ENQUETE

Exploitation minière dans l’arrondissement de Batouri

Des misérables sur un lit d’or (Part I)
Au Cameroun, le document de Stratégie Nationale pour le Développement 2020-2030 (SND30) présente l’exploitation minière comme un secteur clé pour l’atteinte des objectifs de croissance économique et d’amélioration des conditions de vie des populations. Le pays dispose de ce fait, un arsenal juridique qui encadre ce secteur d’activités pour la préservation de l’environnement et l’amélioration des conditions de vie des populations. Outre la Constitution, la Loi n°2016/017 du 14 décembre 2016 portant Code minier du Cameroun renferme de nombreuses dispositions concourant à ce que l’exploitation minière se fasse au bénéfice des populations et dans le respect des équilibres environnementaux. En dépit de ce cadre législatif contraignant, sur le terrain, les entreprises agissent comme elles veulent. Aussi, l’activité minière continue d’avoir des répercussions négatives sur les communautés et l’environnement des zones d’exploitation. Dans cette série ouverte par votre journal, le voile est levé sur les conséquences économiques, sociales et environnementales de l’exploitation minière semi-mécanisée dans la région de l’Est, notamment dans l’arrondissement de Batouri, département de la Kadey où l’on assiste à un non-respect évident de leurs obligations environnementales et sociales par les entreprises dans le cadre de leurs activités.

Des déguerpissements forcés enregistrés à Kambélé 3

Le regard perdu, Ousmane [nom d’emprunt, Ndlr] fixe l’horizon. Ses pensées semblent égarées, sa voix quasi inaudible. « Je ne veux même pas parler », laisse entendre le jeune homme dépassé par les évènements. Puis, comme pour se libérer d’une oppression, un flot de paroles surgissent. En vrac, il essaie de décrire l’objet de son désarroi avant de nous inviter vers celui-ci. Stupeur et horreur ! Une partie de sa clôture est suspendue dans les airs. Et ce n’est pas le fait d’une érosion. Ousmane fait partie des habitants de Kambélé 3 Boukarou « forcés » au déguerpissement en raison de l’exploitation de l’or par des entreprises connues et des particuliers dans la région de l’Est, département de la Kadey, arrondissement de Batouri au Cameroun. Sa maison bâtie à force de persévérance et d’endurance est menacée de destruction. Pour le contraindre de quitter le site, un engin a commencé le rognage par la cour arrière. D’où le trou béant.


Arrivé dans cette localité en 2011 « pour se chercher », Ousmane a eu le malheur d’acquérir un lopin de terre non loin du chantier d’exploitation d’or mine qui chaque jour s’étend un peu plus en profondeur dans le village où les habitants vivent dans l’angoisse. « On vit beaucoup de situations par rapport à nos frères chinois. Comme vous voyez les gendarmes là, c’est pour que même où les jeunes vont manger, il n’y a pas. On n’a pas où aller. On ne connaît pas faire les champs», se lamente Marcel Gadi, fils du chef traditionnel de Kambélé 3. En l’absence de ce dernier, il éclaire le reporter sur la situation foncière assimilable à un accaparement des terres qui prévaut telle une bombe à retardement dans cette localité et ses environs. En effet, apprend-t-on d’un responsable d’une Organisation de la Société Civile qui a requis l’anonymat, « C’est tout l’arrondissement de Batouri qui est concerné ».
« C’est Yaoundé qui … »


Originaire de la région du Centre, Elound. est anxieux. Il risque de perdre des investissements de toute une vie supposée lui assurer une retraite paisible. Constitué de maisons d’habitation dont certaines mises en location, son camp a été marqué pour être détruit. Il en est de même pour Abram, un commerçant qui a pu se bâtir une vie dans cette cité en quelques années. Mais donc les investissements sont menacés de destruction sans véritable compensation. Le fils du chef rapporte que le chantier de Kambélé 3 a démarré en 1957. A l’époque, les engins opéraient « en brousse » bien loin des habitations. Aujourd’hui, la superficie du village s’est bien amenuisée. De nombreuses familles ont déjà été déguerpies. Le climat social est devenu délétère en raison du fort taux de chômage des jeunes. Les agressions sont désormais monnaie courant et l’insalubrité y a fait son nid.
« Les gens viennent avec les autorisations sur nos parcelles ancestrales. Quand tu veux revendiquer, il t’envoie devant. Il te dit que c’est Yaoundé qui l’a envoyé. Les jeunes ne vont pas voler comment ? Ils ne vont pas réclamer comment ? L’Etat doit voir ça ! », interpelle-t-il en montrant des trous béants : « Regardez ! Ils creusent, ils laissent. Quand ça va inonder pendant les pluies, ils vont partir. Ce mois-ci (août 2023) seulement, on a déjà pêché plus de quatre morts dans ces trous remplis d’eau ». A l’installation de ces entreprises dans les localités d’exploitation de l’or et quelquefois de diamant, -on en dénombre plus d’une quinzaine identifiable sur le seul site de Kambélé 3, selon un informateur-, des cahiers de charges avaient été élaborés. « On avait demandé la construction des écoles, des centres de santé, des forages pour une eau potable, l’alimentation du village en électricité, un hangar moderne et un foyer », renseigne sa majesté Amadou Bétaré, chef traditionnel de 3e degré à Pater, un autre village victime situé à environ 3km de Batouri.
Des promesses en berne


