture ou l’élevage ? C’est pour cela que certaines populations sont mécontentes de ce phénomène [Réserve foncière, Ndlr]. Alfakir Aboubakar, président des plateformes chaînes des valeurs agricoles, raconte cette anecdote qui peint l’état d’esprit des populations du Mbéré, toutes concernées en définitive. En effet, « pour l’instant la réserve foncière est encore loin de nous sur la route de Ngaoundal. Mais ça va refléter sur nous parce que les populations qui vont être déguerpies même si ce n’est pas tout de suite, avec le temps, ça va causer trop de problème », prédit Mohamadou Awalou, un jeune éleveur de Djalo.
- Un département sinistré
Des sources proches du ministère de Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières, il existe à ce jour, six réserves foncières dans les arrondissements de Meiganga, Dir et Djohong. Dans l’arrondissement de Meiganga, le processus est en cours pour la constitution de trois (03) RF d’une superficie totale d’environ 251 415 ha notamment à : Meiganga lieu-dit Yendé- Beka ; Meiganga et Djohong lieu-dit Lokoti-Wakasso-Gbatoua-Bafouk ; Djohong lieu-dit Yafounou –Bafouk. Globalement a-t-on appris, pour Meiganga, on attend le décret d’incorporation au domaine privé de l’Etat pour constituer les réserves foncières. Soit une superficie totale estimée pour le département à plus 582 236 Ha hors mis la superficie allouée à la réserve faunique de Djohong destinée à la protection et la multiplication des espèces animales et la préservation des fonctions du château d’eau reconnues à la Région de l’Adamaoua pour la partie sud du Cameroun ; la réserve forestière de Ngaoui et la réserve foncière depuis 1970 au profit de la SODEPA à l’Est de la ville de Meiganga
« Le Mbéré est sinistré ! On n’a plus de terrain. Ce qui accentue la bagarre entre nous, éleveur contre éleveur ; éleveur contre agriculteur, etc. », décrie Abdoulaye Nana Président national de l’Association pour la promotion de l’élevage au Sahel et en Savane (Apess). Pour ce dernier, s’il est incontestable que le département « possède » beaucoup de terres (environ 14 267 km²), « il y a aussi les bêtes. Dans la Commune de Meiganga par exemple, l’élevage occupe une place très importante. Il reste cependant de type traditionnel, extensif avec des phénomènes de transhumance et de nomadisme à la recherche du pâturage dans les bas-fonds et autres zones inondées ». Sa majesté Mohamadou Mohaman de Goumbela, chef de 3e degré précise : « les bœufs ont besoin de beaucoup d’espace pour paître. Si on dit qu’on donne un km pour les éleveurs, ça ne peut pas aller ? Si on leur donne deux km ; cela ne peut pas arranger les agriculteurs. Comment ils vont vivre ? ces 3 km ne suffisent même pas pour les producteurs ». Alors que son homologue Mohamadou Bakari de Meidougou met en exergue les conflits fonciers déjà légion dans sa localité. « A la chefferie trois plaintes sur quatre portent sur les conflits fonciers entre éleveurs et agriculteurs », confie-t-il. Alors même que l’accès aux réserves foncières n’est pas encore interdit, la population qui s’accroit connait déjà les conséquences du rétrécissement de son espace dû aux différentes pressions exercées sur la terre.
- Feu orange…Corriger pour prévenir un drame
« Ça nous dérange dans notre activité. On ne peut pas investir là où il y a les réserves. Il est mieux que l’Etat revoit ça. Ils ont pris beaucoup d’espaces. On ne sait pas même pas à quoi ça va servir », confie un éleveur. Un autre de renchérir : « l’Etat n’a rien laissé. Parce que 3km le long de la route, c’est pour les habitations ! Mais l’exploitation agricole et pastorale va se passer où ? » Par exemple, « avec le rétrécissement de l’espace vital de 3650 km2 à quelque 840 km2, la densité de la population va exploser pour être de 88,9 habitants au km2. Ceci dans une zone où les populations ne vivent que de la chasse, de l’élevage et de l’agriculture. Ces conflits vont s’intensifier, créant et accentuant les risques de conflits interethniques », craint un membre du comité des jeunes actifs du Mbéré. « Meiganga n’avait pas 100 maisons. Aujourd’hui Meiganga a plus d’un million d’habitants. Ce quartier (Poko) n’existait pas dans les années 80. C’était la brousse. C’est devenu le centre commercial ». La région faut-il le préciser, outre sa population cosmopolite accueille des réfugiés de la crise centrafricaine. Certains dénoncent « les accaparements de terres » par l’Etat en violation de la réglementation en vigueur. « A Kilaldi, ils ont implanté la borne dans cour de l’école », dénonce Hervé Yagong d’après qui « les réserves foncières sont une grosse arnaque. C’est un scandale ! les procédures n’ont pas été respectées. Ni par l’affichage d’une action en cours ; les communautés n’ont pas été consultées mais sommées à travers les lamibé ». Pour autant, les populations ne s’opposent à la constitution des réserves foncières mais plaident pour une réduction des superficies.
Hamadou Sali, éleveur, résident à Meiganga « Quand l’Etat prend un certain nombre de décisions pour faire des réserves foncières, pour moi c’est salutaire. Parce que, si j’ai besoin en tant qu’éleveur d’un espace pour mon pâturage, l’Etat ne peut me le refuser. Donc, ces réserves nous appartiennent. Je pense que les populations sont mal sensibilisées. Voilà pourquoi, il y a ces mécontentements. Les gens ne savent pas pourquoi l’Etat a réservé le foncier ». De ce manque de sensibilisation en amont, découle comme corollaire dévastateur, la non-implication des populations dans le processus. Ni les autorités traditionnelles, ni l’élite, ni le Cadastre local n’ont été consultés ou leur avis véritablement pris en compte. « On nous a imposé les décisions ». Afin d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur ce qui se passe dans le département au sujet des terres, certaines organisations de la société civile constituée en collectif sous la houlette de certaines élites ont saisi le Premier ministre, chef du gouvernement. Des pétitions ont été signées à cette époque (entre 1500 et 2000 signatures collectées). Mais cette démarche ne contraint pas les décideurs. D’ailleurs, les correspondances sont restées sans suite.
En dépit du silence des pouvoirs publics, l’espoir demeure au sein de cette population qui suggère comme voie de sortie d’une crise qui se profile à l’horizon : une réduction des superficies ponctionnées par l’Etat pour constituer ses RF ; l’implication à l’avenir des autorités traditionnelles dans la sélection des espaces à réserver pour la constitution du patrimoine foncier de l’Etat au motif que : « Les chefs surtout de 3e degré et les notables connaissent mieux leurs territoires ». Cette implication concerne aussi les administrations au niveau local. Afin d’éviter la situation observée à Ngaoundal, il y a quelques années. Egalement, un appui gouvernemental serait la bienvenue pour permettre aux organisations paysannes et d’éleveurs de faire face aux nouveaux défis imposés par la réduction des terres. « Si l’Etat nous appuie par exemple en tracteur et intrants agricoles, nous allons offrir des emplois en abondance aux jeunes et produire du maïs pour toute l’Afrique Centrale », estime Alfakir Aboubakar. L’accès facile au crédit permettrait aussi de booster la production bovine. Ils souhaitent que soit pris en compte la question de l’indemnisation des éleveurs et une revalorisation des compensations prévues pour les mises en valeurs paysannes dans le cadre de la réforme foncière en chantier.
Nadège Christelle BOWA
De retour du Mbéré
Avec cette braderie à outrance de nos terres, c’est tout le département est sinistré! C’est grave.