Suspension de l’USAID : désastre ou opportunité ?
Aussitôt réélu comme 47e président des Etats Unis, Donald J. Trump a annoncé le gel des activités d’aide et assistance d’U.S.A.I.D. Sa suspension est vécue comme une catastrophe naturelle par les autorités publiques de nombreux pays africains, au premier rang desquels le Cameroun, où son bureau avait rouvert en 2020, sous la première administration Trump. Mais, à y regarder de près, elle ouvre des fenêtres d’opportunités de croissance et d’investissement. Par Olivier DAKAYI. TCHAMAKE, Analyste politique et économique

Usaid est l’acronyme d’United States Agency for International Development, une agence créée en 1961 par le président John F. Kennedy. Selon l’ambassade des Etats Unis au Cameroun, 60 années après son arrivée, l’agence avait contribué un total de 777 milliards de Fcfa à l’aide et l’assistance humanitaire. U.S.A.I.D avait fermé sa représentation au Cameroun au milieu des années 90.
Depuis son retour dans le pays en 2020, à travers Presidential Malaria Initiative (Pmi), U.S.A.I.D s’impliquait dans l’administration du traitement antipaludéen préventif et curatif de près de 2 millions d’enfants, dans la fourniture d’insecticides et de moustiquaires imprégnées et ; à travers le Presidential Emergency Plan for Aids Relief (Pepfar) intervient conjointement avec le Center of Disease’s Control and Prevention (Cdc[1]) dans la chaine logistique des Antirétroviraux (Arv), préservatifs, et réactifs de charge virale. Dans le secteur de l’assistance humanitaire, l’agence a apporté son appui matériel et financier à près de 1 million et demi de déplacés de conflits armés. Ce rappel de la contribution d’U.S.A.I.D au développement socio-économique de notre nation est non exhaustif. Il est aisé d’envisager les conséquences sévères à court terme de la suspension des activités d’U.S.A.I.D. Le budget de l’agence au Cameroun était d’environ 110 millions USD, soit près de 70 milliards Fcfa. Il est fort probable que l’agenda sécurité sanitaire globale (Vih, Paludisme) et l’assistance humanitaire représentent au moins 80% de ce budget.
Quel est le pronostic vital ?
Si la contribution de U.S.A.I.D au Pepfar national n’est pas affectée au Cdc, Près de 400.000 de nos compatriotes, atteints de Vih et actuellement sous traitement antirétroviral (Tarv) courent le risque d’être privés de traitement. A cause du déficit de réactifs, ils verraient leur charge virale exploser sans pouvoir la contrôler faute de tests de charge virale. Le programme de prévention de la transmission de la mère à l’enfant (Ptme) que U.S.A.I.D finance est lui aussi largement compromis. En ce qui concerne le paludisme, de nombreuses familles de l’intérieur du pays pourraient bientôt se voir privés d’accès aux moustiquaires imprégnés, et leurs enfants au traitement préventif et curatif de la malaria. Le trou dans le financement de l’assistance humanitaire sera également difficile à combler.
Que peuvent faire les gouvernements ?
Dans une interview accordée au Quotidien Le Monde paru le 14 février dernier, notre compatriote Célestin Monga, économiste, et ancien de la Banque Mondiale relativise l’impact de cette carence subite, étant entendu que l’aide publique au développement des Etats Unis à l’Afrique ne représente que 3.5% des recettes d’exportation de l’Afrique et 20% des flux illicites de capitaux originaires d’Afrique. Son propos suggère que les pays pourraient combler le trou en limitant ou en taxant les transferts de capitaux vers l’extérieur. C’est la solution de la mobilisation interne. On pourra y associer une politique de mobilisation des transferts de la diaspora. La solution de facilité consisterait à tenter dans l’urgence de remplacer USAID par d’autres donateurs extérieurs. Nous aidants traditionnels, tous membres l’Otan, mis sous pression pour augmenter leurs dépenses de défense ont peu de marge budgétaire pour répondre dans l’urgence à nos appels de détresse
L’aide fatale
En 2009, l’economiste zambienne Dambisa Félicia Moyo publiait « Dead Aid : Why aid is not working and How there is a better way for Africa” Dambisa Moyo y faisait le bilan de 50 années et 1.000 milliards USD d’aide publique au développement accordée à l’Afrique. Elle constatait que l’aide n’avait pas amélioré les conditions de vie des africains. En réalité en un demi-siècle, la pauvreté avait bien avancé alors que les niveaux de croissance stagnaient ou déclinaient. C’est ainsi que Dambisa Moyo établit un lien entre dépendance à l’aide, corruption, distorsion des règles du marché et pauvreté. L’économiste Stephen Moore accusait USAID de promouvoir le dirigisme économique en imposant des choix aux Etats récipiendaires de ses dons, et notamment les énergies vertes là où le charbon est disponible et économiquement viable à long terme.
Comment l’aide a inhibé le développement de notre capital humain !
