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Insalubrité : La disparition des bacs à ordures cause du tort aux habitants de Yaoundé

Une décision du super maire de la ville est la cause de ce désagrément. Par ailleurs, la rareté des bacs à ordures et le passage sporadique des camions de collecte de déchets poussent les habitants à des pratiques désespérées. Entre dépôts sauvages, pollution des eaux et frustrations des riverains, la gestion des déchets dans certains quartiers de Yaoundé soulève de nombreuses interrogations. Lire également les propositions de solutions de Fritz Joël Ndjeng Asse, Ingénieur environnementaliste.

Surnommée « la ville aux sept collines », Yaoundé, capitale politique du Cameroun, semble aujourd’hui se noyer sous les ordures ménagères. Dans certains quartiers populaires comme Bonamoussadi et Biyem-Assi dans l’arrondissement de Yaoundé 3, la disparition des bacs à ordures couplée à la rareté des passages des camions de collecte de la société Hysacam (acronyme de : Hygiène et salubrité du Cameroun), une entreprise camerounaise chargée de l’assainissement public, exacerbent la « crise » de gestion des déchets. « Avant, il y avait un bac à ordures à la montée de la chapelle Obili, mais il a été remplacé par une garderie d’automobiles. L’unique endroit pour verser les ordures est le cours d’eau situé au lieu-dit Pont-Bonas », témoigne, sous anonymat, un étudiant résidant au quartier Bonamoussadi.

Par désespoir ou commodité, ces populations déposent les ordures au bord des routes, souvent tard dans la nuit. Au petit matin, ces tas de déchets jonchent les trottoirs, attirant mouches et émanations nauséabondes. Les quartiers touchés par ce phénomène prennent peu à peu des allures de décharges publiques. Au centre-ville de la capitale, les corbeilles poubelles qui étaient accrochées aux lampadaires ont disparu. Résultat : des bouts de papier et autres détritus de toute nature, traînent le long des rues. Même dans les jardins publics, qui sont presque en voie de disparition, les ordures s’accumulent. Les conséquences sont visibles : dépôts sauvages au bord des routes, la pollution des cours d’eau, et une ville qui prend des allures de décharge.

Une décision du Maire de la ville

L’absence des bacs à ordure, comme l’explique Laure Edi’i, responsable du service d’hygiène à la Mairie de Yaoundé, relève d’une décision du Maire de la ville, Luc Messi Atangana. « La disparition des bacs à ordures dans certains coins de la ville est une décision prise par le Maire de la ville. Nous demandons aux populations de conditionner leurs ordures ménagères dans des plastiques en attendant le passage des camions d’Hysacam », déclare-t-elle. Une réponse qui laisse perplexe, d’autant plus que le passage des camions de collecte se font de plus en plus rares dans la cité. « Depuis une semaine, aucun camion n’est passé dans notre quartier », déplore Israël, un habitant de Biyem-Assi. Dans ces conditions, certains résidents se voient contraints de jeter leurs ordures dans les cours d’eau à proximité, contribuant ainsi à la pollution des ruisseaux et des nappes phréatiques.

Face à cette « crise », certains riverains appellent à une meilleure organisation des services de collecte et à la réinstallation des bacs à ordures. « La mairie doit assumer ses responsabilités. Nous ne pouvons pas vivre dans ces conditions », s’insurge Marie Kamdem, une commerçante à la chapelle Obili. En espérant une rapide résolution de ce désagrément, les habitants de Yaoundé s’interrogent sur les priorités des autorités municipales. La gestion des ordures, un enjeu majeur pour la qualité de vie des populations et la santé publique, semble reléguée au second plan. Si aucun effort significatif n’est fait, la ville risque de perdre son charme et de devenir, aux yeux de tous, une immense poubelle à ciel ouvert.

Michel NONGA

 

ENTRETIEN

Fritz Joël Ndjeng Asse

La gestion des déchets reste une mission régalienne de l’État

L’ingénieur environnementaliste évoque les conséquences et les solutions alternatives à l’absence des bacs à ordures dans la ville de Yaoundé. D’après Fritz Joël Ndjeng Asse, cette situation traduit un dysfonctionnement du système de gestion des déchets dont les causes sont multiples. Cependant, rassure l’expert, il existe de nombreuses pistes que l’on peut explorer dans le cadre de la gestion des déchets des ménages qui polluent la ville de Yaoundé et pas seulement.  

Quelles sont les conséquences environnementales et sanitaires de l’absence de bacs à ordures dans les rues de Yaoundé sur la qualité de vie des habitants ?

L’absence de bacs à ordures dans la ville de Yaoundé est un élément illustratif du dysfonctionnement du système de gestion des déchets de Yaoundé. Si les causes de ce dysfonctionnement sont multiples, je vais m’attarder plus sur les conséquences sanitaires et environnementales de cette situation. Les conséquences environnementales liées à l’absence de bacs à ordures dans notre capitale sont nombreuses. La pollution visuelle de la ville est l’une d’elles, se manifestant par la présence d’ordures dans les rues, sur la voie publique, dans les caniveaux et sur les espaces publics, entraînant un enlaidissement de la ville. La pollution de l’air dans la ville est également un problème majeur. Les déchets putrescibles déversés sur les espaces publics peuvent entraîner l’émission d’odeurs nauséabondes qui nuisent à la qualité de vie des habitants de Yaoundé. De plus, dans certains cas, les populations procèdent à l’incinération à ciel ouvert des détritus présents sur les espaces publics, avec pour conséquence directe la libération de polluants atmosphériques tels que les composés organiques volatils (COV), le monoxyde de carbone (CO), le dioxyde de carbone (CO2) et les oxydes d’azote (NOx). Ces polluants sont par la suite inhalés par les populations riveraines et peuvent causer à court ou long terme des maladies graves, notamment des cancers.

