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Bientôt un nouveau dispositif juridique en matière de travail domestique

CAMEROUN/ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL
Par FOUSSENOU SISSOKO
Expert en communication

 

De manière caricaturale, les travailleurs domestiques au Cameroun sont très regroupés en associations légalement reconnues, mais aussi en syndicats. Cette situation rend difficile la possibilité d’une défense collective de leurs intérêts professionnels. Le nœud du problème tient en ce qu’il ne se considère pas, pour la grande majorité, comme des travailleurs à part entière. La méconnaissance frappante des droits et prérogatives qui sont les leurs, aggrave également cette situation. Par ailleurs, ceux qui les emploient ne sont pas mieux organisés. Autant de faits qui, entre autres entravent la conclusion d’une convention collective qui améliorerait les conditions des travailleurs domestiques.

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A ces deux réalités s’ajoutent une troisième, les règles juridiques en vigueur au Cameroun en matière de travail domestique sont peu protectrices des personnes qui exercent dans ce secteur d’activités. Elles sont en plus obsolètes et statiques, très peu ou mal connues du public. En effet, lors de son édiction, le décret n° 68/DF/253 du 10 juillet 1968, qui fixe les conditions générales d’emploi des domestiques et employés de maison, posait des règles globalement plus favorables aux travailleurs domestiques que celles du droit commun du travail, notamment le Code du travail et ses textes d’application. Mais, 50 ans après, le droit commun a énormément évolué alors que le décret fixant les conditions d’emploi des domestiques et employés de maison est resté statique et apparaît par conséquent vétuste et dépassé. Les spécialistes du droit de travail s’accordent d’ailleurs pour dire les dispositions dudit décret sont désormais inadaptées, et dépassées, et exposent le travailleur plus qu’elles ne le protègent.

En conformité avec la logique et les principes du travail décent, et pour inverser cette tendance, l’Equipe d’appui technique de l’OIT au travail décent pour l’Afrique centrale, Bureau Pays de Yaoundé a, en partenariat avec le Ministère du Travail et de la Sécurité Sociale élaboré un projet dont l’objectif majeur est de permettre au Gouvernement du Cameroun de disposer de cadres institutionnels et juridiques propre à assurer la reconnaissance et l’effectivité du droit à un travail décent aux travailleurs domestiques.
La mise en œuvre d’un axe majeur de ce programme, notamment celui relatif à l’amélioration du cadre juridique, a donné lieu, il y a quelques mois, à l’élaboration tripartite d’un projet de révision des dispositions qui organisant le travail domestique au Cameroun. Dans une logique d’appropriation, et pour préparer la voie à une éventuelle soumission de ce projet de révision aux instances parlementaires, il a été soumis à la validation de la Commission Nationale Consultative du Travail, organe habilité à émettre des avis et à formuler des propositions sur la législation et la réglementation à intervenir dans les matières où cet avis est prévu par le Code du travail.

En attendant le « quitus » de la Commission Consultative du Travail, le BIT et le MINTSS ont jugé opportun d’informer les différents acteurs nationaux des questions de normes du travail et de protection des travailleurs sur les règles juridiques qui organisent le travail domestique au Cameroun, en utilisant comme éléments de réflexion et d’analyse, les résultats de l’étude technique sur l’élaboration d’un projet de révision des dispositions organisant le travail domestique au Cameroun, étude réalisée par le Professeur Jean Marie Tchakoua, avec l’appui technique du BIT.

Dans cette logique, des échanges et réflexions ont eu lieu au cours d’un atelier thématique organisé à Yaoundé et co-présidé par Grégoire Owona, Ministre du Travail et de la Sécurité Sociale et François Murangira, Directeur de l’Equipe d’appui technique de l’OIT au travail décent pour l’Afrique centrale.
Dans son adresse aux participants, le Ministre du Travail, et de la Sécurité Sociale a annoncé que le Cameroun a déjà entamé les actions nécessaires dans le but de procéder à la ratification de la Convention 189 et de Recommandation 201 relatives aux travailleurs et travailleuses domestiques (Convention 189 & Recommandation 201- ILOhttps://www.ilo.org/travail/whatwedo/publications/WCMS_170439/lang…/index.htm)
A sa suite, le Directeur de l’équipe d’appui technique de l’OIT au Travail décent pour l’Afrique centrale a sollicité une soumission urgente du « projet de révision des dispositions organisant le travail domestique au Cameroun » à la Commission Nationale Consultative du Travail.

