Cameroun: A 65 ans M. Taffou a enfin soutenu sa thèse
Il lui a fallu 15 ans de dur labeur financé sur fonds propre pour finaliser le sujet sur le Potentiel antifongique des extraits de quelques plantes médicinales Camerounaises. L’étudiant du Département de Biochimie a présenté ses conclusions le mardi 10 juillet 2018 à Yaoundé.
Plus que quelques jours voire quelques heures pour être enfin « Docteur ». Suite à l’autorisation du recteur, M. Taffou, étudiant en Doctorat/PHD au Département de Biochimie soutiendra publiquement sa thèse de Doctorat/PHD le mardi 10 juillet à 10 h dans la salle de la Faculté des Sciences de l’Université de Yaoundé 1. C’est un communiqué du doyen de ladite Faculté qui informe le public mais davantage le concerné et son jury de cette nouvelle ô combien événementiel pour l’intéressé. Puisque voilà 15 ans qu’il travaille son sujet qui porte sur le « Potentiel antifongique des extraits de quelques Annonaceae Verbenaceae Camerounaises ». C’est scientifique ! Mais aucune crainte, l’homme maîtrise son élément.
En effet explique le doctorant, « les champignons microscopiques provoquent de nombreuses maladies (teignes, au niveau du transit intestinal, au niveau vaginal, etc.). Pour les traiter, on utilise des médicaments synthétiques. Mais les effets secondaires étaient plus graves que le mal lui-même. Nous avons pensé qu’avec les plantes médicinales qui sont biodégradables-dont facilement éliminées par l’organisme- il peut avoir moins de dommage ». Outre cette caractéristique, les plantes renseigne-t-il, coûtent moins chères, elles sont disponibles et facilement éliminées par l’organisme. Tandis que les médicaments jusque là utilisés peuvent affecter le foie et le rein qui ont des fonctions vitales dans l’organisme. « Quand le foie ou le rein sont touchés, on est plus rien. Tout devient maladie. Notre but était de voir comment valoriser nos plantes médicinales en diminuant le coût du traitement et surtout en le rendant disponibles, à la portée de tout le monde ».
Phytomédicaments
Les résultats montrent que les extraits des plantes examinées présentent de bonnes propriétés antifongiques et corroborent par ailleurs les usages de ces plantes en pharmacopées traditionnelles. « Toutefois, il est nécessaire de mener des études approfondies sur la purification des fractions actives dans l’optique de l’isolement d’un composé au profil acceptable », souligne Pr Charles Awono Onana, Doyen de la Faculté des Sciences dans le communiqué où il ajoute : « En plus, l’action synergistique déployée par la fraction hexanique des tiges d’Uvaria angolensis (UAsia) en combinaison avec le Ketoconazole supporte l’éventuel développement d’un phytomédicament contre les levures ». A terme, Taffou espère servir aux populations du Cameroun voire du monde, des phytomédicaments à base de pèpè, corossol, et bien d’autres plantes dont la plupart révèle-t-il, sont des condiments. Mais pour y arriver, il y a encore du chemin. Bref, le respect du processus qui précède le développement d’un médicament à savoir la qualité, l’efficacité et la sécurité (toxicité).
Un chemin encore long en somme pour ce doctorant dont l’objectif à court terme est de convaincre le Jury présidé par Pr Véronique Penlap Beng, avec ce sujet qui lui a valu 15 années de travail financé par ses propres soins. « Je n’ai pas eu une bourse pour le faire. J’ai travaillé à mes frais. Pour récolter, il fallait aller à 20 km de Yaoundé en montagne. Pour ce faire, il faillait recruter un anatomiste, des chargeurs et le matériel coûte cher. Ça fait donc quand il y avait rupture du matériel, on devait attendre réunir un peu d’argent pour continuer. Et il y avait des études qu’on devait réaliser dans un laboratoire hors du Cameroun ».
