Jean Marie Nguele : « Les communes doivent introduire la nutrition dans leur plan local de développement »
Ambassadeur de la Nutrition dans le cadre du mouvement « Scaling Up nutrition, SUN » soutenu par l’Onu sous le lead de l’Unicef, la société civile sous celui de Helen Keller International, Jean Marie Nguele décline sa feuille de route de lutte contre la malnutrition au Cameroun et dans le monde. Particulièrement préoccupé par le rôle des communes à l’heure de la décentralisation, il appelle le gouvernement à revoir la nomenclature budgétaire des mairies pour y introduire le volet nutrition pour un plus large impact. Interview réalisée à la faveur d’un point de presse donné dans les locaux de la Fondation J&A Oben, partie prenante à la promotion de la nutrition dans notre pays.
Vous avez été choisi pour être ambassadeur de la nutrition quelles sont vos impressions ?
J’ai été très surpris et content d’apprendre que je suis désigné ambassadeur de la nutrition. Cela va m’aider à continuer le travail que j’avais commencé sur le terrain comme maire ; De le poursuivre autrement sur le territoire national. Je remercie le gouvernement camerounais pour cette politique…
La mission principale d’un ambassadeur de nutrition étant d’utiliser son influence et sa popularité pour s’engager dans le plaidoyer public et le lobbying afin de mobiliser des ressources pour renforcer et faire de la nutrition une priorité politique majeure aux niveau mondial, national, local… Quelle sera votre stratégie pour la réalisation de cette mission ?
(Rires) Je suis déjà heureux de ne pas être seul pour accomplir cette mission. En dehors de mes pairs ambassadeurs, il y a le Pr Julius Oben [Professeur de Biochimie nutritionnelle et cofondateur de la Fondation J&A Oben, Ndlr] qui va nous assister fortement avec ses différents collaborateurs. L’objectif global est de faire de la nutrition, une préoccupation importante, beaucoup plus au sein des communes. Je préfère parler de la chapelle que je maîtrise le mieux. Que les communes puissent introduire la nutrition dans leur plan local de développement. Mais ce programme a un certain nombre d’objectifs spécifiques long à évoquer ici, étalés sur plusieurs années.
Comment pensez-vous atteindre vos objectifs ?
Mon objectif est de contribuer à l’élimination de la malnutrition au Cameroun. En ma qualité d’ancien maire, je comprends mieux le fonctionnement des communes notamment leur rôle crucial dans la lutte contre ce fléau [Au Cameroun, 29% des enfants de moins de 5 ans ont un retard de croissance où sont atteints de malnutrition chronique et 14% ont un retard de croissance sévère, EDSV, 2018, Ndlr]. J’envisage de sensibiliser tous les maires sur la nécessité de faire la nutrition un aspect important de leur programme. Cela va considérablement aider à la construction du capital humain de même qu’au développement du bien être des Camerounais et du Cameroun.
Nous pensons que les écoles peuvent avoir chacune un jardin potager à l’intérieur duquel, nous pouvons mettre des produits qui apportent de la vitamine A et bien d’autres au lieu de les importer.
Vous avez eu à défendre à l’international un projet sur l’implémentation des jardins potagers. De quoi s’agit-il ?
Le projet sur les jardins potagers part de ce que la malnutrition atteint beaucoup plus les enfants de 0 à 5 ans, voire un plus. Notamment les enfants scolarisés (aujourd’hui, nos enfants vont à l’école assez tôt) ; nous pensons que les écoles peuvent avoir chacune un jardin potager à l’intérieur duquel, nous pouvons mettre des produits qui apportent de la vitamine A et bien d’autres au lieu de les importer. Dans les villages par exemple, les parents partent tôt le matin pour travailler et reviennent tard le soir. Dans la journée, les enfants sont laissés pour compte. Il faut des mécanismes qui peuvent aider à ce que les enfants se nourrissent entre temps. Ces aliments vont leur apporter des vitamines et sels minéraux dont ils ont besoin.
Quelle stratégie pensez-vous mettre en œuvre pour que ce projet soit une réalité dans notre contexte ?
