Alerte : La Loi forestière en examen au Parlement du Cameroun promeut la déforestation
Des Innovations certes, mais davantage de nombreuses limites et incohérences relevées dans le projet de Loi N°2058/PJL/AN portant régime des forêts et de la faune. Le projet enfin sur la table des députés après une vingtaine d’années d’attente d’une réforme amorcée en 2008 pour améliorer une loi vieille de 30 ans sera discuter en plénière ce lundi 1er juillet 2024. Les députés interpellés !
Au termes ( ?) d’une attente longue de plus de 15 années, le projet de Loi portant régime des forêts et de la faune au Cameroun est enfin sur la table des députés de la 10e Législature en 2e session ordinaire pour l’année Législative 2024. André Noël Essian, Secrétaire Général de l’Assemblée Nationale, dans une note annonçant le programme des travaux de ce lundi 1er juillet 2024, informe de ce que dès 11 heures, la séance plénière de ce jour va porter sur une : « Discussion générale sur les projets de loi N°2058/PJL/AN et N°2059/PJL/AN ». Depuis l’annonce de l’arrivée de ce projet de loi à l’Assemblée nationale, c’est la joie voire l’euphorie au sein des organisations de la société civile travaillant dans ce domaine depuis des lustres. Mais quelques-unes d’entre-elles ont été assez curieuses d’observer de près, les dispositions de cette « nouvelle » loi avant son examen et adoption. Et là, surprises ! Entre autres limites et incohérences, la loi forestière si elle est adoptée telle que, se propose d’accélérer le processus de déforestation au Cameroun. Une très mauvaise nouvelle pour la lutte contre le changement climatique mais aussi pour les cacaoculteurs dont 70% de la production est destinée au marché de l’Union Européenne pleinement engagée dans le processus de lutte contre la déforestation à travers sa nouvelle réglementation (RDUE).
Les résultats du regard critique de ce consortium d’organisations de la société civile (Aped, CeDla, Cerad, Flag, GDA, et Saild) relèvent en effet, des avancées, de grands problèmes et des propositions afin que les bons points de la future nouvelle Loi ne soient pas ternis. Parmi les nouveautés perçues dans le texte soumis aux parlementaires, on peut noter sur la filière : l’interdiction de l’exportation du bois en grume (art 97 al.2) ; l’exigence de transformation des grumes en totalité par l’industrie locale (art 97 al.1) et l’achèvement de la décentralisation forestière avec la création des forêts régionales (art 29). De manière spécifique en ce qui concerne les droits, ce projet souligne la reconnaissance de certains territoires et droits au profit des communautés riveraines. « Ceci est perceptible avec la formalisation des zones d’intérêts cynégétiques à gestion communautaire, la création des aires protégées communautaires et des territoires communautaires de chasse, la consécration de la chasse rituelle », explique Ghislain Fomou, directeur des programmes au Saild. Toujours au nombre des avancées, la prise en compte des aspects environnementaux et écologiques qui se traduit par les incitations au reboisement à la restauration des forêts, la consécration du préjudice économique, fiscal, écologique, environnemental, social et culturel subi par les communautés, la prise en compte des ressources génétiques et des services écosystémiques. L’on relève aussi une volonté d’améliorer la filière. Cet aspect est rendu visible par l’exclusion de la transaction pour certaines infractions, l’augmentation du nombre d’infraction et des cas de circonstances aggravantes.
Une loi en régression
Cependant, le projet de loi en son état actuel pose quelques problèmes majeurs dans la mesure où : « le texte encourage la conversion des forêts ; l’aménagement forestier n’est pas adapté au contexte ; la gestion participative n’est pas bien aménagée ; le partage des bénéfices avec les communautés n’est pas aménagé ; les droits d’accès et de prélèvements des communautés sont limités », liste Ghislain Fomou. Dans le détail, l’expert révèle que le texte a rendu plus souple les modalités de déclassement des forêts permanentes qui entraine la conversion des forêts. Ce qui est visible à travers l’admission d’une exception au principe du classement préalable d’une forêt équivalente avant le déclassement (art 26 al.2) dans le cas de l’expropriation pour cause d’utilité publique, une notion que le texte a omis de clarifier ou encadrer laissant libre cours aux interprétations. Une telle disposition tend à fragiliser l’engagement du Cameroun de maintenir 30% de son territoire sous la couverture du domaine forestier permanent (Art 23). Sur la question de l’aménagement forestier hors contexte, on constate dans la pratique, la défection de l’administration dans la réalisation opérationnelle de l’aménagement, ce qui ne correspond en rien au principe d’attribution de la compétence de l’aménagement des forêts domaniales à leurs propriétaires (Etat, régions et communes). De même, les opérations d’aménagements semblent focaliser uniquement sur l’exploitation du bois alors qu’elles devraient concernées l’ensemble du domaine forestier permanent.
