L’exploitation illégale fait son nid dans les forêts communautaires
Est-Cameroun
Sciage sauvage, exploitation hors parcelle, trafic de lettre de voiture, corruption… Ce sont là quelques maux qui minent les forêts notamment les forêts communautaires dans la région du Soleil levant. Ici règnent en maîtres, des exploitants véreux qui sous le prétexte de rentrer dans leur frais causent des dégâts quelquefois avec la complicité des populations en quête de gain facile et sous le regard condescendant des autorités sensées faire appliquer la loi.
- Des « délinquants fauniques » prennent possession de la forêt
Melane dans l’arrondissement de Mindourou, département du Haut-Nyong dans la région de l’Est-Cameroun. Dimanche 4 novembre 2018. A environ un kilomètre de la route principale en entrant dans la forêt, gisent 2 immenses troncs d’arbres (des grumes en langage technique). Même pour un œil non avisé que celui du reporter, on perçoit bien qu’il s’agit d’essences précieuses. Elles ont été abandonnées par des exploitants véreux pris en flagrant délit de pillage des ressources naturelles dans cette localité. A en croire certains habitants de ce village, la forêt regorge de grumes abandonnées par ces individus sans foi ni loi. « C’était des kamikazes qui coupaient presque tout. Prospecteurs, abatteurs, engins débiteurs et débardeurs travaillaient avec une synergie incroyable », renseigne un riverain selon qui, ils ont commencé par Kagnol –localité avoisinante où avait été concédée une vente de coupe (Vc). « Ils ont même touché la forêt communale », ajoute ce dernier.
D’après le document de notification de saisie établi par l’autorité locale en charge des forêts, les dégâts sont estimés à environ 88 m3 de bois (grume rouge) d’essences divers exploités frauduleusement dans la forêt du domaine national dans la communauté de Malene. Laquelle a déjà exprimé le désir de voir cette forêt érigée en forêt communautaire. «Il y a le bois qu’ils ont abattu dans les champs faisant croire aux villageois naïfs qu’ils seraient indemnisés. Mais on pensait qu’après la saisie, le gouvernement aurait pu fait quelque chose pour que le village bénéficie de ce bois abattu ». Pris en flagrant délit par les populations de Djolempoum, déjà avisée par la situation de Malene, ces individus ont été contraints de négocier et de payer pour le bois volé. Le forfait de Malene a été rendu possible, soutient une organisation de la société civile locale, à cause des complicités se recrutant au plus haut niveau de l’administration. C’est cette même complicité qui facile, voire favorise l’exploitation illégale du bois notamment en hors parcelle dans d’autres communautés de la région de l’Est où des forêts communautaires ont été concédées par l’Etat aux populations riveraines.
« Les hors parcelles sont dus au fait que tout le bois prévu par le CAE [Certificat annuel d’exploitation, Ndlr] n’est pas exploité faute d’exploitant. Aucune forêt communautaire au Cameroun ne respecte les parcelles à cause de cela », souligne avec force un habitant de Nemeyong 1. Pour qui, l’Etat, puisqu’il a les exploitants devrait établir une cartographie des essences disponibles dans les forêts communautaires et en informer les exploitants dont il dispose du fichier sur l’étendu du territoire en fonction de la qualité d’essence voulu par ceux-ci. La source dénonce par ailleurs de nombreux obstacles au plein épanouissement de la gestion durable des forêts en conformité avec l’Apv-Flegt (Accord de Partenariat Volontaire pour l’application des règlementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux).
- Victimes ou complices
« L’Etat a bien réfléchi en mettant sur pied les forêts communautaires mais au niveau de l’étude de faisabilité, ça n’a pas été clair. Un vide juridique ». Et d’expliquer : « Qu’est-ce que l’Etat a mis en place pour que tout ce qui est prévu dans le CAE comme bois soit exploité ? C’est un vide juridique. Et après un an, vous ne pouvez-vous plus revenir là. Qu’est-ce que le villageois qui veut de l’argent fait ? Il trouve un exploitant qui sur 10 essences ne prend que trois ou quatre. Et il a besoin de faire le développement qui va être vérifié par l’Etat. Il est obligé d’aller hors parcelle ».