Nous avons défendu ce projet auprès de Venise city pour la recherche de financement parce que c’est l’objet de notre plaidoyer. Nous avons déjà le Pr Oben qui a son incubateur et qui va beaucoup nous aider à planter des vergers potagers dans certaines écoles. Nous avons aussi le Réseau Camerounais des communes pour la nutrition, basé à l’Est (couvre aussi l’Adamaoua) qui est en train de travailler sur un projet de pépinière sur la patate à chair orange. Il semble que cette patate a beaucoup de vertus, nous voulons l’intégrer dans notre verger au-delà des choux, la laitue, les agrumes… Pour l’instant, l’expertise est là, nous sommes à la recherche des financements pour pouvoir couvrir tout le pays. C’est un vaste chantier.
Comment ce projet peut-il contribuer à la promotion de la nutrition ?
…En apportant les vitamines et les sels minéraux. A l’heure actuelle, ces nutriments sont importés. Nous voulons les produire dans le pays pour réduire un peu les importations. En allant dans le cadre macroéconomique, cela va permettre une réduction du déficit dans la balance commerciale et nous aider aussi à remplir les objectifs de nutrition pour les enfants.
En qualité d’expert, vous avez participé à la mise en place en 2015 de la Plateforme commune de travail et de collaboration (Pctc) sur les Objectifs de développement durable (ODD) au Cameroun. Quels étaient les objectifs de cette plateforme, pensez-vous que cela puisse vous aider dans l’atteinte de votre mission d’ambassadeur de la nutrition ?
Je suis convaincu que cela va apporter beaucoup dans le cadre de l’implémentation des objectifs de nutrition. La nutrition est l’un des objectifs de développement durable. Il est certes ancré dans les objectifs N°2 mais il balaie l’Objectif 1, 3, 4, 6 et 8. Soit un ensemble d’au moins six ODD. En travaillant sur la nutrition, nous aurons un impact un peu plus large. Dans notre contexte, il faut aussi intégrer la donne de la décentralisation. Aussi, le groupe de réflexion de la société civile a pensé à mettre sur pied une plateforme commune qui permette à ce que à l’intérieur d’une commune, nous allons trouver plusieurs acteurs (conseillers municipaux, associations, chefs traditionnels …) qui peuvent travailler sur le plan local de développement, fourni de la matière en termes d’investissement. Soit se fixer des objectifs d’investissement dans les villages en fonction des besoins. Cela permet de les mettre dans le plan local de développement. Ceci fait, ça devient une institution et va au-delà des personnes. Donc quelque soit l’exécutif municipal qui va arriver, celui-ci devra seulement implémenter ce qui a été institué. Donc, vous avez une implication large de toutes les couches et acteurs d’une part, d’autre part une institution qui va au-delà des hommes.
Qu’est-ce qui à votre avis constitue un obstacle à la lutte contre la malnutrition ?
Nous décelons des insuffisances. J’ai participé récemment à un atelier sur la réforme foncière au cours duquel j’ai eu l’opportunité de porter le message de la nutrition en demandant qu’on puisse sensibiliser les chefs traditionnels pour que les femmes aient accès à la propriété foncière. Les textes par exemple n’empêchent pas les femmes à accéder à la propriété foncière mais c’est la tradition au niveau des villages où il y a un petit blocus.
Aucune imputation budgétaire n’est prévue pour alimenter la nutrition. Il faut un plaidoyer auprès du Premier ministre, chef du gouvernement
Il y a les communes qui ont des difficultés par rapport à l’imputation budgétaire. Aucune imputation budgétaire n’est prévue pour alimenter la nutrition. Il faut un plaidoyer auprès du Premier ministre, chef du gouvernement qui est lui-même ambassadeur de la nutrition, pour lui dire que dans la nomenclature budgétaire des communes, on puisse introduire la nutrition pour que les maires soient plus à l’aise dans leur travail. Nous avons aussi décelé qu’il y a beaucoup d’importations de vitamine A. Il est vrai que cela rentre dans la feuille de route de beaucoup d’organismes, mais je crois que nous pouvons faire mieux dans notre pays. Nous allons voir dans quelle mesure exploiter ce que nous avons pour compléter la nutrition qui fait défaut.
Réalisée par
Nadège Christelle BOWA