Recherche et innovation

Femmes et science – Le Prix International L’Oréal-Unesco décerné à une camerounaise

Immunologiste, parasitologue et paludologue de renommée internationale, Pr Rose Leke va recevoir son prix ce jour à Paris. Celui-ci récompense selon l’Unesco ses travaux de recherche sur le paludisme chez les femmes enceintes et d’autres pathologies ; et son engagement en faveur de la vaccination en Afrique et la promotion de la carrière des jeunes scientifiques.

Pour l’année 2024, le Prix international L’Oréal-Unesco « Pour les femmes et la science » dans la région Afrique et États arabes distingue Pr Rose Leke immunologiste, parasitologue et paludologue de renom. La camerounaise a été honorée pour « ses recherches exceptionnelles Et ses efforts novateurs visant à améliorer l’étude du paludisme des femmes enceintes, à soutenir l’éradication de la polio et à permettre une meilleure vaccination en Afrique, ainsi que pour sa mobilisation afin de favoriser le parcours professionnel des jeunes scientifiques », selon un communiqué de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) du 14 mai dernier. Diplômée de l’université de Yaoundé et titulaire d’un doctorat en médecine de l’Université de Paris (France), Pr Leke a acquis une renommée internationale grâce à ses travaux pionniers dans le domaine de la santé maternelle et infantile en Afrique.

En tant que chercheuse principale à l’Institut de recherche médicale et d’études sur les plantes médicinales (Impm), elle a dirigé des équipes de recherche dédiées à la lutte contre le paludisme et la poliomyélite, contribuant ainsi de manière significative à l’amélioration de la santé publique sur le continent. En reconnaissance de son expertise et de son leadership, elle a été nommée présidente du Comité d’examen indépendant (CEI) de Gavi, l’Alliance du vaccin, en février 2023. Ce comité est chargé d’examiner les demandes de financement pour la vaccination que les pays présentent ; et de formuler des recommandations pour l’allocation des subventions. Outre ses réalisations scientifiques, Pr Leke s’est également distinguée par son engagement envers la promotion de la carrière des jeunes scientifiques en Afrique. En tant que mentor et enseignante dévouée, elle a inspiré et guidé de nombreux chercheurs, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle génération de scientifiques africains. L’annonce de son prix par l’Unesco a été saluée comme une reconnaissance bien méritée de sa contribution exceptionnelle à la santé publique en Afrique. « Ses réalisations font d’elle un modèle, une enseignante de premier plan et une alliée pour les jeunes femmes scientifiques », affirme l’organisme onusien.

L’éminente scientifique va officiellement recevoir son prix lors d’une cérémonie qui se tiendra ce 28 mai au siège de l’Unesco à Paris. Ce prix vient s’ajouter aux nombreuses récompenses et distinctions qu’elle a glanées tout au long de sa carrière. Elle a notamment remporté le prix scientifique Kwame Nkrumah de l’Union africaine (UA) en 2011 ; puis désignée comme une « Héroïne de la santé » par le mouvement « Women in Global Health » en 2018. Pr Leke a également été nommée « reine mère » de la communauté médicale du Cameroun par le Conseil médical du pays en 2021. En 2022, les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies lui ont décerné le prix « Achievement in Global Health Leadership » pour ses contributions dans les secteurs de la science et de la santé publique dans son pays d’origine et dans le monde.

Nadège Christelle BOWA

Interview

Prof Rose Leke

On peut éradiquer le paludisme

La lauréate du prestigieux Prix International L’Oréal-Unesco parle de ses espoirs dans la lutte contre le paludisme en Afrique et au Cameroun. Pr Rose Leke donne également des conseils pour accroitre le nombre de femmes africaines scientifiques célèbres.

Vos efforts dans la recherche viennent d’être récompensés par un prestigieux prix international. Pouvez-vous nous parler des progrès réalisés et des défis restants dans la lutte contre le paludisme ?

Concernant le paludisme, certes il y a eu des progrès. Mais ces dernières années, on ne les voyait pas vraiment. Cependant, avec le lancement du programme d’éradication du paludisme, il faut que les gens comprennent qu’on peut éradiquer le paludisme. On prenait le paludisme comme une maladie bénigne. On se disait voilà : « j’ai le palu, je vais à l’hôpital, on me traite… ça va passer. Si prochainement j’ai encore le paludisme, je retourne à l’hôpital, etc. » Les gens ne comprennent pas encore qu’on peut éradiquer le paludisme. Maintenant que nous sommes dans l’esprit d’éradiquer le paludisme, on doit le faire comprendre par nos populations. On a tellement de défis ! Le programme mondial de lutte contre le paludisme à Genève a amené les 10 pays en Afrique qui sont le plus impactés par le paludisme à se mettre ensemble. Et pour la première fois, les ministres de ces pays se sont réunis en Afrique, à Yaoundé au mois de mars dernier sous la houlette de l’OMS, pour voir comment ils peuvent travailler ensemble pour réduire la prévalence du paludisme dans leur pays. À l’issue de cette rencontre, une déclaration a été produite pour une bonne collaboration, la recherche des financements pour l’éradication du paludisme dans ces pays.

