Financement de l’industrie du tabac: L’Organisation internationale du travail cogite à Kampala
Une réunion technique de cette organisation s’est ouverte ce jour en Ouganda en vue de donner au Conseil d’administration de l’OIT, un argumentaire qui va orienter sa décision de continuer à accepter ou non les financements de l’Industrie du tabac.
Du 3 au 5 juillet 2019, l’Organisation internationale du travail (OIT) tient une réunion technique à Kampala en Ouganda, à l’effet d’échanger sur les stratégies visant à remédier aux déficits de travail décent dans le secteur du tabac. Les résultats de cette réunion auront un impact considérable sur la décision finale de l’organisation d’accepter ou non les fonds de l’industrie du tabac. Ses recommandations seront transmises qui va délibérer sur la question en novembre prochain. En effet, à ce jour, l’OIT est la seule agence des Nations Unies qui reçoit encore des financements de l’industrie du tabac pour certains de ses projets. Les plus récents sont deux partenariats public-privé (PPP) : l’un avec Japan Tobacco International qui a pris fin en décembre 2018 ; et l’autre avec la Fondation pour l’élimination du travail des enfants dans la culture du tabac (ECLT), organisme à but non lucratif financé par l’industrie du tabac s’est terminé en juin 2018. Mais l’Oit semble ouverte à de nouvelles perspectives de financement avec l’industrie du tabac.
Un rapport qui s’exerce en contradiction avec les objectifs, principes fondamentaux et valeurs du système des Nations Unies. Dont la position est clairement affichée dans le modèle de politique des Nations Unies pour la prévention de l’ingérence de l’industrie du tabac publié en 2016, qui exige que le système des Nations Unies dans son ensemble refuse tout paiement, don, service ou autre forme de partenariat avec l’industrie du tabac. La politique suscitée insiste sur le fait que le système des Nations Unies, y compris les organismes intergouvernementaux qui sont observateurs à la Conférence des Parties (COP) de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, et les membres de l’Équipe spéciale interagences des Nations Unies devront prendre des mesures pour limiter les interactions avec l’industrie du tabac, et dans la mesure où elles existent encore, les recommandations des lignes directrices concernant l’application de l’Article 5.3 de la Convention Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT-OMS) s’appliquent.Cet article définit le cadre politique de protection des politiques de santé publique en matière de lutte antitabac contre les intérêts commerciaux et particuliers de l’industrie du tabac.
Rupture définitive
Pour la société civile africaine réunie au sein de l’Alliance pour le Contrôle du Tabac en Afrique (ATCA), cette collaboration qui au demeurant ne profite qu’à l’industrie du tabac, a permis à cette dernière d’exercer une influence sur les politiques de l’OIT et de se présenter comme un partenaire crédible. « L’OIT, en tant que composante du système des Nations Unies et observateur à la Conférence des Parties (COP) de la Convention-cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé pour la lutte antitabac (CCLAT) connaît certainement les dispositions de ce modèle de politique. Plus encore, les producteurs de tabac veulent que les liens financiers entre l’industrie du tabac et l’OIT soient rompus », relève Deowan Mohee, Secrétaire Exécutif de l’ATCA dans une Déclaration publiée le 2 juillet 2019, soit la veille de l’ouverture des travaux de Kampala.
« L’OIT devrait renoncer à tout partenariat avec l’industrie du tabac », martèle l’ACTA qui appelle-t-elle les participants à penser au bien de l’humanité et à orienter leurs discussions vers l’adoption d’une résolution ferme pour éviter toute relation de l’OIT avec l’industrie du tabac. « Le fait de continuer à être associée à l’OIT, une entité importante du système des Nations Unies, permet à l’industrie du tabac d’être considérée comme soutenant les Objectifs du Développement Durable (ODD), alors que ses produits provoquent en effet la mort de presque 8 millions de personnes chaque année et ont de graves conséquences sanitaires, socioéconomiques et environnementales », soutient Deowan Mohee. Du même avis, Francis Thompson, Directeur Exécutif de Framework Convention Alliance (FCA) exhorte « l’OIT à trouver d’autres sources de financement pour soutenir les travailleurs et les producteurs de tabac à l’exception de l’argent provenant directement de l’industrie du tabac ou par l’intermédiaire des groupes de façade ».
