Comment sauver les massifs forestiers de l’Amazonie et du Bassin du Congo
Crises climatiques
Deux grands massifs forestiers dans le monde, une réalité. Celle de leur destruction massive pour des raisons de développement ou de gain purement égoïste. Une volonté actée des gouvernants pour leur préservation mais des mesures complaisantes pour inverser la tendance. Le Sommet de l’Amazonie qui s’est tenu les 8 et 9 août dernier au Brésil, semble être une parfaite illustration de ce constat désolant. Pour saisir les enjeux, défis et perspectives de cette rencontre avec en toile de fond, la situation des forêts du Bassin du Congo qui à quelques détails près vivent les mêmes réalités. Votre journal a interrogé des experts des questions environnementales et climatiques. La synthèse de leur analyse pour éclairer et aider nos gouvernements dans leurs décisions futures en faveur des forêts du Bassin du Congo à la lumière de ce qui s’est joué à Belem.
Du fait d’une multiplication d’activités humaines plus ou moins destructrices, conduites par des individus ou par des compagnies : exploitation forestière à grande échelle, exploitation pétrolière et transport du pétrole par pipeline, exploitation minière légale et illégale, surtout de l’or, agro-industrie, élevage surtout bovin, l’Amazonie subit de fortes menaces. « Les conséquences en sont évidemment sa déforestation et sa dégradation, avec des émissions des Gaz à effet de serre. Des Scientifiques estiment que nous avons déjà perdu le 1/3 de ce massif forestier », relève Gervais Ludovic Itsoua Madzous, Vice-Président du groupe de Travail N°3 du GIEC et Coordonnateur du Hub Régional pour la Transparence de l’Action Climatique pour les Etats de l’Afrique Centrale de la CEEAC. Les feux de forêts, particulièrement destructeurs, sont une réalité de ces forêts, et ont conduit à une réduction du couvert forestier dans les pays qui abritent l’Amazonie. Toutefois, « Il est important de relever que tous les espaces forestiers en Amazonie ne sont pas soumis aux mêmes pressions : des études récentes ont montré que les territoires des communautés autochtones sont mieux préservés que les autres espaces, et préservent mieux le carbone. On peut donc en tirer comme leçon que les modes de vie des communautés autochtones sont les plus favorables à une gestion durable des forêts. Cette leçon de l’Amazonie est également valable pour le Bassin du Congo », affirme Samuel Nguiffo, Secrétaire général du Centre pour l’Environnement et le Développement (CED).
Estimée à 5 500 000 km2 (550 000 000 d’hectares), soit 11,5 fois la superficie totale du Cameroun, inégalement répartis sur neuf pays, avec environ 60% sur le seul territoire du Brésil, la forêt amazonienne est la plus grande forêt tropicale du monde, et représente 50 % des forêts tropicales de la planète. Elle revêt donc une importance particulière, à la fois comme habitat d’une diversité de peuples, dont des communautés autochtones, et habitat d’une riche biodiversité, dont de nombreuses espèces qui ne se retrouvent nulle part ailleurs. Les scientifiques sont d’avis que la forêt amazonienne fait partie des écosystèmes les plus vitaux de la planète. Elle abrite près d’un tiers des espèces connues sur terre, dont 390 milliards d’arbres, et contribue à maintenir les cycles du carbone et de l’eau mondiaux. Seulement, elle est particulièrement vulnérable. « Sa déforestation contribue à augmenter les concentrations des gaz à effet de serre dans l’atmosphère alors que le monde est enjoint à réduire les concentrations actuelles desdits Gaz pour prétendre atteindre les objectifs du nouveau régime climatique mondiale (Accord de Paris) », souligne Gervais Ludovic Itsoua Madzous. Cette vulnérabilité était au centre du sommet de l’Amazonie au début du mois d’août 2023. Réunis à Belém, au Brésil, mardi 8 août, les pays sud-américains d’Amazonie ont annoncé la formation d’une « alliance » contre la déforestation en visitant la voie de l’arrêt immédiat de l’exploration et de l’exploitation des combustibles fossiles en Amazonie. Un objectif réalisable soutient Gervais Itsoua Madzous. « Car il s’agit d’une décision du POUVOIR, en espagnol ça sonne mieux « EL PODER ». Sans ignorer qu’il faut anticiper et gérer les conséquences des mesures », explique-t-il.
Dilemme
Gervais Ludovic Itsoua Madzous, Vice-Président du groupe de Travail N°3 du GIEC et Coordonnateur du Hub Régional pour la Transparence de l’Action Climatique pour les Etats de l’Afrique Centrale de la CEEAC.
Provoquée par les activités agricoles et industrielles, la déforestation a atteint des niveaux record au Brésil par exemple. « Cette destruction des écosystèmes amazoniens se produit à un rythme sans précédent, des centaines, voire des milliers de fois plus rapide que tout phénomène climatique ou géologique naturel dans le passé », observe Gervais Madzous pour qui, « Il est sans appel que ceci est lié à des politiques publiques, des gouvernants. C’est donc une bonne nouvelle pour les écologistes que nous sommes d’apprendre que les Leaders Politique/Gouvernants se trouvent pour entre autres plancher sur les questions du rythme de déforestation inquiétant de cet écosystème ». Selon cet expert, il n’est pas impossible de concilier les besoins de conservation de cet écosystème avec les besoins de développement économique. « Il s’agit des vieux débats qui nous en amenés sur les concepts de Gestion de l’environnement, Gestion Durable de l’Environnement, Développement Durable, Economie Verte et Solution basée sur la nature aujourd’hui. Il faut bien scruter ses concepts pour comprendre que nous pouvons bien identifier les causes, les motivations et opter pour sur les options de conciliation », recommande-t-il.