Mention très honorable
« C’est un exemple d’émulation pour la jeunesse. Leur faire savoir que la vie est devant ». Pr Germain Kanscy, auteur de ces propos, apprécie ainsi le désormais Dr Taffou, adoubé le mardi 10 juillet 2018 dans l’un des amphis de la Faculté des Sciences de l’Université de Yaoundé I. Même le jury d’habitude très « éternel insatisfait » devant les conclusions de travaux des candidats au Doctorat, n’a pu avoir à son propos que des mots aimables : « Le jury vous félicite pour l’endurance. On ne se fatigue jamais quand on a la volonté de réussir. C’est la leçon à tirer de cette soutenance » affirme Pr Véronique Penlap Beng, président du jury de soutenance de la thèse de doctorat de M. Taffou, sur le « Potentiel antifongique des extraits de quelques plantes camerounaises de la famille des annonaceae et des verbaceae ».
La mention « très honorable » accompagne ces mots d’un jury convaincu par ce travail de longue haleine puisqu’il a pris 15 ans (Cf. Le Messager du 5104 du lundi 9 juillet 2018) à cet ancien étudiant du département de Biochimie de la Faculté des sciences de l’Université de Yaoundé I. L’universitaire ajoute au sortir de la salle : « Nous sommes très heureux d’avoir présidé pour ma part, cette soutenance de thèse qui concerne un de nos étudiants qu’on appelle papa Taffou qui a bravé l’âge, l’endurance ; la souffrance …En plus de tout ce que les étudiants peuvent braver, pour soutenir cette thèse. Franchement, c’est une leçon que ce garçon donne aux jeunes d’aujourd’hui à savoir que la science n’a pas d’âge ». En axant ses travaux sur la possibilité d’utiliser les extraits de certaines plantes pour le traitement des mycoses, le candidat donnent de la valeur à celles apprécient les membres du Jury.
Pour ces derniers « c’est une contribution en plus en utilisant en combinaison avec les pommades de la pharmacie, cela permet d’avoir des résultats incroyables », appuie l’un d’eux au cours des échanges. Papa Taffou, comme l’appelle affectueusement ses camarades et ses enseignants est félicité pour la qualité de ses travaux mais aussi pour la présentation du document. Pour avoir fuir le « kongossa » ou problèmes du quartier après sa retraite anticipée à 50 ans, l’ancien enseignant de mathématiques est adoubé. Mais l’aventure universitaire ne s’achève pas là assure ce dernier qui entend continuer dans la recherche en explorant la pharmacopée pour davantage en découvrir les secrets pour le bien de la science et des populations. Mais aussi, dans l’encadrement des plus jeunes. Une opportunité que lui offre le laboratoire de Phytobiochimie et d’études des plantes médicinales du Pr. Fabrice Fekam Boyom, par ailleurs directeur des travaux de M. Taffou.
REACTIONS
Pr Véronique Penlap Beng, président du jury
« On interpelle vraiment le gouvernement à mettre en place à mettre en place des unités de production »
Franchement, c’est une leçon que ce garçon donne aux jeunes d’aujourd’hui à savoir que la science n’a pas d’âge. Il faut avoir de la volonté, savoir où on va, et y aller. Avec force et courage, on y arrive toujours. Je n’étais au cœur de sa mise en place mais ce travail qui a été réalisé contribue à valoriser nos substances naturelles. C’est-à-dire, partir de nos plantes, de la pharmacopée camerounaise que les tradipraticiens utilisent et essayer de voir ce que l’on peut valoriser pour résoudre un certain nombre de problèmes. Notamment les problèmes de résistances. Dont souffrent de nombreuses infections vis-à-vis des molécules usuellement utilisées dans les protocoles thérapeutiques. Mais aussi, apporter de nouvelles molécules qui peuvent permettre d’élaborer de nouveaux protocoles thérapeutiques pour certaines infections pour lesquelles on n’a pas encore de médicaments. C’est très intéressant pour moi qui suis pharmacologue même si j’ai dévié en tuberculose où je fais beaucoup plus de la Biologie moléculaire. Pour dire que, c’est un aspect de la recherche qui est très important pour nous au Cameroun et pour les autres pays africains qui regorgent de substances. Les molécules qui sont actuellement utilisées sont d’origine naturelle. D’emblée, c’est supposé être sans toxicité et plus malléables que les substances synthétisées. Il est plus intéressant de rechercher dans les plantes médicinales, de nouvelles substances à partir desquels on peut faire des bons candidats des phytomédicaments à proposer dans les protocoles thérapeutiques pour aider la santé publique. Ce sont des projets que l’on doit encourager surtout au niveau de la valorisation. Et on interpelle vraiment le gouvernement à mettre en place, c’est vrai qu’il fait déjà beaucoup pour les projets et programmes de recherche qui ont comme objectif de développer notre pharmacopée, mais à nous aider aussi à mettre en place des unités de production. Ce serait bien au niveau de la faculté, pour ressortir des tiroirs, tous les résultats qui ont déjà été obtenus sur l’ensemble des plantes qui ont été testées au niveau biologique et toxique pour que vraiment notre population bénéficie de ces produits de la recherche.
