Helle Pierre : Il faut arrêter de pleurnicher, nous avons comme arme notre bassin du Congo
Dans cet entretien Helle Pierre, le ministre Camerounais de l’Environnement, de la Protection de la Nature et du Développement durable (Minepded), qui a pris une part active aux travaux de la 16e conférence des parties à Cali-Colombi, précise la position du pays en rapport avec certains points abordés lors des discussions en plénière du Segment de Haut niveau ou dans des groupes de travail dont la création d’un nouveau Fonds pour la biodiversité au regard de l'article 21 de la Convention. Au-delà du débat, le ministre camerounais de l’Environnement appelle les pays du Sud notamment africains, à parler enfin d’une même voix pour que la voix de l'Afrique soit portée haut et pour que les intérêts africains soient également défendus à tous les niveaux.
Vous prenez part à la 16e conférence des parties sur la biodiversité (COP 16) ici à Cali. Quel est le regard que vous portez sur les négociations qui ont cours relatives à la lutte contre la perte de la biodiversité ?
Je vous remercie de cette occasion. Mais avant de répondre à la question, je voudrais rendre grâce à Dieu et dire merci au président de la République qui m’a fait l’honneur de me désigner pour venir à ce sommet de Haut niveau, représenter notre pays le Cameroun dans le cadre de cette convention sur la biodiversité. L’importance est démontrée dans la mesure où, nous savons que les trois conventions de Rio que le Cameroun a ratifié encadrent très bien les problèmes que nous rencontrons à l’heure actuelle dans le monde. Il s’agit comme nous l’avons dit lors de nos débats ici, de la biodiversité, des changements climatiques et la pollution, interconnectés qui fait qu’effectivement, à l’heure où nous voyons que la température de la planète augmente, il y a une grande perte de la biodiversité. On convoque la 16e conférence des parties en ce moment précis pour voir comment relever le défi. C’est un honneur et un plaisir pour moi de faire mon devoir en portant la voix du pays très haut dans ce milieu très sélectif. Il s’agit effectivement d’une rencontre de très haut niveau sur la convention sur la biodiversité qui occupe une place très importante dans la vie humaine. Si la biodiversité disparaît, la vie n’aura plus lieu sur cette terre. Alors nous sommes venus à cette conférence et cela nous renvoie au souvenir de Montréal. Nous sommes donc venus nous poser la question de comment faire pour faire face à la perte de la biodiversité.
Que retenir des débats qui ont eu cours lors des différents échanges ?
Je pense que les débats sont allés dans tous les sens. Mais il y a un constat permanent, c’est que nous nous rendons compte que depuis des années, les discours sont abondants, les promesses sont abondantes, les engagements sont abondants. Malgré tout cela, il y a une dégradation de la biodiversité. Maintenant, on se pose pour la énième fois, comment faire la paix avec la nature ? Comment conserver la biodiversité ? Comment conserver nos vies sur cette terre alors que nous gâchons tout ? Je pense que les appels ont été lancés de façon pathétique d’abord par le président de la Colombie qui a parlé de façon franche en disant effectivement, « On parle, mais nous ne faisons rien ». Savons-nous que notre vie dépend la biodiversité ; que notre bien-être dépend la biodiversité ? Et pourquoi on se laisse aller alors que les pays, à travers les actions, arrivent à dépenser beaucoup d’argent, que ce soit dans les guerres, que ce soit dans d’autres manifestations. Alors que ce qui nous concerne, c’est-à-dire, la vie, on met ça au second rang. Comment faire ? Je pense que l’appel a été lancé de façon crue, brutale, parce qu’effectivement, on en a marre, vous l’avez dit, la biodiversité se dégrade. Nous avons l’appel des changements climatiques, les deux sont liés. Nous avons à travers cette rencontre, essayé de voir comment nous pouvons sortir de là avec des ambitions nouvelles, avec des engagements nouveaux, avec une vue plus aiguë, plus poignante qui puisse faire en sorte que le monde soit changé.
