Dr Flore Ndembiyembe: « Les décideurs ont pris une décision courageuse dans la lutte antitabac …cependant »
La présidente de la Coalition Camerounaise de lutte contre le tabac (C3T) salue, la mesure du gouvernement relative à l’imposition des avertissements sanitaires graphiques sur les emballages des produits du tabac. Cependant, pour Dr Flore Ndembiyembe, défenseure de la première heure, d’actions d’envergure sont attendues du gouvernement. Notamment, l’adoption d’une loi nationale antitabac qui permettrait de légiférer sur plusieurs autres aspects de la lutte contre le tabagisme qui intègre la bataille contre la consommation des shisha et des cigarettes électroniques.
Le Cameroun a accueilli ses premiers paquets de cigarettes marqués ce 12 juin. Quelle réaction vous inspire cette actualité ?
Pour les acteurs de la lutte antitabac du Cameroun, c’est un grand jour ! Mais c’est surtout un grand jour pour notre pays où les décideurs ont pris une décision courageuse, celle d’imposer les avertissements sanitaires graphiques sur les emballages des produits du tabac. La présence de ces avertissements comporte les informations sur les dangers sanitaires liés à la consommation du tabac et cette information est accessible aux lettrés comme aux analphabètes. Donc, c’est une mesure de prévention efficace. C’est aussi une manière d’aider ceux qui fument, de leur donner des arguments pour arrêter de fumer.
Peut-on à ce stade affirmer que le Cameroun est sur la voie de l’éradication de la fumée du tabac sur son territoire ?
C’est une étape très importante. Parce que dans les pays où cette mesure est appliquée, le tabagisme a diminué d’environ 15%. C’est une bonne décision, mais pour qu’on soit définitivement dans la voie, il faudrait qu’on ait une loi nationale antitabac. Simplement parce que, la loi légifère sur beaucoup d’aspects de la lutte antitabac notamment : les espaces sans fumée, l’interdiction totale de la publicité, l’augmentation des taxes. Mais également, des règlementations qu’on peut prendre pour contrôler les agissements de l’industrie du tabac, qui nous le savons, vise les jeunes pour remplacer les fumeurs qui décèdent. Cette décision, il faut le dire, est très courageuse. Surtout que le marquage sanitaire au Cameroun occupe 70% des faces du paquet. Il y a très peu de pays qui ont adopté cette taille. C’est donc une décision importante et nous voulons considérer que c’est une manière pour les pouvoirs publics de montrer qu’ils ont pris la bonne mesure de la gravité liée à la consommation des produits du tabac ; Que c’est un bon signal d’engagement et que d’autres actions vont suivre rapidement.
Vous parlez de la loi nationale antitabac. On sait que le projet de loi est dans le pipe depuis un certain temps déjà. Où en est-on précisément ?
Nous avons l’impression que ce projet a été certainement oublié dans un des tiroirs de nos administratifs. Cependant, nous allons proposer au ministre de la Santé publique, de monter un nouveau dossier parce qu’entre temps, beaucoup de choses ont changé. Il faut qu’on tienne compte des nouvelles réalités. Certains pays ont par exemple interdit dans leur loi, la vente de la cigarette électronique ; pris des règlementations qui contrôlent l’activité de l’industrie. Depuis la conception de cet avant-projet de loi, il y a eu beaucoup de changements. Il n’y avait pas encore la Shisha, la cigarette électronique. Ce texte est désormais à notre avis un peu dépassé. Il faut le toiletter en y intégrant les changements intervenus dans l’environnement de l’offre du tabac. C’est la proposition que nous allons faire aux pouvoirs publics. Vous savez que dans l’administration, les fonctionnaires changent. Peut-être que ceux qui sont en poste en ce moment n’ont pas vu passer ce texte.
Nous continuons à faire le plaidoyer pour l’aboutissement d’autres textes
Est-ce un risque à prendre quand on connaît le temps mis par cet avant-projet de loi pour parvenir au niveau où il semble avoir disparu ?
En réalité, nous voulons profiter de la réintroduction du dossier pour faire le toilettage dont je parle. Peut-être que nous sommes encore dans l’euphorie de l’avènement des avertissements sanitaire graphique qui nous fait croire que l’Etat est disposé à poser des actions concrètes et positives dans la lutte antitabac. Mais nous continuons à faire le plaidoyer pour l’aboutissement d’autres textes. Puisque de toute façon quand un texte abouti, il y a toujours une relecture avant la mouture finale. Nous sommes sur les deux fronts dont celle de proposer une nouvelle mouture. Cela fait quand même plus de 4 ans ! Nous pensons qu’il faut une révision de ce texte.
Pourrait-on noter ces activités comme étant les prochaines batailles de la Coalition dans le cadre de la lutte contre le tabagisme au Cameroun ?
Les chantiers sont nombreux. Ce que nous présentons constitue un élément. Par exemple, si vous voulez qu’un enfant de 8-9 ans qu’on envoie acheter la cigarette, cesse de fumer, le marquage sanitaire ne suffit pas. Il y a toujours une nécessité d’organiser de grandes campagnes d’information qui commence au niveau du primaire. Nous souhaitons aussi qu’une législation protège ces enfants contre les agissements de l’industrie notamment en milieu scolaire. Surtout, il ne faudrait pas qu’on traîne avant d’attaquer la consommation des shisha et des cigarettes électroniques. On a l’exemple des pays comme le Kenya ou l’Ouganda où la vente des shisha est interdite. Et le pays ne s’en porte pas moins bien. Donc, dans un pays comme le nôtre où l’offre pour la prise en charge du tabagisme est faible voire inexistant, il faudrait que les pouvoirs publics aient le courage de prendre cette décision. La consommation de la shisha est banalisée dans les rues ; la cigarette électronique est présente sur les comptoirs des supermarchés où les enfants se rendent… L’urgence est d’empêcher que ces produits n’envahissent notre pays.