Des possibles conséquences de la rupture de l’APV-FLEGT au Cameroun
Malgré les assurances d’une des voix les plus autorisées de l’Union Européenne, la déforestation effrénée, mal gouvernance forestière et absence de transparence dans la gestion sont quelques craintes recensées comme potentielles conséquences de la rupture de l’Accord de partenariat volontaire entre l’Union Européenne et la République du Cameroun sur l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux des bois et produits vers l’Union Européenne.
« Malgré les tentatives de l’UE, la République du Cameroun n’a pas été en mesure de remplir ses obligations au titre de l’APV, notamment pour ce qui est de la mise en place du régime d’autorisation FLEGT, qui vise à vérifier et attester au moyen d’une autorisation FLEGT que le bois et les produits dérivés exportés vers l’Union européenne ont été produits ou acquis légalement. Étant donné que la République du Cameroun n’a pas rempli ses obligations au titre de l’APV, la Commission estime que l’APV ne satisfait plus à l’exigence d’«utilité» visée au reflet 81 du règlement de l’UE sur la déforestation ». Rendue publique le 02 octobre dernier, la proposition de Décision du Conseil de l’Union Européenne relative à la dénonciation de l’accord de partenariat volontaire entre l’Union Européenne et la République du Cameroun sur l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux des bois et produits vers l’Union Européenne fait des vagues. Dans le document disponible sur le site officiel de l’UE, entre autres griefs, on peut lire que «… les objectifs de l’APV, et notamment le régime d’autorisation FLEGT, ne cadrent pas avec la politique adoptée par la République du Cameroun à l’égard de ce secteur. La poursuite de l’APV en dépit de ces difficultés pourrait nuire à la crédibilité de l’UE en tant que porte-drapeau à l’échelle mondiale des questions liées à la protection des forêts et à la biodiversité et porter préjudice à l’intégrité des APV en tant qu’instruments commerciaux de l’UE ».
L’APV-FLEGT a amélioré la gouvernance dans le secteur des forêts ; apporté un certain nombre de changements dans le secteur notamment la notion de la participation où on a vu des organisations de la société civile s’intéresser davantage aux questions de gestion forestière. Certaines ont développé le suivi indépendant, des projets d’accompagnement des forêts communautaires, de renforcement des capacités. C’est grâce à ce processus qu’on a quand même noté une forte participation des acteurs dans la gouvernance forestière.
Aussi, pour la Commission européenne, auteur de cette proposition, soumis à l’approbation du Conseil européen, la dénonciation de l’APV avec la République du Cameroun est la solution la plus appropriée. Conformément à l’article 27 de l’APV, l’Union Européenne doit notifier à la République du Cameroun sa décision de dénoncer l’APV au plus tard le 30 novembre 2024, afin qu’il ne soit pas renouvelé par reconduction tacite. En effet, l’article suscité dispose que ce dernier est renouvelé par tacite reconduction tous les sept ans, sauf pour une partie à y renoncer en notifiant à l’autre sa décision au moins 12 mois avant l’expiration de la période de sept ans en cours. La période de sept ans en cours expire le 30 novembre 2025. Nonobstant l’article 27, l’une ou l’autre partie peut dénoncer l’APV en le notifiant à l’autre, conformément à l’article 28 de l’APV. L’APV cesse de s’appliquer 12 mois après la date de cette notification. D’où la sortie épistolaire de la Commission Européenne qui n’est pas satisfaite de la tournure prise dans son engagement avec l’Etat du Cameroun en matière de gestion durable de ses forêts. L’APV entre l’UE et le Cameroun est entré en vigueur le 1er décembre 2011. Les parties s’étaient alors engagées à prendre toutes les mesures nécessaires à la mise en œuvre du régime d’autorisation FLEGT, s’accordant sur un calendrier de mise en œuvre qui fait partie intégrante de l’APV.