INTERVIEW
Francis Thompson
« L’OIT a l’occasion de trouver de véritables solutions aux problèmes qui entravent la capacité des travailleurs du secteur du tabac à améliorer leurs conditions de vie »
Le Directeur Exécutif de l’Alliance pour la Convention-cadre (FCA), Francis Thompson, apporte plus d’informations sur la réunion technique de l’OIT et les liens financiers entre l’industrie du tabac et l’OIT.
L’Organisation Internationale du Travail est la dernière organisation des Nations Unies qui devrait cesser de recevoir des financements de l’industrie du tabac. Pourquoi est-il important que les agences du système des Nations Unies n’aient aucun lien financier avec l’industrie du tabac ?
Le tabagisme tue plus de huit millions de personnes chaque année. C’est l’une des plus grandes causes de décès dans le monde. La Convention-cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé pour la lutte antitabac est un outil important dans la lutte contre cette épidémie. La Convention est entrée en vigueur en 2005 et contient un ensemble de dispositions visant à lutter contre l’épidémie de tabagisme. Elle est incluse dans les Objectifs de Développement Durable et reconnu comme l’un des « moyens de mise en œuvre » pour atteindre l’objectif global de santé. Pour atteindre les Objectifs de Développement Durable, toutes les organisations du système des Nations Unies doivent veiller à ce que les politiques de santé publique soient véritablement protégées contre l’influence indue de l’industrie du tabac. Des progrès ont été réalisés au cours des 15 dernières années, mais les efforts de lutte antitabac partout dans le monde menacent les intérêts commerciaux de l’industrie du tabac à plusieurs milliards de dollars. Il n’est donc pas surprenant que l’industrie déploie constamment des stratégies telles que la mise en cause des politiques de lutte antitabac devant les tribunaux, l’influence des lobbyistes sur l’élaboration des politiques, les investissements dans des groupes de façade qui soutiennent ses intérêts et – comme c’est le cas à l’Organisation Internationale du Travail – qui cherchent les partenariats en termes de responsabilité sociale des entreprises visant à améliorer son image publique.
En quoi un partenariat avec l’Organisation Internationale du Travail est-il avantageux pour l’industrie du tabac ?
Les compagnies de tabac sont de puissantes multinationales qui ont recours à des partenariats avec des organisations réputées comme l’Organisation Internationale du Travail pour se présenter comme une partie de la solution au problème qu’elles ont délibérément créé. Les partenariats de responsabilité sociale des entreprises sont des moyens par lesquels l’industrie du tabac gagne en crédibilité et coopte les gouvernements comme lobbyistes pour ses intérêts. Pour faire face à sa mauvaise presse, l’industrie investit des sommes relativement faibles dans des activités de responsabilité sociale des entreprises. Les retours en termes de relations publiques et de bonne volonté sont considérables. Le résultat final est que les actionnaires et le public ne sont toujours pas au courant du véritable coût humain des activités des compagnies de tabac, tandis que l’industrie du tabac continue à influencer les normes juridiques sur le plan international et à renforcer son image publique.
Un comité technique de l’Organisation Internationale du Travail se réunit à Kampala, en Ouganda. De quoi discuteront-ils exactement et quelle est l’importance de cette réunion pour la lutte antitabac ?
À Framework Convention Alliance, nous demandons que la réunion technique de Kampala prenne toutes les mesures nécessaires pour ne pas renouveler la coopération avec l’industrie du tabac.
Les contrats liant l’Organisation Internationale du Travail à la Fondation pour l’élimination du travail des enfants dans la culture du tabac et à Japan Tobacco International sont arrivés à terme respectivement en juin et décembre 2018. En Novembre dernier, le Conseil d’Administration de l’Organisation Internationale du Travail a adopté une stratégie intégrée pour remédier aux déficits de travail décent dans le secteur du tabac. La réunion de Kampala, en Ouganda, vise à discuter de cette stratégie intégrée. À Framework Convention Alliance, nous demandons que la réunion technique de Kampala prenne toutes les mesures nécessaires pour ne pas renouveler la coopération avec l’industrie du tabac. Nous insistons absolument sur l’amélioration du pouvoir de négociation et des conditions de vie des producteurs de tabac et de leurs familles. En fin de compte, nous exhortons l’Organisation Internationale du Travail à trouver d’autres sources de financement pour soutenir les travailleurs et les producteurs de tabac à l’exception de l’argent provenant directement de l’industrie du tabac ou par l’intermédiaire des groupes de façade. L’ingérence de l’industrie du tabac demeure l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de la Convention-cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé pour la lutte antitabac. De plus, la réunion de Kampala est une occasion importante pour aider à expulser l’industrie du tabac et ses groupes de façade du système des Nations Unies.
