Mame Gor Ngom: « Le journaliste doit s’intéresser à la lutte contre le tabac, il y va de la survie de l’Afrique »
Interview
Le Directeur de publication du journal La Cloche et administrateur de https://sensite.sn au Sénégal pose un diagnostic sans complaisance du traitement de cette thématique par les médias. En journaliste averti, Mame Gor Ngom propose des pistes pour éviter à l’avenir les déconvenues dénoncées par des organisations de la société civile sur le continent.
Quel état des lieux faites-vous de la lutte antitabac dans les médias africains?
Je pense que dans les médias Africains d’une manière générale et spécifiquement dans la presse d’Afrique francophone, l’état des lieux de la lutte antitabac n’est pas très reluisant. Dans la mesure où on note qu’il n’y a pas assez de passion, pas assez d’engouement autour de la lutte contre le tabac. Alors que, le tabac est une épidémie comme le Sida, le paludisme, etc. Selon les chiffres, le tabac tue que ces deux maladies et bien d’autres réunis [Le tabac cause 7 millions de décès par an dont 80% dans les pays en développement. on estime que 271 961 personnes sont décédées des causes liées au tabac en 2016 en Afrique. Ces statistiques pourraient doubler d’ici 2030, Ndlr]. Malheureusement, même au niveau de la presse Sénégalaise, bien qu’il y ait des avancées dans la lutte antitabac dans ce pays, on note ce manque d’engouement qui pourrait freiner la lutte.
Qu’est-ce pourrait justifier le manque d’engouement que vous relevez ?
Dans la presse en général, celle africaine en particulier, certains sujets sont étiquetés comme : « pas vendable ». Cela ne devrait pas se passer comme cela. Les journalistes ont l’obligation de tout faire pour que le tabac soit combattu de manière subtile en s’outillant, en prenant des initiatives personnelles. En faisant de telle sorte que dans les investigations, les reportages…le sujet soit intéressant, accrocheur ; que le rendu soit bien fait, impeccable. Afin que le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur s’intéresse à la lutte contre le tabac dont on connait les conséquences sur la santé mais aussi sur le développement durable de nos pauvres économies africaines. Donc c’est au journaliste de faire en sorte que le public s’intéresse à la lutte contre le tabac et le décideur aussi. Voilà ce qui pourrait faire avancer les choses.
Vous dites que le journaliste a un rôle à jouer pour l’éradication de l’épidémie du tabagisme en Afrique. Mais quel son intérêt à se lancer dans cette lutte plutôt que dans une autre ?
Je pense que c’est un intérêt humain. Pour écrire sur un sujet, il faut qu’il soit d’actualité. Or la lutte contre le tabac est bien d’actualité. C’est un sujet de grande importance qui intéresse les africains et le monde. Les journalistes sont des humains. Rien d’humain ne nous étranger. Donc, on doit s’intéresser à la lutte contre le tabac, surtout intéresser le public. Il y va de la survie de l’Afrique ; de la survie de nos faibles économies. C’est une question de santé publique, au même titre que le Sida, que le paludisme. Or, ces autres maladies sont omniprésentes dans la presse africaine. On doit en faire de même pour la lutte contre le tabac. C’est un vaste travail, mais qui n’est pas impossible. Tous les journalistes doivent être au devant du combat. Si on parvient à convaincre, on peut vaincre le tabac.
L’un des problèmes qu’ont les reporters dans les rédactions est de pouvoir convaincre déjà les patrons de presse dans l’acceptation de cette thématique. Quelle astuce pouvez-vous leur donner pour rendre ce sujet vendable?
C’est une démarche classique qui ne concerne pas seulement les questions liées au tabac. Pour rendre un sujet vendable, il faut une bonne accroche. Que l’idée du sujet soit claire au niveau du journaliste-reporter avant d’être clair pour le patron de la rédaction qui peut être le rédacteur en chef ou le directeur de publication. Si le sujet est bien défini, je pense qu’on ne devrait pas avoir de problème pour que la question du tabac soit au cœur de l’actualité dans nos quotidiens, nos radios et Télévisions respectifs.
Mais le problème est qu’il s’agit d’un sujet restreint qui donne le sentiment d’avoir un intérêt notamment pécuniaire pour le journaliste qui en fait son dada dans une rédaction…
D’abord les chefs de rédaction doivent se débarrasser de certains préjugés. Aujourd’hui, l’actualité, c’est la spécialisation. On ne peut pas tout embrasser. Mais si vous avez au sein de votre rédaction quelqu’un qui s’engage dans un domaine bien déterminé, je pense qu’il faut l’encourager. Il faut balayer ce préjugé qui veut que dans chaque entreprise, il y ait un intérêt personnel. Non ! Il y a des personnes qui s’engagent dans la bonne cause, pour débarrasser l’humanité de beaucoup de morts. Le tabac est un mal qui est difficile à gérer, qui nécessite beaucoup d’engagements, de moyens pour pouvoir le vaincre. Si le reporter doit comprendre qu’il travaille pour une rédaction, le chef de rédaction doit pouvoir encourager ceux qui prennent des initiatives, ceux qui ont des passions. Certains ont un penchant pour le sport, d’autres pour la santé, l’économie ou la politique. Tous ces penchants sont à encourager pour l’épanouissement au sein d’une rédaction.
Réalisée par
Nadège Christelle BOWA