Exploitation minière dans l’arrondissement de Batouri
Des misérables sur un lit d’or (Part II)
Dans une note portant sur la « Formalisation des activités d’exploitation minière artisanale demi-mécanisée », rendue public le 18 août dernier, le ministère des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique (Mimidt) par la voix de son Secrétaire d’Etat, Pr Fuh Calistus Gentry, a donné instruction pour « procéder sans délai à la fermeture de tous les sites des exploitants qui ne se sont pas conformés aux prescriptions » des lettres les enjoignant à soumettre un dossier complet de demande d’autorisation d’exploitation artisanale semi-mécanisée des substances précieuses et semi-précieuses. La mesure s’applique également aux opérateurs qui bien qu’ayant déposé dans les délais prescrits un dossier en vue de la régularisation de leurs activités « n’ont pas engagé à ce jour les travaux de réhabilitation progressive des parcelles exploitées et à la réalisation des projets sociaux au profit des populations riveraines impactées, tels que prescrits dans les correspondances susvisées ». En attendant la matérialisation de ces mesures, sur le terrain, les populations riveraines crient au secours et l’Etat continue de perdre des sommes faramineuses. Au mépris de la loi, des opérateurs du secteur miniers en complicité avec des agents de l’Etat véreux mènent sereinement leurs activités dont les répercussions négatives sont évidentes sur les communautés et l’environnement des zones d’exploitation. La suite de cette série ouverte par votre journal, sur les conséquences économiques, sociales et environnementales de l’exploitation minière semi-mécanisée dans la région de l’Est, notamment dans l’arrondissement de Batouri, département de la Kadey où l’on assiste à un non-respect évident de leurs obligations environnementales et sociales par les entreprises dans le cadre de leurs activités.
- Des Hors la loi pour gérer le secteur minier camerounais
Un pickup de la gendarmerie débouche de nulle part. Un élément en saute promptement tandis que le véhicule roule encore. Soudain, vieux, jeunes et même des enfants se mettent à courir loin du tas de terre et de pierres qu’ils piochaient il y a quelques secondes pour en remplir des sacs. Cette scène digne d’un film hollywoodien se déroule sur un site minier du village Kambélé 3 « Boukarous » contrôlé par des éléments des forces de maintien de l’ordre (Fmo) lourdement armés en prévision à un mouvement qu’on appelle ici »sasayé ». Le phénomène consiste à un envahissement des sites d’exploitation par les populations venues de tout bord à la recherche de l’or. En cette veille de rentrée scolaire 2023-2024, les esprits sont surchauffés. La mine semble le seul espoir de gain pour ces parents qui ont encore à cœur d’assurer une éducation conventionnelle à leurs progénitures. Du moins, ceux qui semblent croire encore aux avantages de l’école de Charlemagne. Mais à cause des morts qu’elle charrie par les éboulements et les trous béants abandonnés par les compagnies d’exploitations d’or semi-mécanisé, l’activité est interdite. Sur le site, les forces de l’ordre veillent au grain.
Seulement, « Les autorités locales ont été obligées toutes d’être impliquées dans la mine illégale. Des hommes en tenue aux autorités administratives en passant par les magistrats, etc. », déplore un responsable d’Osc qui a requis l’anonymat. Engagé depuis 2009 dans sa politique d’émergence à l’horizon 2035, le Cameroun a amorcé la 2e phase de cette vision par la validation de sa Stratégie Nationale pour le Développement 2020-2030 (SND30). Celui-ci présente l’exploitation minière comme un secteur clé pour l’atteinte des objectifs de croissance économique et d’amélioration des conditions de vie des populations. Dans cette optique, un arsenal juridique encadre les activités minières. La Loi n°2016/017 du 14 décembre 2016 portant Code minier du Cameroun renferme de nombreuses dispositions concourant à ce que l’exploitation minière se fasse au bénéfice des populations et dans le respect des équilibres environnementaux. En effet, le cadre législatif et réglementaire applicable aux activités minières au Cameroun contraint les exploitants miniers à des obligations environnementales et sociales pour le bien-être des communautés riveraines et la préservation de l’environnement. Force est de reconnaître que sur le terrain, les entreprises ne respectent pas toujours si non jamais ces obligations.
