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Kambele III : Histoire d’un village englouti par la ruée sur l’or

Abritant jadis environ 1500 âmes selon les estimations du chef du village, sa majesté Baba Bel, Kambélé 3, dans l’arrondissement de Batouri, département de la Kadey dans la région de l’Est au Cameroun (Afrique centrale), n’est plus qu’un vaste chantier de trous béants. La végétation a été engloutie et les habitants expulsés en raison de l’exploitation de l’or. Reportage !

Les derniers chercheurs d’or

Parti de Kribi, cité balnéaire située dans le département de l’Océan, région du Sud au Cameroun, pour un travail dans le secteur de l’agriculture dans la région de l’Est, Douglas B., ingénieur agronome de formation se retrouve à glaner dans les chantiers de mine d’or. « Je ne suis pas chez moi ici, je suis Batanga de Kribi. Je suis ici depuis trois ans. C’est grâce à mon grand frère, commandant, que je me suis retrouvé ici. J’étais venu pour un travail qui a mal tourné. Ma femme et mes trois enfants sont ici avec moi. Un seul va à l’école puisqu’il a 6 ans. Le deuxième de 2 ans et le dernier sont à la maison », raconte ce dernier, délaissant un moment son ouvrage pour entretenir le reporter. Quelques minutes auparavant, l’homme belliqueux ne voulait rien entendre. « Ne me filmer pas, sinon je casse votre appareil », vociférait-il alors, trempé jusqu’au rein dans un lac aux eaux boueuses, un sachet plastique d’un whisky à la provenance douteuse coincé entre ses lèvres « pour chasser le froid », explique-t-il. Non loin de lui, Adeline, coiffeuse de profession et quelques autres personnes, des collègues de circonstance, se livre au même exercice de recherche de caillou aurifère. La tâche est ardue dans cette eau froide.

Les restes d’un village jadis riche en or. Kambele 3-Batouri, 26 juillet 2024, Crédit Photo NCBOWA

En cet après-midi du vendredi 26 juillet 2024, l’air est lourd sur ce site. On respire quasiment de la poussière que laisse le passage des camions. Çà et là, des hommes et des femmes de tout âge et même des enfants vaquent à leurs occupations. Leur mine soupçonneuse n’invite pas à la discussion. Ils travaillent en collectif ou solitaire. A certains endroits, des bruits de pompe de lavage ou ceux de quelques rares engins encore en activité, troublent le silence. Kambélé 3, jadis grouillante de monde, ne semble plus que l’ombre d’elle-même. De grands trous béants estimés à 15 ou 30 mètres de profondeur parsèment le site et rappelle pour qui veut l’oublier, l’intense activité minière qui y a régné pendant quelques années. Le village a disparu, englouti par la quête effrénée de l’or. Difficile de mettre la main sur les natifs de cette localité, jadis peuplé de kakô. Kambelé 3 est en effet, l’un des trois villages de Kambélé, une cité minière située dans l’arrondissement de Batouri, département de la Kadey dans la région de l’Est au Cameroun (Afrique centrale). Dans ses beaux jours, Kambélé selon un état des lieux dressé par la Sonamines, était constitué d’une population estimée à 3000 habitants, composée principalement des Kakô, des Gbayas, des Haoussas et de quelques expatriés.  Créée en 2020, la Société Nationale des Mines est une société à capital public, ayant l’Etat comme actionnaire unique, avec pour missions entre autres de : Conduire les études relatives à l’exploration et à l’exploitation des substances minérales ; Mener les opérations d’achat et de commercialisation des substances minérales pour le compte de l’Etat ; Mener les activités d’exploration et d’exploitation des substances minérales ; Assurer les mesures relatives à la restauration, à la réhabilitation et à la fermeture des sites d’exploitation miniers, etc.

Le chef du village déguerpi aussi

Si Kambélé 1 et 2 survivent encore tant bien que mal, il en est tout autre de Kambélé 3 fortement impacté par l’exploitation artisanale et semi-mécanisée de l’or. « Le village complètement a été détruit, il y a à peu près 1 an. Les populations se cherchent. Je n’ai plus vraiment des amis ici. Certains sont allés se chercher ailleurs », confie Douglas. Le site sur lequel, il « travaille » aujourd’hui, abritait autrefois, apprend-t-on, la chefferie du village, entité politique et administrative représentant des communautés territoriales sur un territoire limité à base régionale (wikipedia.org). Ici se réglaient les affaires foncières et civiles du village sous l’autorité du chef qui rendait la justice traditionnelle. En dépit de son caractère sacré, ce lieu empreint de solennité n’a pas été épargné par les pelles des poclains des compagnies d’exploitation d’or. « Il y avait déjà des fissures sur les murs des chambres et même du salon. Personnellement, je ne pouvais pas voir le danger et rester là avec ma petite famille », rapporte sa majesté Baba Bel, chef traditionnel du village Kambélé 3. Contraint de quitter les lieux en janvier 2024 pour se réfugier dans une cabane de bois à des kilomètres de son ancien lieu d’habitation, afin de laisser libre champ aux exploitants. Qu’elles appartiennent aux natifs du village « autochtones » ou aux « allogènes »- expression consacrée par la constitution du pays pour désigner des camerounais qui se sont installés dans une localité à laquelle ils n’appartiennent pas par la naissance- plusieurs maisons ont subi le même sort. Sous la pression, la chefferie, dernier rempart, a fini broyé ; le chef et sa famille, déguerpis.

