Forêts sacrées du Sud : Vers la disparition programmée d’un peuple et d’un écosystème
S’il arrivait que ce peuple disparaisse, c’est tout un patrimoine, un écosystème qui s’en irait avec lui. Le mode de vie des peuples autochtones des forêts plus connue sous la dénomination « pygmée » est foncièrement lié à cet habitat. Au Cameroun, on les recense principalement dans les régions de l’Est et du Sud qui concentrent selon le ministère des Forêts et de la Faune, la plus grande partie du couvert forestier national estimé à environ 22 millions d’hectares, soit près de 46% de la superficie du pays.
Comme les forêts sacrées de la région de l’Ouest (Le Messager n° 6050 du mercredi 06 juillet 2022), les forêts sacrées des peuples pygmées sont menacées. Plusieurs facteurs voire acteurs dont l’Etat sont identifiés pour être la cause de cette dégradation effrénée. Une véritable aberration au regard des engagements nationaux et internationaux de l’Etat pour la préservation de la biodiversité et la lutte contre les changements climatiques. Car faut-il le mentionner, les impacts négatifs de ce gâchis se comptent aussi bien sur le plan sociologique qu’écologique.
Pour le bien de l’humanité, il faut sauver les forêts du Sud. Intimement liés à la forêt, les peuples autochtones assistent impuissants à la disparition de celle-ci à cause de l’exploitation illégale. Ils revendiquent l’institutionnalisation des chefferies qui leur sont propres et inclut la notion de territoire pour préserver la forêt gage de la protection de leur identité culturelle donc de la biodiversité. Une préoccupation bien cernée par Dr Samuel Nguiffo, expert dans ce domaine. Dans l’interview afférente, le secrétaire exécutif du Centre pour l’Environnement et le Développement (CED), se joint aux solutions dites endogènes susceptibles de rétablir les équilibres perturbés et faits des propositions conséquentes. Celles-ci retrouvent à certains niveaux, les recommandations du Dr Junelle Makemteu, pour ce qui concerne les forêts de l’Ouest. Ce reportage a été réalisé avec le soutien du Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center.
- Peuple autochtone, une vie ancestrale de forêt
Forêt sacrée d’Assok, à une dizaine de km de Mintom sur la route nationale RN9 à 187 km à l’est du chef-lieu départemental Sangmélima (région du Sud). Jusque-là jovial, Jean Ndoutoumou, notable à la chefferie d’Assok, change brutalement de ton. Même les traits de son visage sont métamorphosés lorsqu’il annonce : « Nous sommes à la porte. Ici il y a une barrière. Il faut une autorisation ». Il en profite également pour nous mettre en garde quant à notre conduite sur le site qui sert d’habitat à leur « ejengui », l’esprit de la forêt ». Off the record, après quelques tractations, l’autorisation de pénétrer le lieu sacré est obtenue. Mais avant, sa majesté Martin Abila, renseigne sur la symbolique de cette « porte d’entrée ». Il est le tout premier chef traditionnel Baka, installé par les pouvoirs publics dans la région du Sud. « C’est une chance que nous avons eu d’avoir ici ces deux arbres qui forment une porte ». Ce sont deux arbres qui soignent. L’écorce de l’arbre de gauche soigne les problèmes de ventre ; l’arbre de droite règle les problèmes d’hernie, et bien d’autres maladies. « Ça casse la hernie là. Moi-même j’ai eu ça et j’ai soigné avec l’arbre sans opération », témoigne sa majesté. Pour ces Baka comme la plupart des peuples autochtones notamment les pygmées du Cameroun ou d’ailleurs comme au Congo et au Gabon, « la forêt est une caisse. Il y a la nourriture, il y a nos remèdes toujours dans la brousse », atteste Jean Ndoutoumou.