Toujours sur cet aspect, « la compétence exclusive de l’Etat sur le suivi de l’exploitation forestière doit être affirmée et la compétence d’effectuer les inventaires ou de le contrôler s’il est fait par d’autres personnes physiques ou morales doit être confiée à une autorité administrative indépendante à l’instar de l’Anafor. Au demeurant, la rotation trentenaire de l’aménagement forestier ne semble plus adaptée et adéquate pour le contexte actuel », relèvent ces organisations. S’agissant du principe de la participation posé (art 4) dans le texte, l’analyse montre que celui-ci n’est pas bien aménagé car sa mise en œuvre est subordonnée à la seule volonté de l’Etat (art 3) et que des parties prenantes comme les organisations de la société civile sont visiblement exclues (art 14). De même, les modalités de cogestion des aires protégées avec les communautés riveraines (MoU) ne sont pas formalisées. Si l’article 141 pose le principe général de partage des bénéfices avec les communautés riveraines, aucune grille de répartition de ces bénéfices n’est spécifiée que ce soit en ce qui concerne les bénéfices issus de l’exploitation de la faune (art 151) que les bénéfices issus du contentieux (art 148). En réalité, les communautés riveraines sont exclues du partage de la redevance forestière annuelle (art 142 al. 2), des bénéfices des services environnementaux (art 144) et des bénéfices issus des ressources génétiques (art 15 al. 2).
Une gestion par embuscade
L’autre problème relevé concerne les droits d’accès et de prélèvement des communautés notamment le droit d’usage. En effet, la commercialisation des droits d’usage prévue dans la définition de ce terme (art.3) n’est pas respecté dans l’article 6 alinéa 1qui le réduit à un « usage personnel ». Ces droits sont restreints au seul domaine national alors que la pratique les admet dans les aires protégées à travers les MoU. Selon le juriste et analyste politique, Alain Mfoulou Bonny, le texte présente des incohérences avec les dispositions des autres lois sur les ressources naturelles en évoquant un domaine national réservé (art 77 al.1 ; art 127 al. 2 ; art. 165 al. e ; art 166 al. d ; art 167 al. d ; art 168 al. a ; art 169 al. c) qui n’existe pas dans le régime foncier ; et en dissociant, les connaissances traditionnelles associées des ressources génétiques (art 15 al 1) alors que la loi N°2021/014 du 09 juillet 2021 régissant l’accès aux ressources génétiques, à leurs dérivés, aux connaissances traditionnelles associées et le partage juste et équitable des avantages issus de leur exploitation (APA) ne les considèrent pas séparément. Au regard des incohérences relevées, l’expert qualifie de « gestion par embuscade », cette façon de faire.
Au-delà de ces observations, des propositions fusent parmi celles-ci : la formalisation des accords de cogestion comme modalités de participation des communautés riveraines à la gestion durable des ressources forestières et fauniques ; l’aménagement d’une grille de répartition dans les textes, conformément à l’exposé des motifs ; la création d’un fonds de régénération et de renouvellement des forêts. Egalement selon les experts, il faut rétablir la rigidité des modalités de conversion des forêts ou la renforcer ; instituer la géolocalisation des inventaires ; considérer les populations autochtones au sens onusien dans le texte ; mettre le texte en harmonie avec les autres législations sur les ressources naturelles. Elus et représentant du peuple à l’Assemblée nationale, les députés se doivent donc d’être regardants en examen ce projet de loi, pour ne pas laisser des incongruités qui feraient que le Cameroun au lieu d’avancer, recule. Nos parlementaires ont du pain sur la planche.
Nadège Christelle BOWA