Fin d’une COP 16 sur fond de saveurs aigre-doux à Cali
Pour de nombreux participants analysant les résultats finaux de cette 16e conférence des parties sur la biodiversité à Cali-Colombie, les pays ne sont pas sur la bonne voie pour protéger 30 % des terres et des eaux de la planète d'ici à 2030. En effet, préviennent certains, si les écosystèmes les plus critiques ne sont pas conservés, les conséquences pour tous les pays seront immenses. Le financement reste le principal point d'achoppement. La majeure partie de la biodiversité mondiale se trouve dans des pays en développement qui attendent des milliards plutôt que des millions pour soutenir leurs efforts de protection et de restauration de la nature. Pourtant, les promesses faites par les pays les plus riches lors de la COP16 sont loin d'être à la hauteur des engagements qu'ils ont pris. Et presque aucun progrès n'a été réalisé en ce qui concerne la réaffectation des subventions nuisibles à la nature.
Face à une nature « sous assistance respiratoire », selon les termes employés par Patricia Zurita, directrice de la stratégie à Conservation International, les parties présentes à la COP 16 de Cali sur la biodiversité s’attendaient à des mesures plus ambitieuses, deux ans après l’adoption historique du cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal dont la mise en œuvre était l’objet principal de la mission des gouvernements en Colombie. « Nous repartons avec des progrès importants dans un certain nombre de domaines, notamment la mise en place d’un nouveau mécanisme de partage des bénéfices tirés des ressources génétiques et une participation accrue des peuples autochtones et des communautés locales. La décision relative aux zones marines d’importance écologique constitue également une avancée importante, car elle permettra d’identifier en temps utile les zones nécessitant une protection, ce qui est essentiel pour atteindre l’objectif 30×30 de la pierre angulaire du cadre dans le domaine des océans », commente Melissa Wright, responsable de l’initiative Bloomberg Ocean chez Bloomberg Philanthropies. « Toutefois, il est très préoccupant de constater qu’aucun consensus n’a été atteint sur des questions clés, notamment le financement », regrette-t-elle. Au moment où les lumières s’éteignent sur la 16e conférence des parties sur la biodiversité à Cali, on enregistre une satisfaction aux saveurs sucré et amer, mieux aigre-doux.
Saluant aussi les « importantes mesures positives » prises pendant cette grand-messe, -dont l’une des grandes après des heures de négociations qui se sont prolongées le lendemain, à son avis- a été la mise en place d’un nouveau mécanisme multilatéral sur les règles régissant l’accès aux informations de séquençage numérique (DSI) sur les ressources génétiques, Rebecca Hubbard, Directrice de High Seas Alliance trouve « profondément décevant » que malgré l’urgence de la crise mondiale de la biodiversité, les pays aient manqué de temps et que la réunion ait été suspendue avant qu’un accord ne soit trouvé sur les questions clés de la mobilisation des ressources et du cadre de suivi, tous deux essentiels à la mise en œuvre efficace du cadre mondial pour la biodiversité. « Deux ans seulement après s’être engagées dans ce plan d’action mondial, les parties s’éloignent de leurs objectifs, notamment en ce qui concerne l’apport d’un financement crucial, et nombre d’entre elles n’avaient pas respecté les délais de soumission de leurs plans d’action nationaux en faveur de la biodiversité avant même la réunion », rappelle-t-elle.
La pierre d’achoppement
En effet selon de nombreux observateurs ou parties aux discussions, les négociations n’ont pas été faciles. La réunion de la COP16 a été suspendue faute de quorum et s’est achevée sans décision sur la mobilisation des ressources, qui est un élément crucial de la mise en œuvre du cadre mondial pour la biodiversité. « Cette situation est regrettable compte tenu de la nécessité urgente de veiller à ce que les fonds soient acheminés là où ils sont le plus nécessaires pour stopper et inverser la perte de la nature d’ici à 2030. Nous avons désespérément besoin d’un leadership politique et d’un esprit de compromis pour garantir que la mobilisation des ressources reste une priorité et que des progrès soient réalisés dans ce domaine dès que possible », soutient Dr Nina Seega, directrice de la finance durable au Cambridge Institute for Sustainable Leadership.
Commentant la suspension de la réunion, Kirsten Schuijt, directrice générale du WWF International, a déclaré : « Malgré les vaillants efforts de la Colombie et le travail inlassable de nombreux négociateurs pour trouver un consensus et jeter des ponts entre les pays, ce résultat met en péril la mise en œuvre du cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal. Personne ne devrait s’en accommoder, car nous en subirons tous les conséquences. Il n’a jamais été facile de mener à bien la mission consistant à stopper et à inverser la perte de la nature d’ici à 2030, mais nous nous éloignons dangereusement de la voie à suivre ». Pour elle cependant, bien « qu’imparfait et avec de nombreux détails encore à régler », le nouveau « Fonds de Cali », est un important pas en avant. Car, « il garantit que les entreprises qui tirent profit de la nature contribuent équitablement à la conservation de la biodiversité et oriente les financements essentiels vers les personnes et les lieux qui en ont le plus besoin ».
Et maintenant l’Arménie
Pour Crystal Davis, Global Director of the Food, Land & Water (FLW) Program au World Resources Institute : « Ces négociations se sont achevées sur une avancée prudente en matière de protection de la nature et sur un sentiment de progrès progressif vers les objectifs mondiaux en matière de biodiversité. Les pays en développement disposent désormais d’une nouvelle source d’argent pour protéger la biodiversité, grâce à un fonds qui incite les entreprises à contribuer aux ressources génétiques stockées numériquement qu’elles utilisent pour les médicaments et les cosmétiques. Bien qu’il s’agisse d’une avancée importante, les contributions au fonds sont volontaires et il incombe désormais aux entreprises de montrer leur impact », commente-t-elle.
Au sujet de l’organe subsidiaire chargé d’associer les peuples autochtones et les communautés locales aux négociations qui donne une voix plus officielle et un pouvoir de décision aux gardiens les plus responsables des écosystèmes les plus riches en biodiversité et des plus grands puits de carbone du monde : « Les pays doivent maintenant veiller à ce que cela se traduise par une augmentation des financements et par des politiques plus solides visant à inscrire dans la loi les droits fonciers des peuples autochtones et des communautés locales », recommande-t-elle relevant qu’il y a encore sur ce point « de grandes raisons de s’inquiéter ». Et d’expliquer : « Cette conférence des parties devait servir à évaluer les progrès accomplis par les pays en matière de protection de la nature, et tous les indicateurs de cet état de fait clignotent au rouge ». Alors qu’une nouvelle page s’ouvre avec le regard tourné vers l’Arménie qui abritera la COP 17 en 2026, « Il est temps de s’engager dans la transition vers un avenir favorable à la nature, qui offrira des sociétés et des économies résilientes, tout en respectant et en préservant la nature. Nous espérons que la présidence pourra trouver un moment propice pour conclure les délibérations », propose Marco Lambertini, d’Initiative Nature Positive.
Nadège Christelle BOWA à Cali-Colombie
Ce reportage a été réalisé dans le cadre de la bourse 2024 CBD COP 16 organisée par Internews Earth Journalism Network