Vous avez parlé au nom du Cameroun au cours de ce segment de haut niveau. Quel message avez-vous passé ?
…J’ai fait comme tout le monde le bilan de ce qui a été fait. Nous avons, notre NBSAPs (voir Le Messager du 22 octobre 2024) qui a été révisé. Il y a 28 actions qui sont reconnues. Mais nous avons, au niveau africain, une position commune, parce qu’il y a eu un débat des négociateurs sur la biodiversité africaine.
Parlant justement de cette position commune, vous avez insisté sur la nécessité de parler d’une même voix. Y-a-t-il des approches discordantes qui fragilisent le processus ?
La question est pertinente. A Montréal, nous sommes partis de l’idée selon laquelle, il faut que l’Afrique parle d’une même voix. Nous avons à Montréal, demandé la création d’un fonds spécial dédié à la biodiversité. Mais les pays occidentaux ont proposé une fenêtre dans le GEF [The Global Environment Facility, Ndlr]. J’ai dit non. L’importance de la biodiversité demande qu’on ait une porte et pas une fenêtre. C’est une position que j’ai donc faite connaître. Tous les pays africains ont dit oui. Nous sommes d’accord avec le Cameroun. Malheureusement, la solidarité n’a pas joué son rôle jusqu’au bout. Il y a eu une défaillance qui fait qu’on nous a imposé de créer une fenêtre dans le GEF pour supporter la biodiversité. Mais le combat n’est pas terminé. Nous sommes revenus encore dessus dans le groupe des négociateurs africains. Tout le monde s’est mis d’accord qu’il faut au regard de l’article 21 de la Convention, créer un fonds pour la biodiversité. Et sous l’autorité de la Conférence des parties. Je suis content que tous les pays africains soient allés dans ce sens-là. Il faut que nous ayons un fonds, conformément à l’article 21 de la Convention, un fonds dédié à la biodiversité. Je pense que nous allons continuer avec cette position-là. Evidemment, le bras de fer continue mais nous n’allons pas lâcher. Il y’en a qui trouve cette disposition caduque. Non ! Pourquoi aller ailleurs ? Pourquoi on n’a pas mis ça en œuvre ? Allons vers ce que la Convention dit. Cette Convention, nous l’avons tous ratifié. Donc, nous avons tenu, pays africains, à ce que l’article 21 de la Convention soit appliqué, c’est-à-dire la création d’un fonds spécial dédié à la biodiversité. Je suis très content que les pays africains aient parlé d’une même voix sur ce point.
Les discussions à ce niveau des débats coincent avec les pays développés qui doivent payer. Comment faire pour malgré tout sauver la biodiversité ?
Nous ne faisons que pleurnicher. Nous, pays africains, pourquoi pleurnicher ? Est-ce que nous ne pouvons pas nous-mêmes nous engager d’une certaine manière pour que notre problème soit résolu ? Pourquoi tout le temps compter absolument sur les autres en pleurnichant ? Nous avons constaté que les pleurs ne changent rien à la position des grands pays qui ont leur logique. Il est temps que les Africains se retrouvent ensemble pour que la voix de l’Afrique soit portée haut et pour que les intérêts africains soient également défendus à tous les niveaux par nous-mêmes. Je pense que là, nous avons, jusqu’à ce jour-là, une bonne position. Je suis très, très content. En venant j’étais un peu sceptique parce que déçu à Montréal. Mais cette fois-ci, je rentre content parce qu’il y a une même voix africaine qui est en train de raisonner. Il faut un fonds dédié à la biodiversité conformant à l’article 21 de la Convention.
Comment pensez-vous que les pays africains peuvent financer la biodiversité sans plus attendre ces financements promis et qui n’aboutissent pas ?