article du Messager du 13 août 2024 sur village Kambele 3

« Je ne m’adapte pas encore ici puisque j’ai mis beaucoup de temps où  je vivais avant. Je me considère encore comme un étranger. Nous supportons mal les bruits tous les jours des camions et autres véhicules », confie Baba Bel qui n’arrive pas à vivre très loin malgré la possession d’une parcelle de terre achetée dans un autre village (vers Gnabi). Un espace qu’il préfère consacrer à l’agriculture et à l’élevage des bovins. « J’ai deux femmes, des petits fils. Parmi mes enfants, certains sont restés avec moi, d’autres sont partis. Nous étions une population de plus de 1500 âmes. Ici, je ne connais pas le nombre exact de personnes installées, les gens viennent de partout. Des dix régions du Cameroun, des étrangers Maliens, Guinéens etc. Les autochtones [natifs du village, Ndlr] ne sont plus nombreux, ils sont allés ailleurs, les chinois ont tout occupé et il faut aller à plus de 15 km pour faire le champ », souligne-t-il, en indiquant les quelques cases autour de la sienne. Pour ces populations logées dans une zone à l’accès problématique, couvrir une telle distance représente un exploit, surtout pendant les récoltes quand il faut ramener les produits du champ.

Une vie en point de suspension

Résigné, le chef se dit prêt à quitter même cette habitation de fortune, aux abords de son village natal, si l’Etat lui en donnait l’instruction. « Si on sonde et on voit qu’il y a de l’or et qu’on nous dit d’aller même à Yokadouma, on ira. Nous ne pouvons pas faire le bras de fer avec l’État », laisse-t-il entendre avec un haussement d’épaules. « Normalement le sous-sol de la kadey est riche même les scientifiques le savent. Si l’État trouve un gisement, l’on ne peut rien. C’était d’ailleurs le cas à Lom-Pangar. Ma maison était construite en dur. En tant que chef, il y avait des choses ! Je ne peux pas tout vous raconter. La chefferie, ce n’est pas facile », soupire-t-il avec une intention manifeste de clore la conversation. Il faut presque lui tirer les vers du nez. Baba, qui signifie grand-père en langue locale, regrette sa vie antérieure : « Je n’ai pas le même rythme de vie que par le passé, je me sens vraiment étranger. Ici, il est difficile de se reposer. Il y a trop de bruit », réitère-t-il après un long silence. « En principe, c’est l’Etat qui doit voir comment recaser la population. On retrouve ici quand même des écoles, églises, mosquées. Les pouvoirs publics doivent anticiper. Les gens n’ont pas été indemnisés à temps. Certains ont même refusé de prendre l’argent à cause de certaines frustrations », rapporte-t-il au sujet des indemnisations.

Transpercé de toute part et abandonné, Kambele 3 village, 26 juillet 2024, Credit photo: NCBOWA

Selon certaines sources, les montants proposés étaient si dérisoires que certains face à un tel mépris ont préféré ne rien prendre, en dépit des encouragements du chef du village. « J’ai été impliqué. Sauf qu’il y a des gens qui ont investi 1 à 5 millions, parfois plus et on leur proposait moins que leurs investissements. Alors que le coût de la vie a augmenté », déplore-t-il frustré du traitement infligé par l’Etat. « Ça fait 20 ans que je suis chef. J’ai succédé à mon père. J’étais frustré, puisque mes parents ont été enterrés ailleurs. J’ai dû les exhumer pour les inhumer dans ma concession de Batouri », marmonne-t-il dans une colère contenue. Conscient de ce que même à Batouri, les restes de ses parents risquent de ne pas reposer en paix pendant longtemps en raison de l’octroi d’un permis de recherche par le ministre des mines, de l’Industrie et du Développement technologique, à une entreprise chinoise dans l’arrondissement de Batouri. « J’appelle l’Etat à investir avant de déguerpir les populations. Nous ne voulons plus quitter nos terres comme des bêtes. Même à Batouri, nous ne savons pas quand est-ce qu’on va à nouveau nous expulser ».

Nadège Christelle BOWA

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