COP 16 : Le succès du Cadre mondial Kunming-Montréal sous conditionnement financier
Pas d’argent, pas de NBSAP, pas de biodiversité et donc échec du cadre mondial Kunming-Montréal… Officiellement, seulement 18 % des Stratégies et plans d'action nationaux pour la biodiversité (SPANB) en Anglais (National Biodiversity Strategies and Action Plans (NBSAPs) ont été soumis au Secrétariat de la Convention sur la Biodiversité. Soit 35 pays sur les 196 enregistrés et présent pour certains à la Cop 16 qui se tient en ce moment à Cali. Et le Cameroun n’en fait pas partie. D’ailleurs en Afrique, excepté l’Ouganda, aucun autre pays n’a pu satisfaire à cette exigence. Des pays comme le Pakistan, les Seychelles et bien d’autres figurent également sur cette liste de retardataires. Pourquoi ? Conscient des enjeux pour ses engagements au niveau international et national, le Cameroun qui affirme pouvoir être dans les délais de soumission fixé en 2025 (délai de rigueur) semble sur la bonne puisqu’il a présenté à date ses objectifs nationaux. Cependant, comme la plupart des pays dans sa situation, il est confronté à des difficultés « purement » d'ordre financier. Le regard est fixé sur les ressources financières promises par les pays développés. Contrairement aux attentes, ceux-ci peinent à tenir leurs engagements à fournir 20 milliards de dollars par an pour la biodiversité d’ici 2025 et 30 milliards à partir de 2025. Cette faible mobilisation financière estimée à 400 millions de dollars contre les 40 milliards attendus au bout de deux ans de collecte des fonds, freine le processus. Etats des lieux, enjeux, impacts et perspectives dans cette enquête où à l’horizon se profile le scénario catastrophique.
SUMMARY
COP 16: The success of the Kunming-Montréal Global Framework under financial conditions
No money, no NBSAPs, no biodiversity and hence the failure of the Kunming-Montréal global framework… Officially, only 18% of the National Biodiversity Strategies and Action Plans (NBSAPs) have been submitted to the Secretariat of the Convention on Biological Diversity. That’s 35 countries out of the 196 registered, some of which are attending Cop 16, currently being held in Cali. And Cameroon is not one of them. In Africa, apart from Uganda, no other country has been able to meet this requirement. Countries such as Pakistan, the Seychelles and many others are also on this list of latecomers. Why is this? Aware of the stakes involved in its international and national commitments, Cameroon, which claims to be able to meet the submission deadline of 2025 (the strict deadline), seems to be on the right track, since it has submitted its national targets on time. However, like most countries in its situation, it is facing ‘purely’ financial difficulties. The focus is on the financial resources promised by the developed countries. Contrary to expectations, they are struggling to meet their commitments to provide $20 billion a year for biodiversity by 2025 and $30 billion from 2025 onwards. This low level of funding, estimated at 400 million dollars compared with the 40 billion dollars expected after two years of fundraising, is holding back the process. In this survey, we take stock of the situation, the issues at stake, the impact and the outlook, with a catastrophic scenario looming on the horizon.
This story was produced as part of 2024 CBD COP 16 Fellowship organized by Internews Earth Journalism Network
Au 16 octobre, 2024 seuls 29 pays sur 196 avaient respecté l’engagement de soumettre d’ici la COP16 une stratégie nationale pour la biodiversité (NBSAP, en anglais) supposée refléter leur part des efforts mondiaux. Et 91 avaient soumis des « cibles nationales », qui sont des engagements sur tout ou partie des objectifs, selon la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) qui tient depuis lundi 21 octobre, sa 16e conférence. Considérée comme l’événement le plus important au monde pour la conservation de la biodiversité, la Conférence des Nations Unies sur la diversité biologique se tient tous les deux ans et rassemble 196 pays. Plusieurs pays pourraient publier leur plan à Cali où selon des sources camerounaises, le nombre est porté à une trentaine de pays ayant soumis leur NBSAP. Seulement, à l’instar de nombreux pays, le Cameroun ne figure pas au compte. « Nous avons commencé ce processus de révision de notre NBSAP mais qui n’est pas encore fini. A ce jour, le Cameroun a quand même défini ses objectifs nationaux qui ont été soumis au secrétariat dans les délais pour que nous soyons à la COP16 à jour par rapport aux obligations de la décision 15-6. Et c’est sur la base des objectifs nationaux que nous allons continuer le travail à élaborer un plan d’action qui définit qui va faire quoi, comment et quand pour aboutir à l’obtention de la Stratégie nationale », explique Joséphine Babette Eloundou, Conseiller Technique No1 et Point focal biodiversité au ministère camerounais de l’Environnement, de la Protection de la Nature et du Développement durable (Minepded).
