Elimination du paludisme : Le Cameroun non partant pour 2025
11 233 décès en 2019 et près de 7 millions de cas confirmés, la situation épidémiologique du pays ne paie de mine. Toutefois, selon certaines organisations de la société civile, il ne faudrait pas désespérer. En effet, tout dépend du niveau d’investissement que le gouvernement du Cameroun voudrait bien accorder à la lutte contre le paludisme sur son territoire ; de l’engagement des populations notamment des jeunes. Surtout que les changements climatiques et le Covid-19 font peser de nouvelles menaces.
25 pays pourraient éliminer le paludisme
Dans le sillage de la célébration de la journée mondiale de lutte contre le paludisme, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a identifié un nouveau groupe de 25 pays qui ont la possibilité d’éliminer le paludisme d’ici 2025. L’initiative E-2025 (nom de baptême comprend : 8 nouveaux pays (République dominicaine, République populaire démocratique de Corée, Guatemala, Honduras, Panama, Sao Tomé-et-Principe, Thaïlande et Vanuatu) et 17 pays membres de l’initiative E-2020 dont le succès aurait suscité la reconduction de l’opération. « Depuis 2000, vingt-quatre pays dans le monde ont éliminé le paludisme, et jamais autant de pays n’ont été sur le point d’atteindre l’objectif zéro paludisme dans les années à venir », apprend-t-on.
Avec 11 233 décès en 2019 et près de 7 millions de cas confirmés de paludisme (Rapport mondial de l’OMS sur le paludisme 2020), dont 64% des enfants de moins 5 ans d’après le Rapport annuel du Programme national de lutte contre le paludisme (Pnlp), qui affiche 4121 décès en 2020, le Cameroun ne fait pas parti des élus. « La situation est bien plus grave », confesse Olivia Ngou, directrice exécutive de l’Ong Impact santé-Afrique. Et d’expliquer : « En tant qu’Ong, nous pensons que ces chiffres ne reflètent pas la réalité parce que le paludisme est une maladie qui se traite d’abord en communauté donc à la maison. Il y a certainement plus de cas que ce qui est rapporté dans le système de santé (centres de santé, hôpitaux et donc au ministère de la santé) ». D’après le même rapport de l’OMS, le Cameroun représente 3% de tous les cas et décès de paludisme dans le monde en 2019.
Outsider, mais il faut investir
Mais pas de quoi perdre espoir même si le rêve n’est pas permis pour 2025 tel que prévu. « 2025 est un peu tôt pour parler d’élimination au Cameroun. Peut-être en 2030 ou quelques années après. Mais cette élimination du paludisme est tout à fait possible », pense Olivia Ngou. Mais tout dépend des moyens que le pays va mettre à disposition du Programme national de lutte contre le paludisme, du ministère de la Santé et tous les autres acteurs pour accélérer la lutte. C’est en effet l’un des messages clés du forum virtuel sur l’élimination du paludisme, organisé conjointement par le Partenariat RBM (Roll Back Malaria) pour en finir avec le paludisme et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le 21 avril 2021. « …Les dirigeants doivent intensifier les investissements dans la lutte contre le paludisme, à l’heure où la pandémie de COVID-19 continue de menacer les acquis historiques contre l’une des maladies les plus anciennes et les plus meurtrières au monde ».
Cette année, le thème de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme, « Zéro Palu – Tirer un trait sur le paludisme », célèbre les progrès accomplis par divers pays qui ont atteint l’objectif zéro paludisme depuis 2000. Le Cameroun semble sur la bonne voie. L’arrivée des outils innovants et efficaces comme la moustiquaire imprégnée à longue durée d’action (Milda) ; le traitement rapide du paludisme qui permet de traiter un paludisme simple en trois jours ; le test de diagnostic rapide qui permet de tester le paludisme seulement en 15 mn…sont autant d’avancées qui ont déjà permis au pays de réduire la mortalité liée au paludisme de 50% entre 2000 et 2015. « Si on a pu réduire la mortalité de moitié sur cette période, l’idée est que si on déploie les mêmes efforts, on peut atteindre zéro décès liée au paludisme d’ici 2030 voire éliminer la maladie. C’est un objectif qui est possible d’ici 2030 si on met les moyens qu’il faut. Par ailleurs s’il y a l’arrivée d’un vaccin efficace, ça pourrait accélérer immédiatement la route vers l’élimination », soutient Olivia Ngou.