La question est pertinente, elle est bien posée. Je me suis rapproché du collègue de la République Démocratique du Congo, en disant que nous sommes le bassin du Congo, le bassin le plus important qui séquestre le carbone plus que l’Amazonie et d’autres. Nous sommes maintenant le premier. Par conséquent, en prenant notre biodiversité, en prenant notre bassin, en unissant nos voix et en ayant en main comme arme notre bassin du Congo, nous pouvons faire avancer notre position là-dedans. Il est vrai que nous sommes nombreux, mais il faut que cela commence quelque part. J’ai pris contact avec madame Eve de la RDC. Je lui ai dit qu’il faut qu’on aille de l’avant. Je la vois engagée, bien d’autres pays aussi engagés. Il faut commencer quelque part. Je pense que nous allons commencer. Nous allons brandir comme l’une des armes, le bassin du Congo avec sa biodiversité, le premier qui séquestre le carbone, qui combat le changement climatique. Il va falloir que nous puissions travailler la main dans la main. Quand on verra que ça commence quelque part, les pays de bonne volonté vont nous suivre et on pourra faire de grandes choses. On est fatigués des déclarations. On est fatigué des engagements. Nous ne voulons plus de diversion. Les pays sont souverains. Mais à mon avis, il faut éviter l’amalgame. Nous sommes venus pour la biodiversité qui se dégrade sous les yeux impuissants ou complices de tout le monde. Nous savons qu’en sauvant la biodiversité, nous sauvons également le climat. Le bassin du Congo séquestre énormément de carbone. Quand on parle en termes de responsabilité, nous pays africains, nous sommes peut-être responsables de 3 à 4% des émissions de carbone. Le reste, ce n’est pas nous. Maintenant, si on ne veut pas nous écouter, en tant que victime, nous serons également auteurs pour refaire nos boulots. Chacun est souverain. Nous sommes victimes. Les pays se développent. On est dans les herbes, dans les forêts, on est dans la dégradation. Non. Il est temps qu’on sorte de là. Nous avons pris cette décision et nous allons de l’avant.
Monsieur le ministre, quelle est la position du Cameroun par rapport à ce qui se passe avec le crédit sur la biodiversité ?
Je suis quelque peu sceptique. A la COP21 sur le climat à Paris, nous avons, les pays africains, sortis nos CDN [contribution déterminée au niveau national, Ndlr]. Et nous avons dit dans quelle mesure chaque pays peut remplir son devoir. Le Cameroun entend réduire l’empreinte carbone de son développement 35% à l’horizon 2030. Nous avons estimé que nous, en tant que pays, nous allons mobiliser 12%, la communauté internationale 23%. Nous avons fait un petit bilan de 2015 à 2020 sur 111 milliards dépensés pour le changement climatique, nous avons constaté que 84 milliards sont dépensés par nous-mêmes. Il n’y a que 4% ou 7% qui viennent de l’étranger. Alors qu’on s’attend à l’inverse. Cessons de pleurnicher. Il faut qu’on puisse avancer. On n’a pas le choix.
Une question qui a émergé ici. Celle des Afro-descendants, une nouvelle thématique portée par la Colombie et le Brésil…
…C’est maintenant qu’on se rend compte des Afro-descendants ? Il y a des problèmes urgents. Il est vrai que le Cameroun n’a pas fait partie. Mais il faut éviter les distractions. Concentrons nos efforts sur l’essentiel. C’est une COP pour la biodiversité qui est en perte de vitesse. L’alerte a été lancée par le Club de Rome en 1970 qui a dit : « attention, si nous ne faisons rien, la vie va s’arrêter sur cette terre ». Maintenant, nous avons l’impression que cette réalité est en train de nous rattraper. Il faut le bon discours. Le président colombien a dit : la nature nous donne tout ce dont nous avons besoin : Pas la cupidité. La balle est lancée. Il faut que chacun prenne ses responsabilités devant Dieu, devant les hommes. Si nous voulons effectivement que les choses changent.
Nadège Christelle BOWA à Cali-Colombie
Ce reportage a été réalisé dans le cadre de la bourse 2024 CBD COP 16 organisée par Internews Earth Journalism Network.