Pourquoi est-il nécessaire que l’Organisation Internationale du Travail rompe entièrement ses liens financiers avec l’industrie du tabac ?
La source des problèmes dans le secteur du tabac peut être attribuée à l’industrie du tabac elle-même. Pour s’attaquer à cette cause profonde, l’Organisation Internationale du Travail doit élaborer une stratégie globale, exempte des contraintes des partenariats de responsabilité sociale des entreprises. Les problèmes dans le secteur du tabac comprennent de mauvaises conditions de travail et de négociation qui obligent les producteurs à faire face à des difficultés financières qui les conduisent finalement au travail des enfants. La pauvreté systémique dans le secteur du tabac n’est pas un accident. C’est le résultat des actions et des inactions de l’industrie du tabac. C’est la raison pour laquelle l’Organisation Internationale du Travail doit rompre entièrement ses liens financiers avec l’industrie du tabac.
Au lieu de dépenser de l’argent dans des projets de responsabilité sociale des entreprises qui visent uniquement à améliorer leur image publique, l’industrie du tabac devrait prioriser le pouvoir de négociation et les conditions de travail des travailleurs
Dans la mesure où l’Organisation Internationale du Travail rompait les liens financiers avec l’industrie du tabac, qu’adviendrait-il des communautés qui « bénéficient » actuellement de ce partenariat ?
L’Organisation Internationale du Travail a la possibilité de trouver des solutions concrètes aux problèmes qui entravent la capacité des travailleurs du secteur du tabac d’améliorer leurs conditions de vie. En disant aux producteurs de ne pas recourir au travail des enfants, nous ne faisons rien ; nous devons améliorer leurs conditions de travail et veiller à ce qu’ils reçoivent un salaire décent. Au lieu de dépenser de l’argent dans des projets de responsabilité sociale des entreprises qui visent uniquement à améliorer leur image publique, l’industrie du tabac devrait prioriser le pouvoir de négociation et les conditions de travail des travailleurs. De par leur nature, les activités de responsabilité sociale des entreprises ne visent pas à améliorer le pouvoir de négociation des producteurs. Les organisations internationales et les gouvernements peuvent travailler en synergie pour mettre fin à la pauvreté sans faire appel à l’industrie du tabac. Les projets pilotes du Programme des Nations Unies pour le Développement sur les obligations à impact social et sur le développement sont un exemple de financement axé sur les résultats qui semble très prometteur. À Framework Convention Alliance, nous voulons absolument qu’une stratégie globale soit élaborée pour les communautés productrices de tabac, sans l’influence indue qui découle de tout lien financier avec l’industrie du tabac. Le développement durable et la santé de ces communautés en dépendent.
Y a-t-il une raison spécifique pour laquelle l’Afrique, et plus particulièrement l’Ouganda, a été choisie par l’Organisation Internationale du Travail pour cette réunion ?
L’Ouganda a des lois antitabac strictes. Les organisations de la société civile et le Ministère de la Santé travaillent en collaboration pour promouvoir la santé publique dans le pays. L’Ouganda est également l’un des pays où l’Organisation Internationale du Travail mène actuellement des activités dans le secteur du tabac. En fait, le projet de programme de la réunion de Kampala prévoit une visite sur le terrain d’un site de culture du tabac et de production de cigarettes. Il y a eu des défis en ce qui concerne l’ingérence de l’industrie du tabac. L’année dernière, les organisations de la société civile en Ouganda ont adressé une lettre au Gouvernement Ougandais pour l’exhorter à respecter ses obligations internationales en vertu de la Convention-cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé pour la lutte antitabac. Au cours de la 332e session du Conseil d’Administration, le Gouvernement Ougandais, au nom de la région africaine, se serait opposé à une proposition pour que l’Organisation Internationale du Travail adopte des politiques internes qui protègent contre les conflits d’intérêts avec l’industrie du tabac. Compte tenu des progrès réalisés par le pays dans la lutte antitabac, il semble que l’industrie tente de monter le Ministère du Travail contre le Ministère de la Santé et les organisations de la société civile. Comme vous pouvez le constater, l’Ouganda est l’un des pays qui peuvent avoir un impact positif ou négatif sur le processus d’élaboration d’une stratégie globale pour remédier aux déficits de travail décent dans le secteur du tabac.