2- Inorganisation fatale
Bien que timide, on enregistre un vent de contestation dans les zones d’exploitation. Cet éveil des populations est dicté par la faim. Puisqu’en raison des promesses non tenues par les compagnies, les populations n’arrivent plus à subvenir à leurs besoins essentiels. Cet éveil est aussi le fait de la présence de nombreuses OSC aux côtés des communautés pour les aider à défendre leurs droits dans ce contexte d’exploitation minière à la lumière des dispositions législatifs et réglementaires existants mais fortement boycotté. En 2022 par exemple, le Réseau de lutte contre la Faim (RELUFA) et son partenaire local, en l’occurrence le Centre de Protection de l’Environnement et Défense des Intérêts Communautaires (CEPEDIC) ont organisé une série d’ateliers en faveur des autorités de la commune de Batouri et du Conseil régional de la région de l’Est, des organisations locales et des leaders communautaires locaux dont les autorités traditionnelles et religieuses.
Le but était de renforcer les capacités de ces acteurs sur les obligations environnementales et sociales des entreprises minières semi-mécanisées et le suivi de celles-ci. « La formation a ouvert nos yeux pour qu’on puisse rédiger les requêtes mais nous avons besoin d’un accompagnement plus poussé pour mieux nous défendre », plaide Sa Majesté Amadou Bétaré, chef traditionnel de 3e degré à Pater. La détresse enregistrée à Kambélé 3 justifie ce plaidoyer [Voir Le Messager N° 8112 du mardi 05 septembre 2023]. Pour son investissement estimé à 24 millions de Fcfa, « Ils ont dit qu’ils allaient me donner une centaine de mille à prendre ou à laisser » affirme un commerçant encore abasourdi par ce montant fantaisiste pour le dédommager de la perte de l’ensemble de ses biens immobiliers. « Comment un technicien du ministère de l’habitat peut-il poser un tel diagnostic si ce n’est pas qu’ils sont corrompus. En plus, c’est l’administration qui vient nous narguer », s’insurge-t-il. « L’argent qu’il vous propose est prendre ou laisser… » Dans ce concert de plaintes, les noms de proches collaborateurs du Préfet et d’autres commis de l’Etat sont cités. Supposés défendre les intérêts de l’Etat, ces agents véreux font perdre des montants faramineux au Cameroun victime de sa propre turpitude « du moment où il a laissé mourir le Cadre d’Appui et de Promotion de l’Artisanat Minier (CAPAM) et fait naître la SONAMINES [Société Nationale des Mines, Ndlr] sans moyens d’action », affirme le responsable d’Osc suscité.
3- Des milliards de Fcfa en fumée
D’ailleurs ce dernier affirme péremptoire que : « L’Etat est en train de perdre énormément d’argent qui entre dans les poches des individus. Il n’y a pas de grosses voitures à Yaoundé. Ce que nous on a ici comme grosses voitures…L’Etat perd des milliards de Fcfa chaque fin du mois. Je dis bien milliards ». Et d’expliquer : « Il y a des gens qui font 1 voire 2 kg d’or par jour. Le kg est vendu 40 millions multiplié par 2 cela fait 80 millions, multiplié par 30 jours parce qu’ils travaillent 24h/24, Cela fait 2milliards 400 millions de Fcfa. Ça c’est le revenu mensuel des opérateurs économiques ».
Pour lui, « L’Etat est mal organisé. C’est catastrophique !». Ce chaos se reflète aussi sur les conditions de travail des miniers au rang desquels les conducteurs d’engin qui peinent à gagner 150 000 Fcfa par mois « pourtant il sort des excavations de plus de 10 millions par jour. Mais comment se fait-il qu’il n’ait pas de contrat de travail avec tous les risques que les gars courent ? Je n’ose pas parler de la CNPS. Ils travaillent parfois sans repos car une demande de permission parfois vaut licenciement. J’ai été choqué de rencontrer un conducteur d’engin qui travaille pour un chinois. Et dans le camp où il est logé, on lui coupe 10 000Fcfa pour le loyer par mois pour des logements indécents », rapporte courroucé le responsable d’Osc cité plus haut. La saignée a atteint son apogée. Des solutions existent !
Nadège Christelle BOWA
De retour de Batouri
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