Comment l’Etat se fait spolier par les multinationales
Concession foncière
L’incompétence des négociateurs, l’intérêt égoïste mais aussi le contexte du droit international des investissements dans lequel s’inscrivent les contrats, limitent la marge de manœuvre des Etats dans la gestion des terres concédées, et dans l’imposition d’obligations aux concessionnaires.
En Afrique ou au Cameroun spécifiquement, l’analyse des contrats de cessions de terre à grande échelle montre qu’ils contiennent de nombreuses clauses problématiques relatives à des questions centrales. Tout n’est pas mauvais, mais selon Lorenzo Cotula, chercheur principal à l’Institut international pour l’environnement et le développement (Iied), les contrats doivent être clairs et toutes les dispositions notifiées. Par exemple, le cas des emplois. « Cette disposition doit être spécifiée dans le contrat en termes de genre d’emploi, pour qui, à quel moment… et si ce n’est pas fait, quelles sont les mesures coercitives ? », précise-t-il. Très souvent, les contrats sont négociés par des individus non expérimentés ou simplement animés par le désir de satisfaire leur seul intérêt égoïste.
Les communautés sont tenues à l’écart. « Les contrats nous arrivent et nous mettent devant les faits accomplis sans que la communauté n’ait été consultée à quelque moment », regrette Bruno Mvondo, Chef du village Bityili-Minko, Ebolowa 2. Frappé du sceau de confidentialité, les acteurs de la société civile qui disposent des expertises n’y ont pas accès non plus. Pourtant, on dénombre un volume très élevé de transactions concernées par les investissements à capitaux étrangers ou non et objet de contrat entre l’Etat et les entreprises dans les secteurs de : l’Agro-industrie, secteur extractif, exploitation forestière, concessions de conservation, aires protégées, zones de chasse sportive, construction des grandes infrastructures, etc. Soit 1638 transactions représentant un total de 45 millions ha depuis 2008, répertorié par Land Matrix dans le cadre du projet LandCam financé par l’Union Européenne pour sécuriser les droits des communautés à l’accès à la terre et améliorer la gouvernance foncière. Ces investissements proviennent pour la plupart de nouveaux partenaires des pays hôtes, et portent sur des superficies de plus en plus grandes. Pour mettre fin à des pratiques malsaines identifiées par le projet, les membres de Landcam ont organisé du 6 au 8 juin 2018 à Yaoundé, une série d’ateliers sur l’élaboration et la négociation des contrats relatifs aux baux domaniaux, concessions foncières et contrats ayant une incidence sur la terre (mines, forêts…) pour un développement durable et inclusif.
Améliorer la qualité de l’investissement
« Le résultat recherché est que toutes les parties prenantes concernées par l’investissement étranger et l’investissement dans le foncier soient habilitées à négocier et comprendre le contenu des contrats ; capables de contribuer à la réforme des politiques publiques en matière d’investissement pour améliorer la qualité des investissements et équilibrer la dynamique entre l’investisseur qui a accès à des juristes de qualité très expérimenté et la communauté au niveau local ou les cadres d’un ministère qui n’ont pas forcément les mêmes expériences », explique Brendon Schwartz, chercheur à l’Iied. D’après ce dernier, les tendances au niveau mondial montrent que parfois les Etats signent les contrats sans maîtriser les conséquences des contenus desdits contrats. « Et une fois qu’ils comprennent l’enjeu, il est très difficile de les résilier. Donc, il est prudent de prendre le temps de bien analyser un contrat et de maîtriser son contenu et aussi les termes qui sont favorables à l’Etat et aux communautés avant de le signer ».
Ainsi, au-delà de la phase de négociation, les ateliers ont examiné l’avant et l’après le contrat, pour inclure des questions telles que les cadres d’investissement, la sélection des investisseurs, les modèles d’investissement alternatifs, les évaluations des risques pour l’Etat, le contrôle de la conformité des entreprises aux engagements contractuels clés, etc. Afin de permettre aux participants de disposer d’éléments susceptibles de les assister dans l’évaluation des clauses des contrats passés et d’orienter les négociations futures, il leur a été proposé un contrat modèle en matière de cession de terre pour des projets agricoles à grande échelle.
Samuel Nguiffo
« Il est important pour tout le monde d’avoir accès au contrat »
D’après le Secrétaire général du Centre pour l’environnement et le développement (Ced), les investisseurs essayent de se protéger en formulant des clauses extrêmement précises en ce qui concerne les obligations de l’Etat cependant extraordinairement vagues pour leurs compagnies.
Qu’est ce qu’un contrat dans le domaine foncier ?
Dans le domaine foncier en général, les contrats dont on parle, concernent surtout l’Etat et les investisseurs privés qui ont besoin de terre pour l’agriculture ou pour d’autres fins. Pour ce faire, ils concluent un contrat avec l’administration ou le gouvernement qui leur définit : un espace donné (superficie), une durée donnée et leur donne un droit d’utilisation. C’est ce qu’on appelle des contrats de concession foncière. Les entreprises nationales peuvent également bénéficier des contrats de concession foncière ; des individus aussi. Mais les superficies en général, les plus importantes sont pour la plupart d’entre elles, détenues par des compagnies étrangères et les investisseurs étrangers.