2- Non Opérationnel
Suivant ce calendrier, le régime d’autorisation aurait dû être mis en place dans les cinq ans suivant la réforme du cadre juridique, l’amélioration des systèmes nationaux de contrôle et la mise en place du système de vérification de la légalité et du système de traçabilité, qui auraient toutes dû être terminées dans un délai de trois à quatre ans. Le Cameroun s’était alors fixé un calendrier des plus ambitieux pour bien marquer sa volonté politique, renforcer la dynamique qui s’était fait jour parmi l’ensemble des parties prenantes et mobiliser les ressources nécessaires à la mise en œuvre de l’APV. Seulement, « Cela fait toutefois 13 ans désormais que l’APV est entré en vigueur et le régime d’autorisation FLEGT n’a toujours pas vu le jour, ce qui revient à dire que l’APV n’est pas opérationnel. La volonté politique du Cameroun s’est estompée, ce qui s’est avéré préjudiciable à la mise en œuvre de l’APV et à l’engagement pris par la République du Cameroun d’atteindre ses objectifs, en particulier en ce qui concerne la délivrance d’autorisations FLEGT », dénonce la Commission de l’Européenne selon qui : « La réforme du cadre juridique n’est pas allée à son terme et l’exploitation des forêts s’effectue toujours en partie sur la base de petits titres d’exploitation (ventes de coupe) ne nécessitant aucun plan d’aménagement. Les systèmes nationaux de contrôle ne sont pas opérationnels, de sorte que l’application des réglementations et la gouvernance demeurent médiocres, permettant la poursuite d’opérations d’abattage illégales et portant atteinte à l’environnement. La mise au point du module de vérification de la légalité intégré dans le système de traçabilité est toujours en cours et les rares progrès accomplis à ce jour n’ont toujours fait l’objet d’aucun audit indépendant susceptible d’attester sa crédibilité ».
La Commission Européenne fait ici référence au Système informatique de gestion de l’information forestière de deuxième génération (SIGIF II), lancé le 1er avril 2021 par le Cameroun et présenté comme l’outil par excellence de traçabilité et de légalité dans les exportations des bois camerounais sur le marché européen. « La version présentée du SIGIF II n’est pas l’instrument attendu dans le cadre de l’APV Flegt », reprochaient l’UE et la Coopération allemande, principaux financiers de la mise en place dudit système indiquant que « les certificats émis par le SIGIF II ne pourront pas être reconnus ou validés dans le cadre du Règlement bois de l’Union européenne (RBUE), et encore moins dans le cadre de futures autorisations Flegt ». Alors que du côté du Cameroun, l’on se vantait d’accomplir des prouesses malgré des difficultés techniques liées au débit d’Internet reconnues, car le SIGIF II a permis la dématérialisation des procédures de gestion forestière et l’amélioration des recettes tout en réduisant les poches de corruption souvent favorisées par le contact direct des usagers avec le personnel.
3- Caporisation et mal-gouvernance forestière
Selon le bilan présenté par le ministre des Forêts et de la Faune en mai 2022, 617 structures ont été enregistrées dans le système; 1556 comptes utilisateurs ont été créés par l’Administration et les opérateurs ; 180 demandes de certificats de matérialisation des limites soumises par les opérateurs dans le système et 123
approuvées par les délégations régionales ; 114 demandes de certificat de conformité des travaux d’inventaire soumises par les opérateurs et 106 approuvées par les délégations régionales ; 100 Plan annuel d’Opération /Certificat annuels d’exploitation (PAO/CAE) signés et 67 en instance de signature ; 33 839 lettres de voitures générées par les opérateurs ; 575 318,180 m3 de bois ont été enregistrés dans le système. La situation qui prévaut actuellement après cette proposition de la Commission européenne ne laisse pas indifférent. Dans les rangs de la société civile, c’est le branle-bas. Si l’on affirme comprendre les motivations, l’on se demande si elles nécessitent d’en arriver à une résiliation de l’APV-Flegt dont on salue les nombreux apports. « C’est grâce à ce processus qu’on a quand même noté une forte participation des acteurs dans la gouvernance forestière », affirme un acteur de la société civile sous anonymat.
