Cameroun : Pour une approche genrée dans l’inclusion financière
Cette note de Baltazar ATANGANA, expert genre et inclusion, porte sur l’étude intitulée « Analyse des facteurs pouvant limiter l’accessibilité des femmes aux services financiers en milieu rural au Cameroun », réalisée par Dr. Christian ELOUNDOU avec le soutien du projet d’Appui au Développement de la Microfinance Rurale (PADMIR) financé par le FIDA et le gouvernement camerounais. Cette étude a pour but d’identifier et d’analyser les freins socio-économiques à l’émergence financière des femmes en milieu rural camerounais.

Dans un contexte marqué par les polycrises entrainées par les récents bouleversements économiques, climatiques, technologiques et géopolitiques, cette étude démontre que l’accès au financement des femmes dans les zones rurales reste un problème important. Comme facteurs pouvant limiter l’accès des femmes aux services financiers en milieu rural, l’étude a identifié : le faible contrôle des ressources foncières du ménage ; la rigidité des modalités d’octroi des services dans les EMF ; le manque de garanties ; le faible niveau de formation des femmes ; l’auto-exclusion des femmes, le manque de motivation et enfin l’influence des conjoints.
Les freins socio-économiques à l’émergence financière des femmes en milieu rural camerounais
-Le faible contrôle des ressources foncières du ménage : l’étude révèle que près de 60 % des terres appartient aux hommes qui sont plus impliqués dans la production des cultures de rentes ou pérennes tandis que les femmes se contentent de pratiquer les cultures vivrières sur des surfaces n’excédant pas 1 hectare.
–La rigidité des modalités d’octroi des services dans les établissements de microfinance (EMF) : Il ressort de l’étude que les modalités d’offre de services financiers tendent à se conformer aux pratiques des banques classiques. Le taux d’intérêt créditeur gravite autour de 24 %/an ce qui prête à discussion dans une stratégie de lutte contre la pauvreté. Le Ministère d’Agriculture et du Développement rural du Cameroun (MINADER) reconnait dans son document d’évaluation du secteur de la Microfinance que les taux d’intérêt restent très élevés dans les EMF, malgré la grande concurrence.
-Le manque de garanties : l’enquête menée dans le cadre e cette étude a révélé que sur les 104 femmes ayant demandé le crédit 38,46 % ont été amenées à présenter des garanties matérielles avant l’accès au crédit à la caisse. Or, avec un accès limité sur le contrôle des ressources foncières du ménage, les femmes ont de la peine à déposer des garanties auprès des EMF.
-Le faible niveau de formation des femmes : Parmi les 250 membres des EMF interrogés, seulement 62,80 % ont déjà reçu des formations et des conseils de gestion sur leurs activités et 32 % n’ont reçu ni formation ni conseil de la part de leur caisse avant de contracter un crédit. Cette dernière catégorie explique l’incompréhension des offres et les modalités d’octroi des services financiers aux membres puisque, ne comprenant pas la logique d’intervention de la caisse villageoise, ces femmes se disent souvent marginalisées et se considèrent comme des laissées pour compte par leurs collègues. Par conséquent, les responsables des caisses se doivent donc de former leurs membres pour accroître l’adhésion de ces dernières à leurs offres financières et prévenir les recouvrements des crédits. Le faible niveau de formation et d’appui-conseil est le plus souvent à l’origine des taux de recouvrements faibles dans les EMF.
-L’auto-exclusion des femmes : Sur les 174 épargnantes interrogées, seulement 50 % d’elles ont contracté un crédit. Elles s’auto-excluent car n’ayant pas de garantie ni même la connaissance des avantages de contracter un crédit. Sur les 146 femmes qui n’ont pas demandé de crédit à la caisse, 53,42 % ont déclaré avoir peur de s’endetter.
-Le manque de motivation : L’étude révèle que les femmes préfèrent garder leur argent dans les caisses sans pour autant prendre de crédits car seulement 6 % de femmes sont motivées à être membre dans les EMF à cause des crédits qui leurs seront accordés.
– l’influence des conjoints : Les femmes ayant participé à cette étude sont devenues membres des EMF en majorité par des campagnes de sensibilisation soit 49,60 % et 32,40 % par l’implication de leurs conjoints. Ces hommes qui encouragent leurs compagnes à être membres dans des coopératives ont des intérêts cachés puisque pendant l’enquête, certaines femmes ont déclaré hors interview que : si je suis membre de cette caisse c’est pour servir de deuxième carnet à mon mari. Cette « main cachée du conjoint » dans l’octroi de crédit des femmes cause un réel problème à leur autopromotion. Ce faisant, 60,80 % de femmes quel que soit le groupe considéré ont affirmé qu’elles contrôlent les fonds dans le ménage Or elles avouent aussi que c’est le conjoint qui voit la nécessité d’une dépense ou non ce qui conduit dans certains cas à des disputes dans le foyer.
Des résultats porteurs
Les résultats de cette étude sont particulièrement importants pour la conception des stratégies visant à faciliter l’accès des femmes aux services financiers et à réduire les écarts de genre en matière d’inclusion financière au Cameroun. En effet, il ressort de ces analyses que les différences de caractéristiques entre hommes et femmes tels que : le faible niveau d’éducation des femmes entrainant des faibles connaissances financière, leur niveau de vie moins élevé du fait de leur faible autonomisation économique, un accès limitée aux ressources foncière accompagné par un certain manque de motivation et au mobile money, sont les principaux moteurs d’accès limité des femmes aux services financiers en milieu rural camerounais. Ainsi, la mise sur pieds des politiques publiques visant la promotion de l’autonomisation économique des femmes pourrait être un outil efficace de facilitation de leur accès aux services financiers et même la réduction des écarts entre les sexes dans l’accès aux services financiers.
Il est capital de renforcer la facilitation de l’accès des femmes aux services financiers en milieu rural au Cameroun, car elle entraînera la réduction des écarts d’accès entre les sexes. Il est à noter qu’elle pourrait également passer par l’amélioration de niveau d’éducation des femmes en générale et des jeunes filles en particulier, à travers une augmentation des investissements dans l’éducation. Ceci aussi bien en termes d’infrastructures, d’enseignants qualifiés, que d’outils pédagogiques appropriés, afin de réduire les disparités territoriales en ce qui concerne l’accès à l’éducation au Cameroun.
Pour une égalité des sexes au Cameroun
Tout compte fait, renforcer l’accès des femmes aux services financiers en milieu rural au Cameroun se pose comme un marqueur important pouvant contribuer à l’égalité des sexes au Cameroun. Avec un accès équitable des femmes à toute la gamme des services financiers fondés sur les besoins – épargne, crédit, assurance, paiements – et tout le programme de pédagogie financière qui les accompagne, on peut espérer que les Femmes camerounaises en général ont une chance d’atteindre une autonomisation sociale et économique durable : gage de l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement.
Baltazar Atangana
noahatango@yahoo.ca
Notes
[1] « Analyse des facteurs pouvant limiter l’accessibilité des femmes aux services financiers en milieu rural au Cameroun » : Pour une approche genrée dans l’inclusion financière au Cameroun ?, Edilivre-Aparis, 2015
[2] L’enquête de cette étude repose sur un échantillon de 500 femmes soit 250 membres des EMF et 250 non-membres. Cette étude a visé à analyser les facteurs pouvant limiter l’accès des femmes aux services financiers auprès des Etablissements de Microfinance (EMF) du réseau A3C (Association des CVECA et CECA du Centre) en milieu rural. Des enquêtes ont été effectuées auprès de 6 EMF du réseau dans 4 des 10 départements la région du Centre-Cameroun.