Même des étrangers auraient recours à cette pharmacopée pour régler divers soucis de santé physique et mentale, d’infertilité ; des problèmes de cœurs ou de sentiments grâce l’écorce de l’arbre d’amour qui vous attacherait les faveurs et la fidélité de la personne convoitée ; de promotion professionnelle. Il se rapporte à ce sujet de nombreuses histoires de fonctionnaires en quête de postes ministériels qui ont recours à ces services pour être nommés. Giles Raymond Mguimbond, chercheur au Centre pour l’Environnement et le développement (CED) avoue avoir vécu, il y a quelques années, une expérience singulière dans cette forêt aux vertus tranquillisantes. « Il y a une procédure à suivre, on n’y entre pas n’importe comment. Il faut voir un vieux qui vous donne l’accès, il y a une sorte de tarif à payer pour les petits sacrifices. Ce que j’ai remarqué est vraiment fabuleux. Cette sensation de calme, de paix intérieure qu’on ressent quand on y entre. Avec des collègues, on a essayé de penser à nos problèmes, à tout ce qui pouvait nous tarauder l’esprit et nous rendre soucieux. Dans cette forêt en particulier, vous n’arrivez pas à penser. Vous êtes calme, tout va bien. Juste après qu’on soit sorti, c’est comme si vous téléchargiez les problèmes à nouveau », rapporte-t-il.
2- L’Ejengui en danger de mort
Ce réservoir tend à disparaitre ! Du fait des activités anthropiques notamment dû à la surexploitation des ressources forestières. L’homme Baka n’est pas content ! Il en veut aux exploitants forestiers. « Allez le dire à vos patrons. La façon que les exploitants coupent le bois, l’homme Baka n’est pas content. La forêt c’est notre vie », tance Jean Ndoutoumou. A Zoulabot s’élève le même cri de douleur. « Ce que vous voyez derrière moi, ce n’est plus la forêt. Il reste seulement une petite partie où nous vivons pour chercher les remèdes. Tout est détruit. Ils sont venus détruire toutes nos forêts. C’est déjà vide. Nous n’arrivons même plus à utiliser le bois que nos parents nous ont laissé », s’insurge Sylvestre Awoupa Biko, responsable de la forêt sacrée de ce village. Conséquence, l’ordre socioculturel est bouleversé. « Nos vies n’étaient pas comme ça ! On ne connaissait pas ce qu’on appelle hernie, chaude-pisse, la toux, le palu. Si la maladie arrêtait un Baka, il y a un bois qu’on appelle « ekouk » qui est amer. On coupe ça, on trempe dans l’eau et on boit. Le froid qui t’attaquait part », renseigne Martin Abila. « On ne connaissait pas l’habillement. On marchait nu, même sous la pluie, sans avoir froid. La mort venait sous la décision de Dieu. On ne mourrait pas comme aujourd’hui. Tout ça vient de chez vous. On a peur ! », tremble Marin Abila.
Selon Lerys Nyangono, fils Baka, Zoulabot reste l’un des rares sites qui garde encore une certaine sacralité. L’étudiant en Master 2 à l’université de Yaoundé-Soa, distingue deux catégories de forêts sacrées : Les forêts sacrées pures et les forêts sacrées générales. « Les premières sont strictement interdites aux non-initiés. Seuls les initiés hommes y entrent. C’est où le dieu des Baka ou Ejengui habite. Les femmes et les enfants n’ont pas accès. Il y a des sites touristiques, de sites de festivals mais qui il y a aussi des interdits. Ici, on renforce notre culture. Les parents nous apprennent comment soigner, faire la cueillette, tendre les pièges…tout ce qui est lié à la culture. Les forêts sacrées générales sont comme un supermarché ». Il classe la forêt d’Assok dans cette deuxième catégorie. « C’est le seul lieu du festival national des peuples Baka ». En raison de la déforestation, « Ejengui fuit le site. Il n’est plus là en permanence. Il cherche où la forêt est encore vierge. Il ne vient que de temps en temps nous rendre visite ». Ce jour-là précisément, l’esprit de la forêt du site est allé festoyé « avec ses frères » dans un autre campement. Celui d’Assok également. « Ejengui n’est pas là aujourd’hui. Mais il a laissé sa protection et rien de mauvais ne peut nous arriver pendant qu’on est là ! », rassure Jean Ndoutoumou.