L’élaboration des stratégies et plans d’action national montre l’internalisation ou contextualisation du cadre mondial au niveau des pays. Adopté à Montréal en décembre 2022, le Cadre Mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal est le plan stratégique pour la décennie 2020 adopté lors de la 15e réunion des parties à la Convention sur la diversité biologique en décembre 2022 (COP 15). Dans un contexte marqué par le déclin dangereux de la nature, qui menace la survie d’un million d’espèces et perturbe le quotidien de plusieurs milliards de personnes, le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal vise à stopper et inverser la perte de nature. Il succède aux objectifs d’Aichi de la décennie 2010 et comporte plusieurs cibles mondiales à atteindre à l’horizon 2030 et au-delà en vue de la protection et de l’utilisation durable de la biodiversité. Toujours d’après le Point focal Biodiversité du Cameroun, la stratégie nationale en cours d’élaboration sera assortie d’un plan de financement. « Les objectifs d’Aïchi ont connu un échec parce qu’effectivement les moyens de mise en œuvre n’étaient pas définis. C’est pour cela qu’avant l’adoption du cadre mondial, il a été reconnu qu’il fallait bien définir les moyens de mise en œuvre et particulièrement élaborer les plans de financement de NBSAP pour qu’on soit sûr que ceux-ci seront effectivement mis en œuvre ».
Impliquer toutes les parties prenantes
Pour arriver à une stratégie réaliste mais concertée, le Cameroun a pris certaines dispositions dont la création d’une structure de coordination locale conformément à l’approche pan-gouvernementale et pan-sociétale que recommande le cadre mondial. Ainsi en décembre 2023, sous instruction du premier ministre-chef du gouvernement, il a été créé un comité national permanent biodiversité, présidé par le ministre de l’Environnement, de la Protection de la Nature et du Développement durable (MINEPDED), avec pour vice-président le ministère des Finances (MINFI) et le ministère de l’Économie et l’Aménagement du territoire (MINEPAT). « On s’est dit, qu’il faudrait que toutes ces administrations participent dès le début du processus. Par exemple, pour que l’aménagement du territoire et la planification se fasse, il faudrait que le MINEPAT soit informé, sensibilisé sur la problématique de la gestion durable de la biodiversité afin d’en prendre compte dans la planification nationale. Que le ministère des Finances intègre aussi l’importance du financement de la biodiversité. Cela fait qu’en élaborant la stratégie et les activités à mettre en œuvre, tous ces acteurs clés sont au cœur de la prise de décision. Ce qui va faire en sorte que lorsque le plan d’action sera élaboré, qu’il puisse avoir un plan de financement bien établi pour une mise en œuvre efficace et efficiente ». Le comité implique toutes les administrations sectorielles (l’Agriculture, l’Eau et l’Energie, le Transport, l’Industrie et le Développement technologique, les pêches, les forêts et la faune, la Recherche scientifique et l’Innovation, etc.) mais aussi des structures comme l’Institut national de la statistique pouvoir définir les indicateurs nationaux qui pourront venir être complétés avec les orientations qui ont été données au niveau international et l’Observatoire national des changements climatiques. « Parce que les changements climatiques impactent la biodiversité ».
