Mali: Michel Sidibé, ancien Directeur Exécutif de l’ONUSIDA désormais Ministre de la Santé publique et des Affaires sociales
Par Foussénou Sissoko
Expert Communication en Santé
Gagner le Pari de la Gratuité des Soins de Santé
Depuis le 5 Mai 2019, Michel Sidibé ancien Directeur Exécutif de l’ONUSIDA est le Ministre de la Santé publique et des Affaires sociales du Mali. Le premier défi qui attend le nouveau ministre, parmi tant d’autres, est de « gagner le pari de la gratuité des soins de santé », c’est à dire traduire en acte une initiative prise par le gouvernement au mois de février 2019, et annoncée officiellement par le Président de la République.
La dialyse, la planification familiale, les soins pour les femmes enceintes, les enfants de moins de 5 ans et les vieux de 70 ans » seront désormais gratuits au Mali dans toutes les structures de santé publique. Cette annonce a été faite par le Président de la République Ibrahim Boubakar Kéita à l’ouverture de l’atelier de haut niveau sur la réforme du système de santé organisé à Bamako du 25 au 29 février 2019.
Aux termes de leurs travaux, les experts participant à la rencontre ont invité le gouvernement malien à tirer des enseignements de l’échec de la gratuité des soins de santé au Niger, au Burkina Faso et au Sénégal et à plutôt s’inspirer de la réussite de l’expérience de la gratuité des soins de santé en Sierra Léone.
Les taux de mortalité infantile et maternelle au Mali sont parmi les plus élevés au monde. Selon les données de l’UNICEF, le Mali occupe le neuvième rang des pays ayant le taux de mortalité infantile les plus élevés . Sur 1000 bébés nés dans le pays en 2016, 36 sont décédés avant la fin du premier mois. . Les indicateurs de santé du Mali sont parmi les plus faibles de la sous-région avec des taux de mortalité maternelle et infantile respectifs de 368 décès pour 100 000 naissances vivantes et 56 pour 1000 naissances vivantes. De nombreuses personnes n’ont pas accès aux services de santé en raison d’une pénurie de l’offre vis à vis de la demande.Enfin, le fonctionnement des structures de santé dans les régions nord et centre a été négativement impacté par la crise socio-sécuritaire que connait le pays depuis 2012
La combinaison de l’ensemble de ces indicateurs à problèmes a révélé la faiblesse et les limites du système de santé mis en place par la politique sectorielle de santé et de population en 1990. Il fallait reformer en profondeur ce système de santé en vigueur depuis plus deux décennies.
La Réforme
Du 25 février au 1er mars 2019, près de 406 experts et professionnels participants à l’atelier de haut niveau sur la réforme de la santé, ont partagé la vision et l’orientation stratégique de la réforme de la santé à l’horizon 2030 en validant le document stratégique et le cadre de mise en œuvre
Les acteurs de la santé ont recommandé entre autres : le renfoncement du plateau technique à tous les niveaux de la pyramide sanitaire, la définition du paquet d’activité des établissements de santé.
S’agissant de l’initiative de gratuité des soins, les participants ont invité le gouvernement à entreprendre une communication intense pour une meilleures compréhension de la population sur la gratuité des soins , à accélérer le processus d’adoption des textes applicables à la gratuité, à expérimenter l’initiative à travers un projet pilote avant sa mise à l’échelle.
Pour ce qui est du financement de la gratuité des soins, les acteurs ont recommandé une évaluation du coût de la gratuité par cible(estimation du coût par personne et un forfait par an par cible), la mise à l’échelle du financement basée sur les résultats. Cette évaluation du financement de la gratuité doit être faite sur la base des estimations financières du gouvernement malien. En effet, le gouvernement malien estime les couts de la gratuité à 6 milliards de Francs CFA pour la première année 2019 et 69 milliards en 2022. Une opération qui nécessite une allocation annuelle de 6% du budget national au secteur de la santé.