À son avis, il est du devoir de l’Etat d’amener les exploitants. « Ils savent qui veut tel ou tel autre bois. Ceux qui viennent nous aider à exploiter sont des bayam-sellam », confesse cette source. Une autre pointe un doigt accusateur en direction des exploitants et accuse : « ils nous ont dupé. Quand il vient avec de gros moyens, il fait des promesses mais après il ne respecte pas sa parole ». Dans une communauté qui regroupe 3 villages autour d’une forêt communautaire, le président confesse : « Ce qui nous ennuie un peu dans nos forêts communautaires ce sont nos partenaires qui nous induisent dans les erreurs. Il [exploitant, Ndlr] nous a donné espoir qu’il prendrait toute essence confondue que ce soit le bois blanc ou le bois export à 20 000Fcfa le m3. Mais il n’a pas respecté le contrat. Il n’exploite que le bois export sous le prétexte qu’il n’a pas encore de partenaire. Il nous demande supporter parce que ce n’est pas facile de trouver ceux qui prennent le bois blanc ».
La communauté qui s’est endettée auprès de cet exploitant afin de pouvoir obtenir les papiers (la conception du Plan simple de gestion à 3,5 millions de Fcfa ; le Certificat annuel d’exploitation à 1,5 million de Fcfa, etc.) indispensables à l’exploitation de sa forêt communautaire se trouve dans l’obligation de céder au chantage des exploitants soumis eux-mêmes à certaines contraintes. « Dans le Haut Nyong, Lomié est en tête d’ici à Yaoundé, chaque chef de poste prend 50 000Fcfa par Lucastmill légal ou pas. On doit tenir compte de ce paramètre en signant les contrats. Vous ne pouvez pas arriver à Yaoundé sans payer ce montant par poste forestier. Quand vous donnez les 50 000Fcfa, vous êtes obligé de causer les dégâts dans la forêt pour pouvoir rentrer dans vos frais ». Par ailleurs, « il y a la misère qui plane. Et ceux qui peuvent protéger sont incapables de le faire par peur de perdre sa casquette. Tu ne peux pas dire à un villageois de ne pas prendre ses 5000Fcfa pour le prospect d’un Moabi parce que tu vois l’avenir du village. Il va te tuer».
- Mesures urgentes pour sauver les forêts
Cette misère fait en sorte que dans certaines communautés après le passage des ventes de coupe, les populations se ruent dans les forêts abandonnées pour au lieu de s’y consacrer comme le prévoit certaines dispositions de la loi du 20 janvier 1994 régissant l’activité forestière au Cameroun à des activités agricoles, poursuivent plutôt l’exploitation des essences dans l’illégalité. Se servant pour blanchir cette activité frauduleuse, des documents d’une forêt communautaire en activité. En dépit de ce sombre tableau, tout n’est cependant pas perdu. On peut encore sauver les forêts de la région de l’Est. « En étalant les problèmes, c’est des doléances. Le bois est notre avantage naturel. L’Etat a réfléchi à ce niveau. Au lieu d’arracher tout cela avec les exploitants, aidons ces gens ! C’est bien que l’Etat nous accompagne jusqu’au bout (attribution, exploitation et suivi des revenus). Si ces trois étapes sont suivies, on n’aura plus de problème », suggère un membre de la communauté.
L’administration locale a aussi ses doléances et plaide pour la formation des populations surtout celles à qui incombe la surveillance de la forêt pour le compte de la communauté. « L’incompétence et l’illettrisme des Rof [Responsables des opérations forestières, Ndlr] est un véritable problème pour nous », affirme à ce propos un chef de poste selon qui, « dans 98,99% des cas, c’est le chef de poste qui rempli les lettres de voiture. Les Rof en général ne sont préoccupés que par l’argent du cubage ». Il recommande que pour la demande de convention provisoire, le Rof ne soit plus un analphabète ; qu’avant la certification, le ministère des Forêts et de la Faune (Minfof) aide les communautés à la gestion de leurs ressources à travers des formations et des sensibilisations. Pour eux-mêmes, l’Etat doit pourvoir aux matériels indispensables au travail de terrain à l’instar des Gps, du ruban… Mais aussi satisfaire au moyen de locomotion adaptée. Dans ce processus, les organisations de la société civile ont un rôle important d’accompagnement autant des communautés que de l’Etat. Si non on s’achemine tout droit vers un désastre écologique à savoir : la disparition des forêts et de la biodiversité au Cameroun. En effet, dans un rapport produit il y a quelques années par une coalition d’Osc camerounaises en collaboration avec le Cifor et le Minfof, en l’absence de forêts dans le domaine forestier non permanent, les trafiquants pourraient attaquer les Unités forestières d’Aménagement, les aires protégées. Où des actes de vandalisme sont déjà d’ailleurs observés. « On s’est rendu compte qu’aujourd’hui à peu près 11% du domaine forestier permanent commencent à être touché par des activités d’exploitation forestière illégale », affirmait à ce sujet le chercheur Patrice Bigombe en d’autres occasions.
Nadège Christelle BOWA
De retour de Lomié