Tension à Campo : Le préfet de l’Océan surfe sur la vague des intimidations
Après avoir fait attendre ses convives toute une matinée, en raison a-t-on appris, d'une réunion ''stratégique'' avec certaines élites locales, le préfet du département de l’Océan s'est fait menaçant envers les manifestants du 17 janvier dernier à Campo et les autorités traditionnelles dans son discours d'ouverture de de l'atelier d'évaluation de la mise en œuvre des cahiers de charges entre Camvert et ses partenaires locaux, les 29 et 30 janvier 2025 à Kribi, avant de les abandonner aux mains de Camvert pour la suite des travaux.
« Tout ce qu’on dit ici c’est dans les 26 lettres de l’alphabet français. Ils nous manipulent, ils nous malaxent, mais eux-mêmes ne savent pas si la pâte qui va sortir c’est les beignets ou les croquettes », ironise l’un des trois jeunes invités sur le tard à l’atelier d’évaluation de la mise en œuvre des cahiers de charges entre Camvert et ses partenaires locaux notamment, les communautés riveraines de l’agroindustrie, au sortir de la cérémonie d’ouverture protocolaire. Cette rencontre convoquée par message porté par le préfet du département de l’Océan, Nouhou Bello, Administrateur Civil principal, fait suite à une récente manifestation des jeunes de l’arrondissement de Campo, fatigués des promesses non tenues de la société Camvert et bien d’autres exploitants qui opèrent dans leur localité. Le préfet vient de tenir un discours pour le moins très dur envers les populations notamment les chefs traditionnels représentant les communautés locales et peuples autochtones. « Le préfet a usé de beaucoup d’intimidation envers les populations », regrette Sa majesté Evina Ango, seule femme cheffe traditionnelle dans l’arrondissement de Campo. Commentant le discours du préfet de l’Océan. « Vraiment si on ne faisait pas ce bruit -le mouvement d’humeur du vendredi 17 janvier 2025, Ndlr- on n’allait pas se retrouver ici aujourd’hui. Et, puisqu’on parle de la voie légale ! Les gens ont tellement déjà écrit que les bics [marque de stylos, vendue au Cameroun, Ndlr] sont déjà finis », moque ce chef du village Akak, avant d’ajouter : « Il n’y a pas que Camvert mais aussi la déforestation avec Boiscam et compagnie ».
« Je l’ai toujours dit, et je ne cesse de le redire, les blocages de routes et les autres actes de défiance vis-à-vis des institutions de l’État et de ceux qui les incarnent ne peuvent en aucun cas être considérés comme des moyens légitimes d’expression. Ces comportements répréhensibles mettent non seulement en péril la paix sociale mais risquent également de compromettre le sort économique que nous avons le devoir de bâtir. Le Cameroun est un État de droit », a martelé le préfet dans son allocution de circonstance où il a trouvé « …essentiel de fustiger ici les proportions excentrées que les expressions de ces desideratas ont prises. En effet, bien que reconnaissant les frustrations somme toute légitimes des populations naviguant en terrain inconnu et sans repère du fait voire de l’absence de communication des responsables de Camvert », refusant de ce fait l’idée de « passer sous silence des récents événements qui ont eu malheureusement le mérite de troubler fortement l’ordre public dans l’arrondissement de Campo ». Pour le préfet, « l’ordre public ne se négocie pas » et « Toutes récidives de ce genre feront inévitablement face à la fermeté de la puissance publique et les commanditaires répondront de leurs actes devant les instances compétentes », a-t-il menacé tout en rappelant que les populations disposent « de mécanismes clairs et reconnus pour exprimer vos doléances. Il est important alors de privilégier les canons légaux vers lesquels porter nos préoccupations car reconnus à de saines pratiques et non seulement néfaste pour la stabilité des investissements et des initiatives économiques mais appelle également à une réaction ferme de l’autorité en charge de la préservation de l’ordre public », a recommandé le préfet.