 

ANALYSE DIAGNOSTIQUE DU DISPOSITIF JURIDIQUE EN VIGUEUR
En procédant à l’analyse critique des différents articles du décret précité, le consultant a relevé des incohérences tant au niveau du contenu que dans la formulation sémantique qui les rendent aujourd’hui obsolètes et sont en déphasage avec les réalités du terrain.
Parmi les articles incriminés :

Article 3. Le décret en vigueur est très ambigu sur la forme du contrat de travail, preuve sans doute que le législateur était hésitant sur la réponse à la question de savoir s’il faut ou non imposer l’écrit. Sur le terrain, on voit que la plupart des contrats sont verbaux, ce qui entraine beaucoup de dérives.

Article 5. Beaucoup de travailleurs domestiques se plaignent du fait que les horaires de travail (y compris les temps de repos journaliers, voire hebdomadaires) sont imprévisibles et varient au gré de l’employeur.

– Article 8. Pour la fixation des salaires, le décret en vigueur renvoie à un autre, qui n’a jamais été pris. Pour y pallier, on applique une délibération de l’ancienne Commission nationale paritaire des conventions collectives et des salaires, rendue exécutoire par l’arrêté n0017/MTPS/DT du 2 aout 1985. Le tableau des salaires minima y est établi sur un critère de zones de salaires, solution aujourd’hui en déphasage avec l’article 62 du Code de travail de 992, qui a implicitement supprimé les zones de salaires. Les salaires prévus dans le tableau vont de :
– 21.621 à 38.150 Francs CFA pour la zone I
– 17.805 à 31.452 Francs CFA pour la zone II
– 17.176 à 30.036 Francs CFA pour la zone III
Ces montants sont excessivement faibles et dépassés par l’évolution. Il faudrait remarquer qu’en zone III, le salaire de la huitième catégorie est (30.036 Francs CFA), le plus haut, et est de loin inférieur au SMIG qui est actuellement égal à 36.270 Francs CFA.

DES THÉMATIQUES ET PRATIQUES NOUVELLES DANS LE NOUVEAU DISPOSITIF JURIDIQUE
Le nouveau cadre juridique et réglementaire sur le travail domestique auquel nous avons fait allusion à l’entame de cet article, fait référence à des thématiques et pratiques nouvelles, qui sont traduites en projet d’articles, comme le ressort le rapport de l’étude technique menée par le consultant du BIT, le Pr Jean Marie Tchakoua.
Comme thématiques et pratiques nouvelles les rédacteurs du nouveau cadre juridique mentionnent, les violences faites aux travailleurs domestiques, les confiscations de documents d’état civil, les retenues sur salaires.

Des violences faites aux travailleurs domestiques.

Les études de terrain ont révélé que les travailleurs domestiques sont souvent victimes des violences de toutes sortes : violence morale, violence physique et sexuelle. Ces violences peuvent provenir de l’employeur, des membres de sa famille, voire des personnes de passage à la maison.

L’article nouveau, propose de protéger les travailleurs contre les violences et engage l’employeur à prendre des dispositions pour les mette à l’abri.

– Des confiscations des documents d’état civil

Des enquêtes de terrain ont révélé que parfois, en vue de contraindre les travailleurs domestiques ( surtout les migrants internes) à demeurer à leur service, des employeurs détiennent leurs documents personnels (Carte Nationale d’Identité, Acte de naissance, carnet d’épargne).

L’article nouveau vise à éliminer ces pratiques

– Des retenues sur salaires

Beaucoup de travailleurs domestiques se plaignent des retenues sur leur salaire motivées par des dommages qu’ils auraient causé à l’employeur dans l’exécution de leur prestation.

L’article nouveau interdit non seulement la retenue sur salaire en réparation d’un quelconque préjudice, mais aussi les sanctions financières sous forme d’amende. Il reprend sur ces points les solutions de la Convention (n°95) sur la protection du salaire, ratifiée par le Cameroun.
En attendant, la validation par la Commission Nationale Consultative du Travail du « projet de révision des dispositions organisant le travail domestique au Cameroun », étape obligatoire avant l’examen par le parlement dans la perspective d’en faire une loi, les participants à l’atelier ont invité le ministère du travail et de la sécurité sociale à mettre en place un mécanisme de recensement de la main d’œuvre domestique. Ils ont aussi plaidé pour l’organisation en syndicats et mutuelles des acteurs et professionnels des métiers de l’emploi à domicile.

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