Ce sont là des définitions un peu plus techniques. Comment le comprendre facilement dans notre contexte ?
L’Etat a la responsabilité de la gestion des terres qui sont du domaine national et c’est sur ces terres qu’en général les investisseurs sollicitent des espaces. Et l’Etat comme gestionnaire, leur donne ces espaces. Mais pour organiser leur présence, leur installation, leurs activités, l’Etat signe avec elles un contrat qui détermine où est ce que les terres concédées vont se trouver, sur quelle superficie, sur quelle durée elles auront des droits, et le contrat détermine les obligations et les droits de chacune des deux parties.
Est-ce que c’est toujours clair pour les uns et autres, notamment pour les acteurs de la société civile ?
C’est important pour toutes les parties d’avoir accès au contrat, d’en connaître le contenu. Les deux signataires (l’Etat et l’investisseur) ont une copie du contrat, ont participé à sa négociation. Mais souvent, les communautés et les personnes intéressées de la société civile n’ont pas forcément accès au contrat. Pourtant, elles auraient besoin d’avoir une bonne connaissance des clauses contractuelles. Cela permet aux communautés, de savoir quels sont les avantages auxquels elles ont droit, les obligations des compagnies puisque certains droits de ces communautés seront violés. Pour le grand public, c’est important de savoir parce que collectivement, nous sommes propriétaire de la terre. De même, nous bénéficions des revenus tirés de la terre. Donc si l’Etat cède des espaces par des contrats, c’est important pour tout le monde d’avoir une idée claire des clauses contractuelles et des revenus tirés de ces concessions foncières.
Qu’est-ce qui peut justifier que la société civile ou les communautés n’aient pas accès à ces contrats ?
La principale raison est l’existence des clauses de confidentialité qui obligent les deux parties (Etat et investisseurs) à garder le contrat confidentiel et ne pas le publier à des tierces parties. Ce qui explique qu’il soit parfois difficile d’avoir accès à ces contrats. Cependant, il y a des contrats qui n’ont pas de clauses de confidentialité, qui sont publics, disponibles. Ceux-là, on peut les analyser.
Vous avez étudié quelques contrats et vous en avez identifié quelques clauses problématiques. Est-ce qu’on peut avoir quelques unes ?
Lorsqu’on regarde les contrats d’une manière générale. Surtout les contrats liés aux ressources naturelles, on se rend compte que les investisseurs essayent de se protéger. Ils se protègent en mettant dans le contrat, des clauses qui formulent des obligations extrêmement précises à l’endroit de l’Etat et qui formulent des obligations extrêmement vagues à l’endroit des compagnies. Les engagements vagues ne sont pas des engagements. On voit beaucoup de dispositions vagues qui peuvent permettre justement à la compagnie de dire non, je ne m’étais pas engagée à cela. On n’a pas de chiffre, de date ou d’échéance. On n’a pas de moyen de vérification. C’est extrêmement vague. Mais pour l’Etat, en général, on a tout cela. On peut vérifier si l’engagement est respecté. Une autre manière, c’est des clauses qui permettent à l’investisseur d’éviter de payer un certain nombre d’impôts et de taxes. C’est prévu par la loi mais les compagnies disent qu’elles ne le feront pas et contractuellement, l’Etat s’engage à exonérer la compagnie de ce genre d’obligation fiscale. On a aussi des clauses beaucoup plus problématiques comme les clauses de confidentialité. Les deux parties s’engagent, surtout l’Etat à ne pas publier le contrat. Et donc à soustraire le contrat de l’analyse de toute partie extérieure. Et ça peut poser problème. Il peut y avoir des clauses pour lesquels la confidentialité peut être comprise mais pas pour la totalité du contrat. On a enfin des clauses qui sont des clauses de stabilisation qui disent que la loi telle qu’elle est au moment où le contrat est signé, si elle changeait, les changements ne s’appliqueraient pas à l’investisseur. Donc ça ce sont des clauses qui limitent fortement la capacité de l’Etat à légiférer et à imposer sa loi dans l’avenir à des investissements sur son territoire. Ces clauses là sont particulièrement problématiques. Et les clauses relatives à l’arbitrage qui obligent l’Etat à aller en étranger en cas de litige. On n’a pas les moyens de pouvoir suivre mais en outre on fait face à des juges qui sont acquis à la protection de l’investissement et qui ne regardent pas beaucoup les questions environnementales et sociales. Donc, les violations du contrat par l’Etat ayant pour finalité de protéger sa population et son environnement seront généralement sanctionnées par ces arbitres.
En tant que société civile astreint au suivi, est-ce que la loi prévoit des mécanismes de contournement des clauses de confidentialité que vous relevez ?
On peut discuter, on peut faire un plaidoyer pour que certains types de clauses contractuelles ne se retrouvent plus dans les contrats compte tenu de l’expérience internationale, qui montre que ce sont des clauses qui sont de plus en plus difficiles à expliquer comme des clauses de confidentialité. Mais on peut aussi essayer d’utiliser la loi nationale pour avoir accès à des contrats. Quand on regarde par exemple la loi de 1990 sur la communication sociale au Cameroun, il y a l’article 49 qui peut permettre d’avancer dans cette direction. Cette disposition pourrait être utilement utilisée par les médias pour avoir accès à ces contrats. Ce qui mettrait dans le domaine public.