La théorie du capital humain – articulée par Theodore Schultz et Gary Becker de l’école de Chicago – a contribué à expliquer comment icelui détermine les disparités de développement économique entre les nations et de rémunérations entre communautés, catégories socioéconomiques et individus. Avec une production de 35.000 tonnes, le Cameroun est le 6e producteur africain de latex (caoutchouc), la matière première pour la fabrication de préservatifs. La Cote d’Ivoire, qui en produit 1 million de tonnes, contrôle 80% de la production du continent et se classe au rang de premier africain et 3e mondial. Les programmes de U.S.A.I.D et autres pourvoyeurs d’aide au développement distribuent gratuitement au Cameroun des préservatifs qu’ils achètent en Inde. Ce faisant, ayant convaincu par sa générosité nos pays de renoncer à de développer leur capital humain, Uncle Sam accorde dans le même temps à l’Inde une subvention d’exportation et d’investissement en capital humain. Pendant ce temps, les producteurs africains vendent l’essentiel de leur latex aux fabricants de pneus, qui leur reviennent en Afrique dans un état usagé porte par des véhicules d’occasion. C’est cette subvention – dissimulée en aide – rendait rédhibitoire tout investissement dans la production locale de préservatifs. L’aide était devenue une distorsion aux règles du marché au détriment de l’Afrique. C’est donc ainsi, pour reprendre la phraséologie de Dambisa Baroness Moyo, que l’aide était devenue appauvrissante.
A quelque chose malheur est bon !
Le gel d’U.S.A.I.D va indubitablement créer des opportunités d’affaires pour certains récipiendaires, en redressant des distorsions à la concurrence et aux règles du marché. Jusqu’ici l’association de la subvention et de la gratuité, assurant la compétitivité du préservatif indien. En l’absence d’aide extérieure, chaque Etat devra s’approvisionner au meilleur cout et si les conditions le permettent privilégier la production locale. Dans le cas du Cameroun, la disponibilité du caoutchouc, matière première stratégique, permet d’envisager la viabilité d’une production locale. Une récolte annuelle de 30.000 tonnes de caoutchouc semble largement suffisante pour produire 300-400 millions de préservatifs par an. Evidemment, il sera nécessaire de procéder à une première transformation de notre caoutchouc naturel en Technically Specified Runner (Tsr) dit caoutchouc vulcanisé. Le Cameroun dispose avec la Sudcam et d’autres d’une capacité installée en Tsr.
On arrive à la même conclusion si on étudie la faisabilité d’une production locale d’Arv. En effet, le cout annuel du traitement en trithérapie pour une PVVS est passé de 14.000 Usd en 1990 à seulement 100 Usd en 2018. Et pour cause, les brevets de la plupart des molécules (Efv, Nvp, Lpv, 3tc,) associées dans des combinaisons à dose fixe de trithérapie ont expiré entre 2010 et 2017. Jusqu’au 20 janvier dernier, l’Inde demeurait le principal fournisseur du Sud Global en antirétroviraux avec 80% des parts d’un marché évalué 1.8 milliard Usd (2018). Si la Ceeac ne représente que 5% de ce marché, le volume d’affaires potentiel serait de 90 milliards Usd. Quoique la note soit salée, au final le solde courant pour le Cameroun serait positif, grâce aux exportations libellées en Usd vers la Rdc.
En 2024, les transferts vers le Cameroun de notre Diaspora s’élevaient à 723 milliards de Fcfa (1,1 milliard Usd). Si les autorités publiques consentent à créer le cadre incitatif et protecteur (facilitation-exonération-accord d’achat garanti), il est certain qu’une section de notre diaspora compétente et hautement qualifiée dans l’industrie de la santé augmentera ses flux de transfert, pour doter le pays dans un délai très court d’usines de production d’antirétroviraux et de préservatifs. Le cas échéant, des investisseurs indiens délocaliseront volontiers leurs usines, désormais privés de la manne d’U.S.A.I.D, vers le Nigeria qui, avec un salaire minimum à 26.000 Fcfa, produit davantage de latex que le Cameroun, maintenu dans sa posture de consommateur, cette fois ci payant.
Des catastrophes naturelles à haute intensité, les cyclones sont les plus fréquents. Ils provoquent d’énormes dégâts matériels, et créent de gros soucis pour les ménages affectés et leurs assureurs. Dans le même temps, à moyen terme, les cyclones créent des opportunités pour les secteurs du bâtiment, du mobilier, etc. La fin de l’aide est assimilable à un cyclone. Elle provoquera immanquablement décès et dégâts matériels, dont émergeront des opportunités de développement de capital humain, d’investissement directs pour peu que l’Etat accepte enfin de privilégier les flux d’investissements privés et de s’affranchir de la tutelle du FMI, qui lui impose de réduire ses dépenses fiscales (i.e. subventions, exonérations) et de ses obligations en matière de réduction de la déforestation pour accroitre sa production de caoutchouc naturel.
Thank You Mister Trump.
[1] CDC est sous l’autorité de Département de la Santé, et USAID est sous la tutelle du Département d’Etat
Source : LE MESSAGER