En clair, il est possible d’éliminer le paludisme en 2030 si le pays investit concrètement et considérablement dans la prévention, le diagnostic, le traitement du paludisme, et si l’on peut déployer des nouveaux outils efficace tels que la vaccination. Dans son effort et avec le soutien des partenaires technique et financier dont le Fonds mondial contre le Sida, le paludisme et la tuberculose, également les Etats Unis [Depuis 2017, les Etats-Unis ont contribué à hauteur de 48 milliards de F CFA (89 millions de dollars) pour la lutte contre le paludisme au Cameroun], le pays a adopté dans sa politique nationale de lutte contre cette maladie endémique, la distribution Milda. Environ tous les 3 ou 4 ans, le pays organise des campagnes de distribution gratuite- en dépit de nombreux couacs- pour toute la population de tous les âges. En dehors de ces campagnes, des distributions de routine ciblent les femmes enceintes (sur toute l’année) -à qui est administré en outre un traitement préventif intermittent-, et même les enfants de moins de 5 ans.
L’un des objectifs du Plan stratégique de lutte contre le paludisme prévoit en effet, d’amener 80% de la population camerounaise à utiliser correctement la moustiquaire imprégnée comme moyen de prévention efficace contre le paludisme. Le taux d’utilisation est de 54% selon l’EDS 2018 contre 74% pour ce qui est du taux de possession. « Le taux de possession a augmenté mais l’utilisation n’a pas suivi », regrette Dr Marcellin Ateba, secrétaire permanent adjoint du Pnlp dans les colonnes de certains médias qui rendent compte d’une réunion d’information avec les médias sur cette problématique de santé publique, tenue l6 avril dernier.
Toujours dans son effort, le Cameroun à travers le Pnlp, vient de mettre en place de nouvelles directives pour la prise en charge du paludisme. Il s’agit essentiellement d’un classement de différents types de traitement pour la prise en charge des paludismes simple et graves. Cette reclassification des types de traitement recommandés en première, deuxième et troisième intention vise à encourager les prestataires de santé à utiliser les traitements les plus efficace. D’ici 2023, le Pnlp envisage de réduire d’au moins 60% la mortalité et la morbidité liées au paludisme par rapport à 2015 où les compteurs affichaient 3440 décès et 1 763 402 cas confirmés.
Engager la jeunesse
En attendant, la maladie continue de sévir. En 2020, le paludisme représentait 29% des consultations dans les formations sanitaires et 40% des hospitalisations. Le taux de mortalité est estimé à 16 décès pour 100 000 contre 18 décès pour 100 000 en 2019. Comparé aux autres régions, l’Extrême-Nord, le Nord, l’Adamaoua et l’Est paient le plus lourd tribut avec des taux de mortalité de 32%, 27%, 29% et 19%, respectivement. Le paludisme reste une des premières causes de mortalité même en contexte de Covid-19. Un rapport récent du Fonds mondial a révélé qu’en 2020, du fait de la COVID-19, les systèmes de santé en Afrique et en Asie ont subi des perturbations considérables, et que les diagnostics du paludisme ont chuté de 31 %.
9 jeunes Africains sur 10 veulent s’engager personnellement dans la lutte contre le paludisme, près des deux tiers (61 %) d’entre eux sont convaincus que la maladie peut être éliminée de leur vivant ; 50% sont plus susceptibles de se porter bénévoles pour soutenir les efforts de lutte contre le paludisme
Cette pandémie vient s’ajouter aux changements climatiques qui de l’avis des experts ont un impact sur le développement du moustique. Ce qui pourrait expliquer l’apparition de poches de résistance source éventuelle de grave problème ont les mutations de moustiques, si cette question du point de vue environnementale, n’est pas adressée. Ce qui obligerait à développer encore d’autres outils innovants pour adresser ces mutations ou résistances. Alors que se pose la problématique des ressources aussi financière, matérielle qu’humaine pour tirer un trait sur le paludisme comme le souhaite le Partenariat RBM.
Pour accélérer l’action sur le continent où cette maladie a causé 409 000 décès en 2019 et continue d’empêcher les enfants d’aller à l’école et de réaliser leurs projets, le Partenariat RBM s’appuie sur l’énergie de la jeunesse africaine à travers la campagne « Tirer un trait le paludisme ». Lancée en février dernier, cette initiative encourage les jeunes du continent africain à reprendre leur avenir en main contre le paludisme. Une étude publiée en collaboration avec Gallup International, révèle que 9 jeunes Africains sur 10 veulent s’engager personnellement dans la lutte contre le paludisme, près des deux tiers (61 %) d’entre eux sont convaincus que la maladie peut être éliminée de leur vivant ; 50% sont plus susceptibles de se porter bénévoles pour soutenir les efforts de lutte contre le paludisme. Cependant, 73% pensent que les dirigeants n’investissent pas assez dans la lutte pour tirer un trait sur cette maladie.
Nadège Christelle BOWA