Samuel Nguiffo : Il faut être prêt à pousser les Etats et les fondations privées à respecter leurs engagements
Le secrétaire général du CED analyse les informations qui parviennent d’Ecosse. En marge d’un atelier de formation sur le suivi des transactions foncières et de partage des résultats et défis liés à la mise en œuvre du Fonds d’urgence SNE-Cameroun.
Comment appréciez-vous les nouvelles qui sortent Glagow notamment celles en relation avec les forêts dont la préservation s’avère l’une de vos batailles ?
Les engagements qu’on écoute peuvent susciter beaucoup d’optimisme. Il y a beaucoup d’argent. Des milliards de dollars sont annoncés pour les forêts dans le monde. Dont plus 900 milliards pour les seules forêts du Bassin du Congo ; L’engagement d’arrêter la déforestation d’ici à 2030 est superbe. Mais dans la réalité, il faut être beaucoup plus circonspect. Ce n’est pas la première fois qu’on a des engagements de cette nature et ça ne s’est pas fait. En plus, on a eu une accélération de la déforestation. Ensuite, quand on regarde les Etats qui ont signé, on n’est pas sûr que tous l’ont fait pour la même cause. Quand on écoute par exemple l’Indonésie en ce moment, ils ne disent pas qu’ils vont vraiment arrêter la déforestation. Ils parlent plutôt de gestion durable d’ici à 2030. Ce n’est pas la même chose. Toujours en ce qui concerne l’Indonésie, il avait un moratoire sur les plantations de palmier à huile et là, il lève le moratoire. Le palmier à huile pousse dans les zones forestières. Comment faire le palmier à huile sans déforester, c’est impossible ! là aussi, ce n’est pas très sûr que les engagements pris vont être respectés. Enfin pour ce qui est de l’argent, on ne dit pas de manière clair, comment cela va être décaissé, les échéances. Là non plus, ce n’est pas la première fois que des montants d’argent sont annoncés. A mon avis, il faut rester vigilant sur cette question. Et se tenir prêt à pousser les Etats et les fondations privées à respecter leurs engagements. Je pense que ce ne sera pas facile pour tout le monde. Il y en a bien sûr qui le feront mais d’autres pas prêts. Il faudra les pousser. Encore une fois, c’est sur la base de ce qu’on a vu par le passé. Dans les conférences comme celles-ci, on est prompt à prendre des engagements après on est un peu plus lent à mettre en œuvre ce à quoi on s’est engagé.
Quand on regarde justement le cas du Cameroun qui a revu à la hausse dans sa Contribution déterminée au niveau national, la réduction de son taux d’émission de gaz à effet de serre de 32 à 35% et réduit le temps de sa mise en œuvre. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Encore une fois, c’est très intéressant de voir de tels engagements. Mais la question demeure comment on va le faire quand on lit la SND30 ? Comment on va arriver à augmenter la production de cacao, d’huile de palme, d’hévéa sans déforester et en réduisant les émissions ? Comment on va arriver à poursuivre l’exploitation forestière tel qu’on la voit ; à développer ne serait-ce qu’un tiers des concessions minières attribuées en ce moment tout en réduisant la déforestation ? On voit dans le plan de développement ce qui va augmenter les émissions et beaucoup moins ce qui va permettre de les réduire. C’est tout le problème !
Comment dans ce cas arriver à concilier ce plan de développement avec les engagements pris ?
Il est premièrement important de comprendre qu’on est dans une ère où on ne peut plus mettre les problèmes environnementaux dans un couloir et les objectifs de développement dans un autre. On est obligé de penser les deux ensembles. La grande question maintenant est comment on va le faire chez nous ? c’est-à-dire, comment on va s’assurer que chaque ministère, chaque secteur tienne compte de son empreinte carbone dans la manière dont il développe ses plans. On ressent déjà les effets des changements climatiques. Ça coûte beaucoup moins cher de prévenir que de régler les problèmes. Imaginons un peu Douala qui compte 4 millions de personnes, supposons que le niveau des inondations augmente de 20 cm et que la durée soit un peu plus longue. Supposons que 10% de la population ne puisse plus vivre où elle vit, cela fait 400 000 personnes qu’il faudra déplacer de leur maison actuelle pour les loger quelque part. Combien ça coûte ? extrêmement plus cher que de commencer un programme de protection et de restauration de la mangrove qui va essayer de nous protéger contre quelques-uns de ces phénomènes.
Le lien entre le développement et les questions environnementales est devenu si étroit qu’on ne peut plus les dissocier. L’administration de l’environnement devrait avoir une importance plus grande que ce qu’elle a aujourd’hui. Concrètement, on a des ministères qui sont plus puissantes que les autres dans la pratique. Le ministère de l’Environnement fait partie de ce qu’on pourrait considérer comme « petit ministère » alors que ça ne devrait plus être le cas. Comment faire de l’agriculture aujourd’hui par exemple dans un contexte de changement climatique ? Nous dépendons de la pluie. On sème quand il pleut. Or les changements climatiques ont perturbé tout ça. Est-ce qu’on est prêt à gérer les famines comme c’est le cas aujourd’hui à l’Extrême-nord ? On va augmenter nos Importations de produits agricoles, combien ça coûte ? est-ce qu’on est prêt à gérer les crises sécuritaires dues aux changements climatiques ? C’est possible, mais ça coûte plus cher que prendre des mesures avant pour éviter cela. Si on avait de l’argent, que ferait-on en priorité ? Il est important de réfléchir à cela et le déterminer de façon très clair. Ça veut dire quoi pour le ministère des Transports d’essayer d’aller vers une économie sobre en carbone ? Ça veut dire quoi pour le ministère de l’Agriculture, Education, etc., c’est à cette question que nous devons répondre aujourd’hui !
Réalisée par
Nadège Christelle BOWA