Qu’en est-il de la recherche ?

Il y a désormais deux vaccins pour les enfants qui avec les femmes enceintes sont les plus vulnérables au paludisme. En termes de progrès, ces vaccins (RTSS depuis 2021 et le R21 depuis l’année dernière) permettent de diminuer la sévérité du paludisme chez les enfants. Il est vrai qu’il y des personnes qui sont anti-vaccins. Au Cameroun par exemple, on devait lancer cette campagne de vaccination au mois de décembre, mais le gouvernement a dû retarder au mois de janvier afin de mettre sur pied une bonne stratégie de communication dans les églises, les mosquées, les communes…Aujourd’hui, on voit que cela marche. Il y a quelques semaines, je suis allée moi-même à Soa visiter ce site où la campagne avait été lancée. J’ai vu que la vaccination a pris. J’étais vraiment contente d’observer qu’il n’y a pas eu d’effets secondaires. Ce qui signifie qu’on a réalisé quelques progrès. Maintenant, il y a une sensibilisation à mener sur l’éradication grâce au vaccin. Par ailleurs, CDC Africa essaie d’accompagner la production des médicaments sur le sol africain. Si les médicaments sont produits en Afrique, ça va nous aider. Tout ceci pour vous dire que s’agissant de l’éradication du paludisme en Afrique et au Cameroun, on a de l’espoir.

Vous êtes une femme et votre carrière dans le domaine de la recherche est un modèle. Ce n’est pas le cas de nombreuses autres femmes. A votre avis, qu’est-ce qui peut être fait pour encourager plus de femmes en Afrique à embrasser des carrières de scientifiques ?

Ce que l’on peut faire, c’est encourager et pratiquer le mentorat. Je le fais déjà au Cameroun avec le « Higher women consortium » qui est un programme de mentorat holistique. C’est-à-dire qu’il faut toujours qu’on ait quelqu’un qu’on peut suivre, à qui on peut poser des questions ; aider les autres, leur tenir la main. Ce programme compte actuellement 30 mentors, environ 150 jeunes femmes de carrière que nous accompagnons dans la rédaction des projets, la recherche des financements d’envergure parce que le pays ne finance pas la recherche. C’est toujours grâce aux financements externes que nous arrivons à faire de la recherche au Cameroun. Surtout, on leur apprend à tenir à la fois la maison et le laboratoire. Cet équilibre est un défi pour les femmes qui font de la recherche dans notre contexte. Alors qu’elles ont besoin de temps, de concentration pour mener à bien leur projet de recherche, il y a la belle famille qui la sollicite parce qu’elles doivent faire des enfants ; il y a le mari ; il y a les enfants… C’est une charge énorme. Il faut une certaine compréhension de part et d’autres. Au « Higher women consortium », on essaie de donner un équilibre à ces femmes. Je pense que nous avons réussie avec la cohorte de femmes que nous suivons, nous allons ajouter le nombre. On va aussi étendre ce projet à d’autres pays d’Afrique centrale d’abord, ensuite aux autres, qui souffrent de ce type de problème. Le mentorat, nous l’avons expérimenté aide vraiment les femmes à trouver cet équilibre et améliorer leur situation. Nous organisons des workshop –ateliers- chaque année et des webinaires chaque 1er samedi du mois où nous abordons toutes sortes de sujets avec les femmes de toute couche sociale et pas seulement de science. C’est ainsi qu’au Higher Women Consortium, on essaie d’encourager les femmes à embrasser une carrière scientifique. Le 8 mars dernier, nous avons été dans les établissements secondaires pour parler aux jeunes filles et même dans une école primaire afin de les encourager à embrasser les sciences. Nous demandons aux autres organisations de faire la même chose. C’est juste un mentorat holistique et non pas une supervision de thèse. Il y a un forum où elles peuvent poser des questions.

Quel message aimeriez-vous passer aux filles et aux femmes africaines qui rêvent de poursuivre une carrière dans la science et la recherche ?

Mon message est qu’elles doivent avoir confiance en elles. Elles doivent rêver, avoir de « big dreams » ; avoir des objectifs clairs de ce qu’elles veulent et poursuivre leur rêve malgré les obstacles. Quand une porte se ferme, une fenêtre s’ouvre. Qu’elles prennent les obstacles qui se présentent comme des opportunités pour pouvoir continuer. Nous voulons aussi parler aux parents. Mon père m’a beaucoup sensibilisé à faire de la science. Les parents comptent beaucoup pour leurs enfants. La société également doit avoir un mindset qui veut que les femmes soient encouragées dans cette voie.

Réalisée par

Nadège Christelle BOWA

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