Antoine Senga Tabu : « Quand on touche à l’écosystème, la conservation est en danger »
Directeur pays de African Wildlife Foundation en République Démocratique du Congo (RDC), Antoine Tabu dresse un état des lieux des écosystèmes de ce pays, qui comme la plupart des autres pays couverts par cette organisation, subissent de graves menaces. Entre le braconnage des spécimens comme les éléphants, les bonobos…, l’exploitation forestière et celle des minerais, la présence des éleveurs transhumants, le déficit de financement, etc. la conservation des écosystèmes souffre le martyr. Dans ce décor dévasté, l’AWF qui est une organisation internationale de la conservation de l’environnement, joue son va-tout pour sauver la planète en promouvant ce qu’il appelle : « une bonne économie de la biodiversité ». Le concept aurait des avantages que les politiques gagneraient à explorer.
Quelle est la situation des écosystèmes en République Démocratique du Congo ?
Les écosystèmes ne sont pas en bon état. Lorsque vous regardez le moratoire que fait par rapport à l’exploitation forestière, c‘était justement à cause de cette menace qu’on avait sur l’habitat, avec le contrat accordé aux entreprises pour exploiter le bois. C’est pourquoi le gouvernement était obligé de faire un moratoire. Quand on touche à l’écosystème, à l’habitat, la conservation est en danger car il y a un lien direct entre l’habitat et la faune. Voilà d’ailleurs notre mission à l’AWF est de travailler de telle sorte que la faune et l’habitat prospèrent dans une Afrique moderne. En cherchant la modernité, le développement, on trouble l’habitat sans savoir que la vie de la faune en dépend. Voilà pourquoi la conservation et la faune vont ensemble. On conserve la biodiversité qui se trouve dans des habitats qui sont parfois menacés. Même dans les aires protégées ! Sur les 13% du territoire national dédié à des aires protégées, l’Institut Congolais de la Conservation de la Nature (ICCN) n’est pas présent sur tous ces espaces, faute de financement, de l’absence de partenaires pour l’accompagner dans le travail pour lequel il a été créé. Au-delà de tout ça, même là où il y a un effort pour conserver, les menaces de manquent pas.
Quelles sont ces menaces ?
Il y a par exemple le braconnage par exemple. Le Congo est très mal fichier parmi les pays de provenance de la plupart des spécimens vivants ou des trophées qu’on attrape sur le plan international en termes de commerce. Ce n’est pas un bon signe pour notre pays, parce que nous sommes partie de nombreuses conventions, y compris la CDB. Aussi, nous sommes obligés de mettre en place des lois et des régulations pour pouvoir arrêter ou réduire ces menaces. Comme autres dangers, nous avons l’exploitation artisanale des minerais. Par exemple chez moi à Bili-Uélé, c’est une aire protégée, [située au nord du Bas-Uele. Le domaine est créé en 1974, et sa superficie est approximativement 6 000 000 ha. Ndlr] à l’intérieur de laquelle on retrouve une forte concentration d’exploitation minière artisanale, qui ne devrait pas en principe exister. Tout cela parce qu’il s’est passé un moment où ICCN n’était pas actif dans la zone. Les communautés se sont senties libres et ont investi l’aire protégée pour l’exploitation des minerais. Il y a aussi cette menace que représente les éleveurs transhumants qui viennent de l’Afrique de l’Ouest, du Tchad et paissent leur troupeau dans les aires protégées. C’est un sérieux problème qu’on doit adresser. Egalement, il y a la chasse de survie. Mais si elle était pratiquée par les communautés riveraines uniquement pour leur alimentation, son impact serait amoindri. Mais les produits issus de cette pratique sont davantage destinés au commerce dans les grandes villes.
Lors de votre présentation, nous avons perçu une corrélation entre les animaux notamment entre l’éléphant, la forêt et l’eau. Quel rôle ce pachyderme en particulier ?
Une chose est certaine. Ce n’est pas l’Homme qui plante les arbres dans la forêt. Les animaux en général jouent un rôle essentiel dans la dissémination. Qu’il s’agisse des oiseaux ou des éléphants dont les crottes servent énormément à la dissémination des pépins. La forêt nourrit l’animal qui en retour aide la forêt à se reproduire. Ce qui signifie que si vous enlevez les animaux de la forêt sans même couper un arbre, celle-ci va disparaître. Il y a un lien direct. Dans les écosystèmes aquatiques par exemple, on rapporte qu’il y a diminution de la population halieutique dans de nombreuses rivières qui autrefois étaient peuplées par les hippopotames. Ces derniers en déposant leurs crottes dans l’eau ramenaient de la nourriture pour les poissons.
Dans la chaîne, quand vous consommez un maillon qui facilite l’existence de l’autre, cela crée une menace réelle sur l’autre espèce. Le fait d’avoir braconné ces hippopotames a eu cet impact qu’on déplore aujourd’hui. Bien entendu, il y a aussi la pêche non règlementaire par empoisonnement des cours d’eau ou par utilisation d’autres outils non réglementaire. En ce qui concerne l’éléphant, vous savez que la forêt joue un grand rôle dans la stabilisation des cycles de pluie. Alors si l’éléphant joue un rôle important dans la dissémination des forêts, alors plus il y aura d’éléphants, plus il y aura de forêts et plus il y aura de pluies et donc de l’eau.