La société civile, persona non gratta
Pour leur part, les osc ont été interdites d’accès à la réunion qui a démarré autour de 13h54mn (heure locale) alors que les conviés pour la plupart sont arrivés quasiment à l’aube. « Ce matin (hier, Ndlr) aux environs de 10h, l’accès n’a même pas été possible. Camvert a organisé un atelier ce 29 et 30 Janvier 2025 à l’hôtel Framotel de Kribi sur les cahiers de charges. Cela concerne les populations autochtones pygmées et les communautés locales. Mais, c’est grave parce que, les OSC qui défendent les intérêts des peuples autochtones n’ont pas été invités, et n’ont pas eu accès à la salle. Mr Diallo, du top management de Camvert, a dit aux membres des OSC qui défendent les intérêts des Peuples Autochtones que, c’est Mr le préfet de l’Océan qui a dressé la liste des personnes physiques et morales à inviter », s’insurge Me Cyrille Ngoua, Juriste-Conseil, Expert en développement durable, spécialiste en peuples autochtones. Et de poursuivre : « Le Bagyéli (NLEMA HENRI) alias 100 ans, un Patriarche Bagyéli, qui habite à Nazareth (Campo) avait déjà déclaré qu’on lui avait fait signer le cahier de charge avec Camvert, sans avoir obtenu son CLIP (Consentement libre informé préalable), et qu’il ne connaît rien d’un cahier de charges. Aujourd’hui, il était encore invité, et il s’est retrouvé dans la salle. Les Bagyéli ne savent ni lire, ni écrire. Pourquoi inviter les Bagyéli débattre du cahier de charges, tout en écartant les OSC qui défendent leurs intérêts ? Que peut bien cacher cette méthode ? Le projet c’est quoi ? », interroge-t-il.
Au total apprend-t-on, trois organisations de défense des droits des peuples autochtones Bagyéli, basées dans l’océan ont été interdites d’accès à cette rencontre. Il s’agit de : BACUDA (Bagyéli cultural and Dévelopment Association), présidée par Jeanne Biloa ; CEDLA de Martin Biyong et APED de victorien Mba. « BACUDA, intéressée, a délégué deux animateurs communautaires, (le Père Nicolas Bongondjè Sylvestre, et Martin Homba), pour toucher du doigt, et le service d’accueil leur a permis de rencontrer Sieur Diallo de la société Camvert, qui leur a répondu ce qui précède », a confié Me Cyrille Ngoua. En rentrant dans la salle pour la phase des travaux à « huis clos » qui se poursuivent ce jeudi 30 janvier 2025, selon l’agenda, le jeune identifié plus tard comme l’un des meneurs du mouvement d’humeur observé le vendredi 17 janvier dernier par les jeunes de Campo, lequel a conduit à cette rencontre dont les populations ont été sevrées depuis deux ans, se veut plutôt confiant. « Ils ont parlé, c’est notre tour maintenant », lance-t-il au reporter en rejoignant la salle, en promettant de ne parler qu’après les résolutions attendues cette après-midi au terme des travaux. Très fermé au lendemain du mouvement d’humeur des jeunes de Campo, Camvert s’est cependant assuré une couverture médiatique de cette rencontre au cours de laquelle, son Top management, a essayé de dédouaner la compagnie en pointant un doigt accusateur vers l’Etat.
Selon Mahmoud Mourtada, Managing Director de Camvert, certaines activités du PTA (Plan de travail annuel) ont connu des lenteurs pour des raisons telles que l’indisponibilité dans les délais de la quote-part de l’Etat pour les travaux d’entretien routier. « Malheureusement, cette infrastructure se dégrade rapidement du fait des exploitants illégaux de bois qui ne respectent pas les barrières de pluie et certains les détruisent au passage ». Si Camvert se dit disposer à accompagner l’Etat dans cette mission, « il serait difficile pour Camvert seul, d’assurer la réhabilitation annuelle de la route », a-t-il confessé. Le DG de cette compagnie s’est également appesanti sur les différentes réalisations de la société au cours des dernières, lesquelles traduisent à son avis, « notre volonté d’être constamment aux côtés des populations, répondant à leurs besoins avec créativité et engagement ». Cependant, pour les populations « Camvert a peut-être beaucoup travaillé, mais pas où on l’attendait », commente sous cap, un participant.
Nadège Christelle BOWA
A Kribi