La pollution de l’eau est également une conséquence de l’absence de bacs à ordures. Les déchets solides ou liquides peuvent contaminer les cours d’eau de la ville ou les nappes phréatiques de Yaoundé, entraînant potentiellement la destruction des écosystèmes aquatiques et altérant de manière durable la qualité des ressources en eaux potables. Cette contamination des eaux de consommation impacte de manière directe la santé des populations qui les consomment volontairement ou à leur insu via des breuvages. Enfin, la prolifération de maladies diverses est également une conséquence de l’absence de bacs à ordures. Les ordures peuvent attirer des insectes, rongeurs ou d’autres vecteurs de maladies, augmentant significativement les risques de transmission de maladies comme le paludisme. D’une manière globale, l’absence de bacs à ordures dans la ville de Yaoundé constitue une menace grave pour la santé publique de ses habitants.

Quels sont les facteurs qui contribuent à l’absence de bacs à ordures dans les rues de Yaoundé ?

La gestion des déchets dans notre ville est un problème complexe qui nécessite une approche globale. Il est difficile de déterminer les facteurs à l’origine de l’absence de bacs à ordures sans avoir accès à des informations confidentielles de la Mairie de la ville et de ses sous-traitants. Cependant, d’après mes observations, je dirais que les principaux facteurs sont l’accroissement rapide et mal maîtrisé de la ville, l’augmentation de la population, ainsi que l’augmentation des volumes de déchets qui en résulte. Cela rend difficile le pilotage d’un système de gestion des déchets efficace, notamment la mise en place de bacs à ordures. De plus, certains quartiers sont très difficiles d’accès, ce qui rend difficile l’installation de bacs à ordures. Les pratiques populaires de gestion des déchets, telles que l’incinération ou le stockage sur des terrains abandonnés, sont également un problème. Ces pratiques inadéquates sont souvent les seules qui s’offrent aux populations de quartiers non couverts par les offres de services d’hygiène et d’assainissement. En outre, les moyens financiers insuffisants constituent un obstacle important. L’accroissement de la ville et l’augmentation des populations ont entraîné une explosion des coûts liés à la collecte des déchets. Le système de collecte qui fonctionnait il y a une quinzaine d’années est devenu inefficace. Il faut mobiliser plus de fonds pour permettre la gestion optimale des déchets.

Les ordures peuvent attirer des insectes, rongeurs ou d’autres vecteurs de maladies, augmentant significativement les risques de transmission de maladies comme le paludisme. D’une manière globale, l’absence de bacs à ordures dans la ville de Yaoundé constitue une menace grave pour la santé publique de ses habitants.

Comment remédier à cette situation ?

Il est nécessaire de prendre des mesures politiques. L’État doit traiter ces questions de manière intégrée avec toutes les sectorielles. Au niveau local, il faut revoir l’éducation environnementale et la sensibilisation des populations. Il est également important d’encourager la réutilisation ou le recyclage de certains déchets, de réduire à la source les volumes de déchets, notamment les plastiques, en encourageant des pratiques écologiques et en privilégiant des produits plus durables. La valorisation énergétique des déchets, telle que la production de biométhane, est également une piste à explorer. Enfin, il faut encourager le secteur industriel ou les Pme à développer des solutions innovantes en matière de valorisation des déchets, en considérant les déchets comme des matières premières. La création de centres de tri et de valorisation des déchets ménagers dans les différentes communes d’arrondissement est également une solution à envisager.

Quelles solutions alternatives ou innovantes pourriez-vous proposer pour gérer les déchets dans les rues de Yaoundé, en attendant la mise en place de bacs à ordures adéquats ?

La gestion des déchets reste une mission régalienne de l’État, mais si on veut espérer réduire les volumes de déchets présents dans nos rues en attendant l’amélioration du système de collecte urbain, on pourrait encourager la collecte sélective des déchets à fort potentiel de valorisation, tels que les plastiques, les pneus, les papiers, etc. Il serait également possible d’encourager la création d’Ong ou même de Pme à vocation environnementale pour sensibiliser et collecter à la source certains types de déchets. La mise en place de comités de nettoyage régulier des espaces publics dans chaque quartier ou arrondissement, avec l’assistance des autorités administratives, pourrait également être une solution efficace. De plus, la création de centres de traitement des déchets avec valeur ajoutée concrète, tels que la production de biens recyclés, pourrait employer les auxiliaires de collecte qui exercent actuellement dans l’informel ou la clandestinité. Il serait également important de privilégier les approches participatives et intégrées dans le développement des solutions de valorisation des déchets. Enfin, l’organisation de concours pour déceler les meilleures idées de valorisation des déchets et primer les associations ou individus vainqueurs pourrait être une initiative intéressante.

Réalisé par

Michel NONGA

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