3- Entre difficile intégration et biodiversité galvaudée
Difficile d’immortaliser cette réalité en caméra. L’outil est hors service malgré les tentatives du technicien. Bien que le site soit ouvert aux visiteurs, Ejengui n’agrée pas en son absence ce type d’intrusion. « Il sait qu’on est là. Mais il n’a pas laissé qu’on pouvait filmer », interprète Sa majesté Martin Abila. « Ejengui est le fantôme que les parents nous ont laissé. Si on va à la chasse. Si quelqu’un est malade, c’est lui qui nous donne la force et la puissance pour vivre bien. Si tu veux voyager, va lui demander si le voyage va bien se passer. S’il dit non, ne part pas, parce qu’il a vu ». Sorti de la forêt au nom de l’évolution, le peuple Baka et les pygmées en général se meurent. Et avec eux, la riche biodiversité de leur forêt ancestrale. Les forêts sacrées sont menacées. Deux types de facteurs favorisent cette déchéance. « Le premier est le fait que nous sommes partis de la brousse pour nous installer au village, on nous a délocalisé dans les villages où vivaient déjà certains peuples. Il y aura toujours des problèmes de terrain entre nous qui sommes nouvellement installés par l’Etat et les Bantou que nous avons trouvé. Il y a toujours des litiges fonciers ». Installées dans des villages bantous qui les ont accueillies dans les premières années de la colonisation à la demande de l’administration, ces communautés partagent le même territoire sans en avoir la propriété coutumière. « Là où ces communautés ont des droits coutumiers, c’est des espaces qui ont été appropriés par l’Etat soit pour la conservation, soit pour l’exploitation forestière, soit pour des agro-industries. Donc, elles peuvent difficilement rentrer à ces endroits », renseigne Samuel Nguiffo, secrétaire exécutif du CED.
La seconde menace vient de l’Etat, propriétaire selon la loi de 1994 portant sur les forêts. « La loi dit que c’est l’Etat qui est gérant des forêts. Du coup lorsque notre valeur intrinsèque est liée à la forêt alors que c’est une autre personne qui en est bailleur, ça crée problème », fustige Lerys Nyangono. « Quand l’Etat attribue des concessions provisoires aux agro-industries alors que c’est là-bas que sont cachés nos valeurs culturelles, quand ces concessionnaires coupent les arbres, ils détruisent notre héritage culturel. Les agro-industries, les exploitants de bois, etc. nous entourent. Nous n’avons plus cette jouissance paisible sur les forêts. On n’a plus l’accès total », pleure-t-il. « Et ce qu’elles revendiquent aujourd’hui, c’est la possibilité d’avoir un espace au bord de la route qui leur appartiennent. Et dans lequel elles peuvent avoir une meilleure maîtrise à la fois de la gestion de l’espace mais aussi de l’avenir de l’espace. Ce qu’elles ont est un espace qu’elles ne contrôlent pas », explique Samuel Nguiffo qui comprend cette réclamation. « Les Baka par exemple sont les premiers gardiens de la forêt. Ils savent quoi en faire. Ils savent comment l’utiliser. Si on pouvait passer par eux avant de couper ou pour tout autre usage. Faire sans eux et les déloger ne nous cause que des problèmes », assure Giles Raymond Nguimbong.
« Avant, on entrait partout. La forêt était l’apanage des peuples autochtones. Maintenant il y a déjà les réserves foncières où même les peuples autochtones des forêts ne peuvent plus mettre les pieds. Ça met une limite à la jouissance libre », se lamente Lerys Nyangono. D’après qui dans le groupe des quatre B, qui constituent les peuples autochtones des forêts selon la définition de l’Organisation des Nations Unies (ONU), (Baka, Bagyéli, Bakola, les Bedzan manqueraient désormais à l’appel engloutis par la civilisation. Cependant tout n’est pas perdu. Il serait encore possible de sauver les meubles. Et le peuple Baka propose des solutions endogènes. « Nous recommandons qu’on améliore la loi forestière et foncière pour qu’elles soient favorable et qu’elles tiennent compte de la présence des peuples autochtones des forêts. Au niveau des prises de décisions des administrateurs locaux, étatiques, que ces autorités en accordant des concessions provisoires aux agro-industries, sachent que les peuples autochtones y sont ».
Nadège Christelle BOWA
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