Luiz Inacio Lula da Silva lors du sommet de l’Amazonie à Belém dans l’État de Para au Brésil, le 9 août 2023 • EVARISTO SA
Au cours de ce sommet, les huit pays riverains de l’Amazonie ont annoncé la formation d’une « alliance de combat contre la déforestation » pour éviter que le « poumon vert de la planète » (qui abrite environ 10 % de la biodiversité mondiale) « n’atteigne le point de non-retour ». Pour ce faire, il y a des actions à entreprendre. Cela commence par une prise de conscience par les Leaders Politiques des enjeux actuels et prendre la résolution d’y travailler. De ce fait, même s’il semble improbable, l’objectif de l’arrêt de l’exploration et de l’exploitation du pétrole peut devenir une réalité. « La sortie des hydrocarbures est inéluctable. Les résistances s’expliquent par la forte rentabilité de l’industrie pétrolière, et l’incapacité des autres sources d’énergie à répondre aux besoins de l’humanité. La seule question qui se pose aujourd’hui est celle de la vitesse à laquelle le processus de sortie des hydrocarbures et de substitution par d’autres sources d’énergie se fera », assure Samuel Nguiffo. Des résolutions qui parlent aux pays du Bassin du Congo dont certains comme la RDC et le Congo Brazzaville ont pris part à ce rendez-vous. Pour de nombreux experts africains, cette sous-région forestière a eu une prise de conscience précoce sur ces questions, dans la foulée de la conférence de Rio de 1992, avec le lancement de la Conférence sur les Ecosystèmes des Forêts Denses Humide d’Afrique Centrale, la déclaration de Yaoundé, le traité sur la conservation et la gestion durable des écosystèmes forestier d’Afrique Centrale, instituant la COMIFAC.
Alternatives
Ces différentes initiatives ont aidé les pays de la sous-région à faire des progrès considérables et remarquables dans la sauvegarde des forêts du Bassin du Congo. Toutefois, « Cette conférence de Belém devait aider, impulser les Leaders du Bassin du Congo à se retrouver et faire une rétrospection du chemin déjà parcouru par le Bassin du Congo dans ce domaine. Qu’est-ce qui a marché, qu’est-ce qui n’a pas marché ? », recommandent-ils. Selon Gervais Madzous par exemple, « Il y a effectivement beaucoup de chose à explorer, pourquoi depuis 2005, les Chefs d’Etats et de Gouvernement de l’Afrique ont du mal à se retrouver sur cette thématique ? ». Les pays forestiers expriment souvent leur situation en évoquant le dilemme suivant : faut-il exploiter la forêt pour promouvoir son développement économique ? Ou plutôt privilégier la conservation dans l’intérêt de l’humanité dans son ensemble ? « Ainsi formulée, le choix est simple : on ne peut empêcher un Etat de se développer en utilisant les ressources dont la nature l’a dotée. Les choses sont toutefois moins tranchées, et les termes de l’alternative sont en réalité plus nuancés : il n’y a jamais eu de demande des Etats donateurs d’assurer une mise sous cloche des forêts, ni en Amazonie, ni en Afrique centrale, ni dans le Sud-Est asiatique. L’encouragement semble avoir toujours été de conduire une gestion prudente, efficace, équilibrée entre une exploitation raisonnée, générant la plus forte valeur possible, la conservation, et l’utilisation par les communautés », analyse Samuel Nguiffo.
Samuel Nguiffo, Secrétaire général du Centre pour l’Environnement et le Développement (CED)
Saluant la décision « courageuse » de ces Etats qui décident de se priver des revenus d’une ressource, le pétrole, dont l’exploitation a causé plus de tort aux peuples qu’il n’a finalement contribué à leur développement. Profitant de la parenthèse Bolsonaro, le Bassin du Congo a occupé les devants de la scène. On se souvient que Bolsonaro avait de l’Amazonie une vision particulièrement axée sur la promotion du développement des investissements (agro-industries, élevage bovin, exploitation minière par exemple). En effet sous le règne de l’ancien président du Brésil (quatre ans), réputé très proches des investisseurs, rapporte Samuel Nguiffo, l’Amazonie a connu une augmentation de la déforestation de 75% par rapport à la décennie précédente. « Il s’agit d’une hausse particulièrement importante, à un moment où le discours international était plutôt favorable à la protection des forêts dans leur ensemble. L’on avait donc hâte de voir jusqu’où le président Lula pourrait inverser la tendance, et redonner de l’espoir à ceux qui souhaitent voir la forêt amazonienne continuer de contribuer, entre autres fonctions, à la lutte contre la crise climatique ». Aujourd’hui, précise le juriste, « le Bassin du Congo doit maintenant préciser sa vision, quelque peu brouillée par les compromis dont certains sont difficiles à comprendre (les choix en faveur d’investissements dans les mines, le pétrole, l’exploitation forestière et l’agro-industrie, à la rentabilité plus que contestables, et contre la gestion durable des forêts) ».
Nadège Christelle BOWA