Les ventes de coupe ne garantissent pas la durabilité des forêts. A côté, les autres activités recensées dans et autour des forêts ne tournent pas en notre faveur. Il y a aussi la question du Sigif qui se pose. l’État du Cameroun a développé son système qui fonctionne mais est-ce crédible ? Là est la question. Il faut que le Cameroun puisse sortir des arguments solides pour réfuter.
Ce dernier craint la perte de cet acquis si la rupture de l’accord était avérée. Ce qui laisserait à son avis libre cours à un certain nombre de dérives dont les prémices sont d’ores et déjà perceptibles. « Si l’Apv-Flegt est suspendu pour le Cameroun, les conséquences seront désastreuses. La tendance au niveau du Ministère des forêts et de la Faune est de réduire l’espace aux autres acteurs impliqués dans la gouvernance forestière notamment les acteurs de la société civile, à voir la circulaire qui indique que pour intervenir dans le secteur des forêts, il faut avoir un cadre de collaboration avec le ministère. La suspension aiderait le ministère à davantage exclure des personnes ou organisations intervenant dans le secteur des forêts surtout celles qui travaillent pour dénoncer les mauvaises pratiques », commente cette source. Une autre toujours sous anonymat parle de « caporisation » des échanges entre le Minfof et les acteurs de la société et souligne que cela affecte le niveau de transparence dans le secteur et en termes d’application des lois risque de prendre un coup et accentuer la mauvaise gouvernance dans le secteur forestier. « Les conséquences seront énormes. Avec l’Apv-Flegt, on avait eu certains acquis qui permettaient à ce que nous puissions travailler de façon sereine », regrette-t-elle déjà. Toutes prescrivent le retour à la table des négociations. « Le dialogue entre les deux parties est très important. Les parties doivent ensemble faire une évaluation de l’Apv-Flegt afin d’améliorer ce qui ne marche pas ».
Quand on analyse ses raisons, on est en droit de se dire que c’est vrai mais est-ce que cela nécessite qu’on en arrive à résilier l’Apv-Flegt, cela est questionnable. Il y a eu une revue conjointe évaluant les forces et faiblesses de ce processus, mais les résultats ne sont pas accessibles. Cela aurait été bien si on avait eu le rapport de la Revue conjointe avant de voir si les raisons qui poussent l’UE à ce renoncement sont avérées.
Malgré les assurances de Jean Marc Chataigner, Ambassadeur de l’Union Européenne au Cameroun sur sa page Linkedin, qui affirme que : « la décision européenne de mettre fin à l’accord de partenariat volontaire sur la gestion des forêts APVFLEGT avec le Cameroun (qui doit encore être approuvée par le Conseil européen) ne signifie pas la fin de notre engagement 🇪🇺 pour la gestion durable des forêts ; encore moins notre retrait des actions de lutte contre la déforestation et la préservation de la biodiversité ! », l’inquiétude continue de planer. Il rappelle qu’après 20 ans d’efforts pour le déplorer, le FLEGT n’a en général pas apporté les résultats escomptés et les licences FLEGT ne sont toujours pas reconnues en dehors de l’Union européenne. « Nous terminerons donc ces engagements avec un grand nombre de pays (et pas seulement le Cameroun) entre 2024 et 2025. La période de transition et d’achèvement de l’APV FLEGT (il existe encore une année de mise en œuvre après la décision à venir du Conseil) doit permettre, de mon point de vue, d’intensifier nos efforts en vue de la conclusion la plus rapide possible d’un nouveau partenariat forêts entre l’Union européenne et le Cameroun pour appuyer de façon plus inclusive et ambitieuse le pays dans la gestion durable des forêts ». Parmi les pistes du nouveau partenariat en perspective, pourraient à son avis, être inclus des actions et des programmes de renforcement du rôle des forêts dans le développement durable national ; d’appui à la gestion forestière ; d’appui à un cadre d’investissements pour une économie forestière durable ; de continuation du dialogue et des efforts de coopération régionale.
Nadège Christelle BOWA