Toujours dans le cadre de la synergie, de la coopération et de la cohérence dans l’action, le secrétariat technique de ce comité national permanent coordonné par le point focal national biodiversité, est composé essentiellement des points focaux nationaux des accords multilatéraux que sont : le point focal des changements climatiques, le point focal de la convention de Ramsar, le point focal du protocole de Nagoya, le point focal du protocole de Cartagena, le point focal de la convention sur le commerce des espèces CITES. Le Cameroun est l’un des rares pays à avoir adopté l’approche de l’organisation des ateliers au lieu de recruter des consultants pour élaborer sa stratégie. Le groupe d’experts créé à cet effet, pilote la conception des documents techniques et scientifiques qui doivent être gérés pendant le processus d’élaboration du NBSAP. « C’est un point important parce que ça permet non seulement l’appropriation du processus, ça permet le renforcement des capacités et ça fait que ces experts qui sont impliqués au moment de la mise en œuvre, pourront mieux comprendre ce qu’il y a à faire que de recruter un consultant qui vient vous donner les résultats du travail déjà fait. Et ce groupe d’experts, donc, élabore les thèmes de référence des consultations qui doivent être tenus au niveau de chaque région ». Les consultations pour formuler les objectifs nationaux se sont tenues en fonction des cibles (collectivités, communautés locales et peuples autochtones, administrations centrales et services déconcentrés). Ce travail qui précède le NBSAP ou Stratégie nationale en cours de finalisation, a été fait par pool. Soit le pool littoral qui a regroupé le littoral, le nord-ouest, le sud-ouest et l’ouest. Le pool centre (Centre, l’Est et le Sud). Et le pool nord (l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême nord). Parallèlement aux ateliers de renforcement des capacités des médias. Les pays retardataires ont jusqu’en 2025 pour déposer leur stratégie. « Et le Cameroun est dans ce devoir de pouvoir soumettre son NBSAP dans les délais », affirme avec détermination Babette Eloundou non sans soulevé les défis qui se présentent comme des obstacles à la réalisation de cet objectif. « Les difficultés que nous rencontrons et qui sont rencontrées par tous les pays ne sont pas les difficultés d’expertise ou d’approche. Ce sont les difficultés purement d’ordre financier. Donc, la difficulté reste le financement et c’est ça notre combat dans les négociations », confesse l’experte en biodiversité.
Promesses financières non tenues
Engagés conformément aux dispositions de la cible 19 du Cadre Kunming- Montréal à fournir 20 milliards de dollars par an pour la biodiversité d’ici 2025 et 30 milliards à partir de 2025, les pays développés n’ont pas tenu leur promesse. Sur les 40 milliards attendus au bout de deux ans de collecte des fonds, seulement 400 millions de dollars ont été mobilisés. Ce qui entrave le déploiement des autres parties. Car, ce sont ces ressources qui devraient être redistribuées aux pays en développement pour l’élaboration de leur stratégie nationale. « Il y a eu un début d’appui dans le cadre des actions rapides, des actions précoces pour la mise en œuvre. Mais les ressources qui doivent normalement être données aux pays ne sont pas encore allouées », regrette-t-on dans les rangs des pays en développement qui soutiennent la création d’un Fonds autonome dédié à l’application du Cadre mondial pour la nature en lieu et place d’une sous branche du fond mondial pour l’environnement obtenu à la COP 15.
Afin de concilier la conservation et le développement économique, la révision du NBSAPII du Cameroun s’est adossée sur l’alignement au cadre mondial et à la stratégie nationale de développement. « Le président de la République a pris l’engagement que le Cameroun devrait gérer durablement ses ressources naturelles et l’environnement pour l’intérêt d’abord des générations futures et la pérennité de la gestion économique », souligne Babette Eloundou.
« Le Cameroun prône l’import substitution, ça veut dire que nous devons chercher à limiter nos importations et produire localement. Cela signifie qu’on devra faire un peu plus de pression dans la nature pour augmenter la production. Donc, augmenter des superficies de production. Dans cet objectif, là où la stratégie intervient et ce qui est important pour le Cameroun, c’est de voir comment atteindre les objectifs d’augmentation de la production et de la productivité en limitant la pression sur la nature ». Babette Eloundou, Point Focal Biodiversité -Cameroun
Si par extraordinaire, le Cameroun n’arrive pas à soumettre sa stratégie, NBSAP 3 en l’occurrence, le principal inconvénient pourrait être la perte des appuis des partenaires au développement qui aident les pays en développement à asseoir leur vision des gestions durables des ressources naturelles. Par conséquent, « continuer à rester dans le business à usual, le statut quo. C’est-à-dire que penser au développement sans tenir compte du fait que la ressource naturelle est épuisable. Elle n’est pas renouvelable ». Ce qui semble minime. Mais à une échelle plus large, les conséquences seraient dramatiques. « Si on arrive à la fin de l’année prochaine sans toutes les NBSAP, il serait difficile de réaliser les objectifs du cadre mondial », affirme David Ainsworth, directeur de la Communication au Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique (COP 16) dont l’un des objectifs avoués est la mobilisation de plus de financement. « Plusieurs pays en développement non pas de ressources pour ce processus. On veut quelque chose qui soit réaliste. L’un des résultats de cette réunion de Cali est de voir comment mobiliser des fonds pour les assister », souligne-t-il tout en relevant des obstacles liés aux consultations en interne pour un Etat fédéral par exemple.
Nadège Christelle BOWA à
Cali (Colombie)