Si le Mali parvient à gagner ce pari, « nous serons les plus heureux», affirme le syndicat des travailleurs de l’hôpital Gabriel Touré de Bamako…Gagner ce pari, relève de la fiction , le combat est ailleurs, dit Djimé Kanté, le porte-parole du syndicat des travailleurs de l’hôpital Gabriel Touré, il faut d’abord, , ajoute-t-il, « équiper les hôpitaux nationaux avant de rendre les soins gratuits »
Pour le Dr Bagayoko Moussa, médecin chef de district, Centre de Santé de référence de Dioila (localité située à une centaine de kilomètres de Bamako, la capitale du Mali), il ne s’agit pas non seulement d’accélérer le processus de gratuité des soins, il faut surtout , dit-il, « un arrêté interministériel définissant les contours de cette gratuité tout en veillant à éviter les erreurs commises par un certain nombre de pays de la région comme le Niger ». Le Niger a privilégie l’achat et l’approvisionnement des structures de soins en intrants grâce à des financements bilatéraux et multilatéraux. Ce qui a été une mauvaise option Dr Bagayoko estime que le gouvernement malien doit opérationnaliser la gratuité des soins à travers l’institutionnalisation d’un système de tiers payant( un système qui permet, sous certaines conditions, d’être dispensé des frais de santé. Il peut s’agir d’une dispense partielle ou totale selon les cas. Le professionnel sera directement rémunéré par l’Assurance Maladie et la complémentaire santé, ce qui évite au patient d’avancer une somme d’argent). identique à ce qui se fait dans le cadre de l’Assurance Maladie Obligatoire (instaurée en 1999, l’AMO a pour objet de permettre aux catégories concernées d’accéder aux soins de santé à moindre coût. Elle est basée sur la solidarité : « on cotise selon ses moyens et on est pris en charge selon ses besoins )
Le Mali peut s’inspirer de l’exemple de la Sierra Léone
Le Mali, tout comme la Sierra sont deux pays post-conflits dans la région Afrique de l’Ouest , même si le Mali l’est plus récemment . En Sierra Léone par contre, une longue guerre civile qui a pris fin en 2002, a paralysé le pays et affaibli ses systèmes de santé. Pour améliorer les résultats en matière de santé de la population, le gouvernement de la Sierra Léone a lancé en 2010, l’initiative visant à rendre les services de santé gratuits. .
Que nous apprends l’exemple de la Sierra Léone?
Les enseignements que le Mali peut tirer de l’initiative de gratuité de soins de en Sierra Léone sont nombreux. A prime abord, on y apprend la nécessité de donner au système de santé le temps de se préparer. Pas d’improvisation. Pour que l’offre réponde à la demande croissante , comme le disent les spécialistes la demande supplémentaire née de la gratuité des soins ; il faut entre autres :
– Augmenter le montant des sommes allouées aux services de santé pour faire face aux besoins croissants en médicaments, professionnels de santé et produits de première nécessité
– Réaliser une étude sur la marge budgétaire qui pourrait permettre au ministère des finances et aux donateurs des indicateurs de santé macro-économiques de se rendre compte que la suppression du ticket modérateur ( la somme restant à la charge de l’assuré après déduction du remboursement de l’Assurance Maladie lors d’une dépense de santé publique) n’aura pas d’incidence importante sur le budget (car les tickets modérateurs apportent peu de ressources aux budgets nationaux) et qu’il peut être remplacé par des formes de financement beaucoup plus progressives, telles que la fiscalité des entreprises.
– Davantage de professionnels de la santé devront être repartis dans tout le pays pour pouvoir faire face à l’augmentation de la demande. Il convient de noter qu’au-delà de l’expérience de la Sierra Léone, dans tous les pays ou les tickets modérateurs ont été supprimés, des augmentations de salaire ont été négociées afin de compenser les efforts supplémentaires fournis par les professionnels de la santé pour répondre à la demande accrue
-Plus de médicaments et de produits destinés à des groupes cibles spécifiques devront être achetés et fournis.
– Une planification minutieuse et une distinction entre recouvrement des coûts et médicaments gratuits seront essentielles.
Les autres enseignements qui peuvent être tirés de cette initiative de gratuité des soins en Sierra Léone :
– Se concentrer sur la qualité des soins dès le départ, sans quoi, celle-ci diminuera davantage encore faute de ressources ;
-Investir dans le développement institutionnel du ministère de la Santé afin de gérer la politique et le système de santé, en évitant les systèmes parallèles et en renforçant les capacités de planification et de dotation en personnel
-Élaborer une politique de financement de la santé afin que la suppression des tickets modérateurs soit institutionnalisés sur le long terme ; et,
– S’engager aux côtés des communautés pour faciliter le transport vers les dispensaires
-Diffuser des informations sur les droits et les avantages en matière de santé et sensibiliser la population aux signes de danger relatifs aux femmes et aux enfants.
Le ministère de la santé publique du Mali , concluent , les spécialistes, a besoin de suffisamment d’informations et de clarification sur l’ expérience de la Sierra Léone ,s’il veut réussir son processus de gratuité de soins, et l’amélioration de l’accès aux services de santé pour tous.