Pour en revenir aux éléphants très prisés par les chasseurs malgré l’interdiction, et pourchassé avec l’aide des populations locales. Quelle est la valeur économique d’un éléphant vivant pour une communauté, au-delà, de son apport écologique très souvent mis en exergue ?
Nous sommes en train de travailler avec une université sur l’économie de la biodiversité. Il est prouvé qu’un éléphant des forêts vivant, séquestre le Co2. L’idée pour nous est de voir comment faire en sorte que les communautés qui vivent où il y a des éléphants, sachent que lorsqu’une personne vient de loin, et te donne 500 dollars pour tuer un éléphant pour qu’il retire les ivoires qu’il va revendre et s’enrichir, ce même éléphant, dans une bonne économie de la biodiversité, joue un grand rôle dans l’entretien de la forêt dont l’homme jouit des bienfaits. Dans le cadre d’un bon projet, il y a des bénéfices sur le commerce du carbone. La RDC venait d’adopter une loi sur le Benefice Sharing, sur le bénéfice issu de la vente de carbone entre les communautés, ICCN et l’Etat. Même dans nos aires protégées, si on arrive à promouvoir le tourisme de vision, c’est la communauté qui gagne. Un bonobo qu’on tue est vendu à maximum 50 dollars. Mais en vie, il va drainer de milliers de touristes. Voilà comment les bonobos que vous tué pour consommer et oublier demain peut vous donner chaque année plus de 1000 dollars par individu si on réussit à mettre en place un programme d’écotourisme. Voilà les avantages de la conservation.
Même dans nos aires protégées, si on arrive à promouvoir le tourisme de vision, c’est la communauté qui gagne. Un bonobo qu’on tue est vendu à maximum 50 dollars. Mais en vie, il va drainer de milliers de touristes. Voilà comment les bonobos que vous tué pour consommer et oublier demain peut vous donner chaque année plus de 1000 dollars par individu si on réussit à mettre en place un programme d’écotourisme. Voilà les avantages de la conservation.
Comment est-ce qu’on quantifie cet apport-là sur le plan économique afin qu’un décideur ou même l’africain lambda puisse faire la différence ?
Dans l’aire protégée où nous avons fait le biomonitoring, on s’interdit de donner les chiffres sur les éléphants que nous avons pour ne pas susciter la convoitise des braconniers. Cependant, considérons que si nous avons seulement 100 éléphants dans notre aire protégée. C’est 40 dollars par jour et par éléphant qu’on doit payer-Un tel projet était en discussion-, ce qui fera 4000 Dollars chaque jour de recette que vous réalisez. Quel autre busines quelqu’un peut faire qui rapporte autant dans un village comme Lomako ? Si les communautés commencent à voir un centre de santé, une école, un pont ou encore une route, et on lui dit que c’est le résultat de un mois parce que vous avez protégé votre éléphant dont on a vendu la séquestration du carbone… Tout cela vous aide à ce que vous ayez l’argent et vu que l’éléphant a une longue durée de vie, il vous donnera assez de rendement pour pouvoir bâtir votre avenir. C’est ce qu’on appelle le développement durable. On garantit le présent sans hypothéquer l’avenir de nos enfants.
De façon pragmatique, comment vous amenez les communautés au niveau de l’AWF à adhérer à la conservation ?
Depuis 20 ans que je suis à l’AWF, nous sensibilisons. Un jour j’étais avec un paysan, je lui ai demandé s’il mange l’huile de palme ? Il m’a dit oui chaque jour. Je lui ai demandé combien de palmiers il a déjà planté depuis qu’il est en vie ? Il m’a répondu même pas un seul. Je lui ai encore demandé où est ce qu’il trouve les palmiers pour produire l’huile de palme. Il me dit : « c’est mon agronome écureuil qui m’aide en prenant les noix ici pour les jeter partout et ça pousse ». Et moi de le reprendre : « maintenant que tu bouffes ton agronome l’écureuil, comment tu auras l’huile demain ? » Il a pris conscience de ce que s’il n’y a plus d’écureuil, il y aura de moins en moins de palmier et donc d’huile pour son alimentation puisque personne n’en plante. Voilà comment des simples démonstrations peuvent amener les gens à prendre conscience. J’ai de nombreux cas de figures, beaucoup de petites illustrations. Dans la conscientisation, il y a ce qu’on appelle : nommer le monde. C’est amener une personne, à travers ce genre de questionnement, à dire de sa propre bouche son problème. Il doit comprendre qu’il est à l’origine de la pénurie d’huile de palme dans sa contrée. S’il y a la croissance démographique au village, il y a plus de problèmes. Vous trouvez un palmier avec des noix mures, vous y mettez un signe pour faire comprendre que vous le prendrez à votre retour. Un autre détruit votre signe et le remplace. C’est la bagarre. Parce qu’il y a peu de ressources et plus de personnes. Alors soit vous laissez votre agronome continuer de planter, soit vous plantez vous-même. Il y a un grand travail de sensibilisation qui est fait. Mais c’est comme le « Clip, Consentement libre informé au préalable, Ndlr » ! Il y aura toujours une génération qui n’a pas compris, dont il faut continuer de sensibiliser. Par rapport au changement par exemple, chaque pays doit produire le document qu’on appelle Cdn (Contribution déterminée à l’échelle national). Ce document là, ce n’est pas au ministère de l’environnement qu’on le met en œuvre. Mais, c’est ce villageois qui est en ligne de front de l’agriculture qui doit travailler pour réduire la déforestation.
Réalisée par
Nadège Christelle BOWA à Kinshasa