QUESTION à…
Pr Fabrice Fekam Boyom
« Il faut absolument évaluer la toxicité des extraits qui ont été identifiés »
Le directeur de la thèse de doctorat du Dr Taffou évoque les contraintes qui ont retardé la publication des résultats des travaux de son filleul académique. L’universitaire parle aussi de l’avenir de ce candidat hors du commun.
Comment avez-vous vécu les 15 années qu’ont prises les travaux de recherche de M Taffou ?
Il y a eu trop de difficultés aussi bien financière que physique. Il fallait être là tous les jours pour veiller à ce que tout marche bien. Lorsqu’un réactif manque, il faut absolument le trouver donc le payer. Ce sont 15 années pendant lesquels M. Taffou a travaillé durement et de manière assidue. C’est comme une délivrance aujourd’hui. Non seulement pour lui, mais surtout pour moi qui porte une grosse part de la charge. Je suis très content. Je ne voudrais pas dire que l’Université ne finance pas les thèses- tout le monde le sait. Je voudrais surtout dire qu’un bon travail a besoin de temps. Il est normalement prévu que la thèse se fasse en trois ans mais, il y a beaucoup de contraintes chez nous. Je ne voudrais accuser personne mais féliciter le candidat parce que toutes ces années n’ont pas été vaines. Les efforts ont abouti à un résultat visible qu’on célèbre aujourd’hui.
Seriez-vous prêt à retenter l’expérience pour une thèse aussi longue ?
L’effort que je fais au quotidien, c’est que désormais lorsqu’un étudiant rentre dans mon labo, qu’il soutienne sa thèse au bout de trois ans maximum. Cet effort va dans le sens de chercher le financement pas à l’université mais en dehors. Nous sommes sur la bonne voie et nous pensons que M. Taffou sera là pour raconter son expérience aux jeunes, leur dire que si vous avez l’opportunité de rentrer dans un laboratoire comme celui-ci, il vaut mieux travailler de manière assidue pour finir le travail à temps. Il a suffisamment d’expériences pour leur donner de bons conseils.
Est-ce à dire que vous allez l’utiliser et comment ?
Bien sûr ! La maison c’est la sienne. Il va être là pour supporter, encourager et encadrer les jeunes. C’est très important. Même si ce n’est pas un emploi… mais on s’entend sur le fait qu’il profite de sa retraite pour faire autre chose comme encadrer les jeunes sur la paillasse. C’est très important !
Ces travaux tout le monde l’a reconnu sont très importants. Mais qu’allez vous faire concrètement pour qu’elle soit bénéfique aux populations ?
Comme j’ai l’habitude de le dire, un travail comme celui-ci est semblable à la fondation d’une maison. Ce que nous avons émis comme perspective, c’est des travaux qu’il faut faire en plus de ce qui a été déjà fait pour commencer à voir l’applicabilité des résultats de la recherche. Entre autres, il faut absolument évaluer la toxicité des extraits qui ont été identifiés. Il faut faire des essais translationnels pour ne pas aller directement chez le patient afin d’éviter le risque de « l’empoisonner ». C’est pour cela qu’il faut faire la toxicité aussi bien aigue que chronique des extraits qu’on a identifié avant de penser à mettre sur pied soit un phytomédicament, soit explorer les produits purs. C’est-à-dire les composés qui ont été isolés et qui possèdent une activité dans l’optique de développer des médicaments sur la base d’un standard de composés de principes actifs.