Si à Kambélé 3, une école elle aussi menacée d’être détruite a été construite en 2021 par une entreprise chinoise dirigée par une certaine Mme Luh, les habitants de Pater n’ont encore quasi rien perçu depuis l’installation de « Camp Bleu », nom donné par les habitants à cette entreprise qui exploite de l’or dans leur village depuis près de trois ans. Excepté, la prise en charge des maîtres-parents à hauteur de 200 000Fcfa par mois pour les quatre enseignants soit 50 000Fcfa chacun et un hangar en dur. « Pour le reste, depuis la tenue des assises en 2020, ils n’en parlent plus », s’offusque Jacob Hugues Konga, notable de cette chefferie. « En dehors de cette motivation, le village ne bénéficie rien. Seuls deux enfants du village sont employés comme gardien des mines. Alors qu’ils avaient promis de recruter les jeunes », affirme le chef selon qui, une liste de cinq jeunes demeure en souffrance dans les bureaux de la société « Camp bleu».

Ce qui reste de la rivière Djengou à Pater

Les arrangements de cession de leur terre autrefois exploitée de façon artisanale, avaient été conclus sous la contrainte rapportent ces autorités. « On a reçu entre 100 000 et 200 000Fcfa en fonction de la taille de ta parcelle. Quand on veut réclamer, on dit qu’on va faire venir l’armée pour prendre de force », se souvient Pascal Kombo, un autre notable de Pater. « Avant l’arrivée des chinois, on arrivait à inscrire nos enfants sans difficulté. Pendant les congés, les jeunes venaient se battre ici pour soutenir les vieux. Aujourd’hui, les chinois nous chassent en disant qu’on a vendu nos terres ». Un vent de regret flotte dans les localités visitées au cours de cette enquête. Mais la peur de témoigner à visage découvert paralyse les victimes. Le risque de représailles semble grand. « L’exploitation artisanale était bien. La semi-mécanisée nous a détruit. C’est venu apporter la pauvreté. Quand on parle, le gouvernement est derrière eux. On est devenu comme des esclaves », crient les riverains de Pater obligés d’exercer l’agriculture pour survivre. « Mais vous savez que pour gagner dans ce secteur, il faut beaucoup investir et nous n’avons pas ces moyens et bientôt plus de terre aussi », rétorquent-ils face à une question du reporter.


Seul un forage construit par une ONG internationale en 1979 continue bon an mal an d’abreuver la population estimée à environ 700 âmes. « Nous vivons très mal. L’eau est polluée. La rivière est devenue la boue. Nos poissons ont disparu », rapporte le chef de cette communauté en nous conduisant vers le cours d’eau « Djengou » pour un constat visuel. « On a fait des requêtes à la Délégation des mines qui sont restées jusqu’à présent lettre morte alors qu’une deuxième société s’est installée sans jamais venir nous voir ». Dans ce village aussi, les entreprises commencent à s’étendre et l’on craint déjà la situation foncière qui sévit à Kambélé et bien d’autres localités de l’arrondissement de Batouri. « Tout ce que vous voyez là, c’était le village », se rappelle Marcel Gadi désabusé. Obligé parfois de se taire pour laisser passer le bruit infernal qui vient du chantier. « Quand ils travaillent, tout ce que nous du village on demande, ils ne donnent pas. Aujourd’hui, ils veulent aussi nous chasser de notre village », se lamente ce dernier.
Nadège Christelle BOWA
de Retour de Batouri

Prochain article : Des Hors la loi pour gérer le secteur minier Camerounais

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